samedi 4 août 2018

Journal officiel de la Commune


DÉCLARATION

Malgré le profond dégoût que m’inspirent les passions haineuses et violentes de la majorité, j’ai cru de mon devoir de rester dans l’Assemblée nationale tant qu’il m’a semblé possible d’y remplir le mandat que le peuple de Paris m’a conféré, c’est-à-dire tant que je pourrais lutter pour la cause de la justice et combattre les partis du désordre, coalisés contre la République.
Sans me permettre de juger, et moins encore de blâmer les citoyens qui, par un sentiment consciencieux et désintéressé, comprennent leur devoir d’une autre façon, je pense qu’une démission pure et simple n’est pas le meilleur moyen d’accomplir la tâche imposée à un représentant du peuple.
J’ai été confirmé dans cette opinion par les conseils d’un grand nombre de membres des comités électoraux qui ont proposé ma candidature, et j’ai pu en apprécier la justesse lorsque j’ai vu avec quelle satisfaction nos ennemis ont recueilli la démission de plusieurs des élus du parti républicain.
Mais l’abominable attentat commis par le pouvoir exécutif, le crime que le gouvernement de Versailles consomme en ce moment contre le droit, contre l’humanité, offre aux représentants de Paris la plus grave occasion de faire un dernier et suprême usage de leur mandat en réprouvant solennellement une politique dont le but évident est de noyer la République dans le sang du peuple, qui ne connaît d’autres moyens de pacification que la guerre civile, et dont le résultat,s’il était réalisé, serait la perte définitive de la patrie.
C’est dans ces dispositions d’esprit que je voulais me présenter à la séance d’aujourd’hui.
Je me proposais d’interpeller le gouvernement sur l’attaque à main armée qu’il dirige contre Paris, et de démontrer au pays, trompé par les mensonges de M. Thiers, quelle est la véritable situation de la capitale.
Il est bon que la France entière sache que Paris est, non pas en état d’insurrection, mais bien en état de légitime défense ; qu’il n’a jamais fait qu’user pacifiquement de son droit, du droit qui lui appartient au même titre qu’à toutes les autres communes de France ; qu’après l’avoir livré à l’ennemi par la plus infâme des trahisons dont l’histoire ait conservé le souvenir, les misérables qui ont ainsi sacrifié la patrie à leur ambition veulent encore étouffer dans Paris l’esprit de liberté politique et d’indépendance municipale, qui ne leur permettra it pas de jouir impunément du fruit de leurs forfaits ; et que, malgré les outrages, les défis et les provocations, la population parisienne calme, paisible, unanime, n’avait tenté aucune agression, commis aucune violence, causé aucun désordre lorsque le gouvernement l’a fait attaquer par les anciens policiers de l’empire, organisés en troupes prétoriennes sous le commandement d’ex-sénateurs.
Voilà comment je comprends le devoir d’un représentant du peuple. C’est ainsi que j’aurais accompli mon mandat si j’avais pu me transporter à Versailles. Du haut de la tribune, j’aurais, à la face du monde, déclaré la majorité réactionnaire et son pouvoir exécutif responsables des nouvelles calamités qu’ils déchaînent sur notre malheureuse patrie, et j’aurais quitté l’Assemblée en secouant la poussière de mes souliers.
MILLIÈRE

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