vendredi 24 août 2018

Zo D'Axa Les feuilles

"Il s’appelait Vaillanberg, celui-ci ; il avait dix-sept ans. Jeté en cellule pour une tentative d’évasion, l’enfant tomba sous la coupe d’un gardien qui l’avait en haine. Ce gardien, ce fonctionnaire, ce tortionnaire nommé Périal, poussa l’ignominie au point de priver sa victime de la portion de nourriture accordée aux enfants punis : une soupe tous les quatre jours. Périal vida dans les latrines la gamelle du petit martyr. Pendant trois semaines, le malheureux vécut au régime d’une mince tartine de pain que, chaque
jour, on lui lançait. Et, des cellules voisines, ses petits camarades l’entendirent, de longues nuits, sangloter en demandant à manger. — Par pitié ! par pitié, j’ai faim… Le matin du vingt et unième jour, on le trouva mort dans sa cellule — avec, aux dents, des débris de plâtre que l’enfant avait mâchonné…"



"Il ne faut pas penser ! Il ne faut pas que les malheureux réfléchissent un seul instant. Il ne faut pas qu’ils se rendent compte des causes profondes de leur détresse. Il ne faut pas qu’ils aperçoivent les responsables de leur tourment."


"Le cabanon c’est l’oubliette. Et qu’importe ce que clament les fous ! M. Boursy n’est pas le seul personnage qui voudrait qu’on n’attachât nulle importance aux paroles de Mlle Hinque. Le gouvernement lui-même s’est prononcé en décorant, à propos de balles, le juge d’instruction que rien jusque là n’avait désigné à son choix. Implicitement, les médecins, fonctionnaires de l’administration, sont chargés d’établir le rapport qui permettra de supprimer le témoignage de Mlle Hinque. À votre besogne, docteurs ! Il ne suffira peut-être plus d’intercepter les lettres de l’accusée — lettres qui prouveraient, clair comme jour, la lucidité de son esprit. Il faudra par l’isolement, le régime, les grands moyens, provoquer, chez la patiente, quelques opportunes crises de nerfs. C’est classique. On compte sur vous. Vous êtes au poste de combat. Vous défendez la Société. C’est la Science au service de l’Ordre. Biffez d’un mot Mlle Hinque ! Dites : — Elle est folle. Emmurez-la ! Les maisons de santé ont ceci de bon qu’elles permettent d’esquiver les débats publics. On abandonne les poursuites. C’est le non-lieu, préface indulgente de la réclusion perpétuelle. N’hésitez pas. On vous regarde. "


"Affichons-le : « Les membres du Conseil de Conciliation et d’Arbitrage des mines du Pas-de-Calais, représentant les concessions houillères de Lens, Courrières, Dourges, Liévin, Nœux, réunis à Lens, le dimanche 22 janvier, saluent respectueusement le noble drapeau tricolore, emblème de la Patrie, et l’armée nationale, gardienne de l’honneur et de la dignité de la France. Ils flétrissent, au nom des courageuses populations minières du Pas-de-Calais, dont les familles nombreuses donnent au pays tant et de si bons défenseurs, les menées perfides de ceux qui veulent semer la division entre les citoyens. » Bravo, Mineurs ! je m’en doutais… La patrie, le Patronat peut compter sur vous. C’est gentil. Ne faites-vous pas partie du sol ! À force de le gratter en-dessous, vous avez appris à l’aimer. Et vous aimez le Drapeau aussi, parce que, lui, c’est un emblème. Allons, tant mieux. Vous aimez l’Armée, cette gardienne de votre honneur et de votre dignité… C’est du luxe. Vous aimez les fusils Lebel qui partent tout seuls — comme à Fourmies, — les baïonnettes auprès des puits où vos camarades ont fait grève. Quoi encore ? Vous aimez le bâton… Vous êtes contents — tant que ça !
Peut-on songer sans stupeur à ces êtres dénués de tout, ces forçats à casaque noire, ces « intellectuels » de la mine qui profitent du repos dominical pour exhiber leur sentiment de servilité inébranlable ? Voilà des gaillards pour lesquels la mère Patrie a peu de fleurs et de sourires : en échange de la fortune qu’ils remontent, risquant leur vie, pour que leurs maîtres, les actionnaires, aient des châteaux à la surface, on leur donne un morceau de pain. Mais c’est assez. Ils sont bien aises :

C’est à croire que ces bipèdes descendent, par sport, dans les fosses. Ils s’indignent à la pensée qu’il puisse y avoir des divisions entre les citoyens, une lutte de classes peut-être. Pourquoi, en effet, la bataille, si les esclaves sont satisfaits ? C’est eux que ça regarde. Et ils s’agenouillent — l’habitude du travail courbé. Allez ! au trot ! houst ! à la mine… Un contremaître a sifflé. Vous reparlerez de la Patrie, dimanche."


"Ce beau cadeau leur a été fait par ceux-là mêmes qui les exploitent, abusent d’eux, et trouvent ainsi le moyen de ne pas les payer quand ils leur font prendre le fusil pour défendre les terres des riches, les biens du maître, ce qu’ils appellent : la fortune de la Nation. Qu’en avez-vous de cette fortune, citoyens sans-le-sou, électeurs ? Quelle est votre part du patrimoine ? Vous êtes nés ici, c’est vrai. Vous y travaillerez jusqu’à mort. Vous êtes les fils de la glèbe. Vous êtes de bons indigènes. Mais vous êtes fous quand vous parlez d’une patrie : vous n’en avez pas."


"Les Rois de la mine, de la houille et de l’Or auraient bien tort de se gêner. La résignation de leurs serfs consacre leur autorité. Leur puissance n’a même plus besoin de se réclamer du droit divin, cette blague décorative ; leur souveraineté se légitime par le consentement populaire. Un plébiscite ouvrier, fait d’adhésions patriotardes, platitudes déclamatoires ou silencieux acquiescements, assure l’empire du patronat et le règne de la bourgeoisie. "

"On est fier de ses mains calleuses. Si déformés que soient les doigts, le joug a fait pire sur les crânes : les bosses de la résignation, de la lâcheté, du respect, ont grossi, sous les cuirs chevelus, au frottement du licol. Les vieux ouvriers vaniteux brandissent leurs certificats : quarante ans dans la même maison ! On les entend raconter ça, en mendiant du pain dans les cours."




Aucun commentaire: