DÉCLARATION
Malgré
le profond dégoût que m’inspirent les passions haineuses et
violentes de la majorité, j’ai cru de mon devoir de rester dans
l’Assemblée nationale tant qu’il m’a semblé possible d’y
remplir le mandat que le peuple de Paris m’a conféré,
c’est-à-dire tant que je pourrais lutter pour la cause de la
justice et combattre les partis du désordre, coalisés contre la
République.
Sans
me permettre de juger, et moins encore de blâmer les citoyens qui,
par un sentiment consciencieux et désintéressé, comprennent leur
devoir d’une autre façon, je pense qu’une démission pure et
simple n’est pas le meilleur moyen d’accomplir la tâche imposée
à un représentant du peuple.
J’ai
été confirmé dans cette opinion par les conseils d’un grand
nombre de membres des comités électoraux qui ont proposé ma
candidature, et j’ai pu en apprécier la justesse lorsque j’ai vu
avec quelle satisfaction nos ennemis ont recueilli la démission de
plusieurs des élus du parti républicain.
Mais
l’abominable attentat commis par le pouvoir exécutif, le crime que
le gouvernement de Versailles consomme en ce moment contre le droit,
contre l’humanité, offre aux représentants de Paris la plus grave
occasion de faire un dernier et suprême usage de leur mandat en
réprouvant solennellement une politique dont le but évident est de
noyer la République dans le sang du peuple, qui ne connaît
d’autres moyens de pacification que la guerre civile, et dont le
résultat,s’il était réalisé, serait la perte définitive de la
patrie.
C’est
dans ces dispositions d’esprit que je voulais me présenter à la
séance d’aujourd’hui.
Je
me proposais d’interpeller le gouvernement sur l’attaque à main
armée qu’il dirige contre Paris, et de démontrer au pays, trompé
par les mensonges de M. Thiers, quelle est la véritable situation de
la capitale.
Il
est bon que la France entière sache que Paris est, non pas en état
d’insurrection, mais bien en état de légitime défense ; qu’il
n’a jamais fait qu’user pacifiquement de son droit, du droit qui
lui appartient au même titre qu’à toutes les autres communes de
France ; qu’après l’avoir livré à l’ennemi par la plus
infâme des trahisons dont l’histoire ait conservé le souvenir,
les misérables qui ont ainsi sacrifié la patrie à leur ambition
veulent encore étouffer dans Paris l’esprit de liberté politique
et d’indépendance municipale, qui ne leur permettra it pas de
jouir impunément du fruit de leurs forfaits ; et que, malgré les
outrages, les défis et les provocations, la population parisienne
calme, paisible, unanime, n’avait tenté aucune agression, commis
aucune violence, causé aucun désordre lorsque le gouvernement l’a
fait attaquer par les anciens policiers de l’empire, organisés en
troupes prétoriennes sous le commandement d’ex-sénateurs.
Voilà
comment je comprends le devoir d’un représentant du peuple. C’est
ainsi que j’aurais accompli mon mandat si j’avais pu me
transporter à Versailles. Du haut de la tribune, j’aurais, à la
face du monde, déclaré la majorité réactionnaire et son pouvoir
exécutif responsables des nouvelles calamités qu’ils déchaînent
sur notre malheureuse patrie, et j’aurais quitté l’Assemblée en
secouant la poussière de mes souliers.
MILLIÈRE
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