Fac-simile
de la lettre des propriétaires de Paris à Son Excellence M.
Thiers,courtier en royautés, à Versailles.
Excellente,
C’est
la mort dans l’âme que nous venons nous prosterner au pied des
marches du trône que vous deviez nous donner.
Pourquoi
avoir tant tardé, Excellence ?
La
Commune de Paris, cette poignée de factieux (entre nous, ils sont
plusieurs centaines de mille !), a lancé un décret par lequel les
ouvriers sont libérés des travaux forcés auxquels nous les
condamnions pour quelques années.
Vous
ne ratifierez pas ce décret, bonne Excellence !
Savez-vous
ce que l’on nous demande à nous, vos protégés, mais c’est la
ruine du pauvre millionnaire ! — Vous qui êtes membre du
Gouvernement, chef du Pouvoir exécutif, — conséquemment forcé
d’exonérer les riches de toutes les lois d’entrées,
contributions, impositions ou autres décrets bien sentis que l’on
peut mettre sur la classe ouvrière, — vous qui avez travaillé sur
tous les tréteaux de toutes les parades monarchiques, voire même
sur l’impériale — avec correspondance pour la République
adaptée à la royauté — vous qui possédez tant de tours dans la
poche des vestes que vous avez retournées, donnez-nous donc un petit
conseil ?
Paris
ville libre, brave Excellence, comprenez-vous ? — Ah ! c’est la
fortune pour le prolétaire ; la réduction des loyers. Ah !… c’est
la mort du malheureux millionnaire, du spéculateur, du boursicoteur,
des huissiers et des curés… C’est le métier du propriétaire
mis au rang de celui des filles à marier pendant l’état de siège…
Il va y avoir une morte-saison fabuleuse ! Neuf mois de perte sèche
! C’est un terme, disent les bonnes femmes, qui rient sous cape. —
Ah ! Excellente Excellence, ça n’est pas pour vous en faire un
reproche, mais, sous l’empire, votre entourage comprenait mieux
l’utilité de notre férule. — Et Trochu, qui nous faisait
entendre qu’il battait les Parisiens comme des cartes, et qu’il
retournerait le roi, le grand roi, successeur de son père, entrevue
dans vos rêves ! De ces promesses, la Commune retranche tout, il ne
reste pas un tiers.
Protégez-nous, grande Excellence, contre ces maudits ouvriers, la
source de nos richesses et des biens qui vous gonflent, vous autres
gros bonnets.
Et
la conscription abolie, qu’en dites-vous, Excellence ?
Au
début du siège, prévoyant ce qui allait se passer, nous avions
formé un corps de francs-tireurs qui mettait la caisse et le ventre
à l’abri, exemptait des gardes, services et autres devoirs
patriotiques plus ou moins éreintants réservés à la vile
multitude… Nous rentrons à Paris, pourvus d’une mine florissante
; nous voulons examiner ce populo infect qui avait crevé la faim que
vous autres, experts, vous vous entendez si bien à lui faire endurer
quand vous voulez le réduire à la capitulation de tous genres ;
nous exhibons nos quittances aux imbéciles, qui, à la vérité, ont
parfaitement défendu nos propriétés et les ont maintenues en
parfait état, nous réclamons de l’argent… Le croirez-vous,
Excellence ? Corrompus par les doctrines du Père Duchêne, ils nous
crient : Du flan ! nous traitent de jeanfoutres…et veulent nous
forcer à prendre un fusil. Risquer de nous faire blesser en maniant
ces armes brutales, ah ! bonne Excellence !… On nous incorpore de
force pour défendre la propriété de nos voisins ! Mais à quoi
sert d’avoir des locataires ?
Cette
conscription abolie, c’est l’égalité telle qu’ils la
comprennent. Qu’est-ce ça nous faisait à nous la conscription ?
Pourquoi lui en aurions-nous voulu à la conscription ! Ça ne
pouvait jamais atteindre nos enfants… Avec deux ou trois méchants
billets de mille, qu’était-ce qu’un mauvais numéro ? C’était
fait pour le peuple, cette loi-là ! Mais alors il n’y a plus de
bénéfice d’être riche ! Voyez-vous d’ici cet ouvrier, cet être
infime, qui veut vivre de son travail, récolter le produit de son
labeur et de son intelligence ! Ces gens-là ont des idées capables
de renverser la société toute entière ! Ça marchait si bien,
Excellence ! — Quoi l’ouvrier ne consentirait plus à payer la
paresse et les vices d’une dynastie qui ne lui demande pas autre
chose ? l’ouvrier s’instruira ?… Horreur ! il saurait discuter
ses intérêts contre les nôtres ?… Malédiction ! il fonderait
des Invalides civils et deviendrait peut-être propriétaire par le
fruit de ses économies ?… Ah !!!
Mais
révoltez-vous donc, Excellence !
Excellence,
c’est de vous qui étiez si grand, qui êtes si petit ! que les
soussignés implorent une réponse.
Suivent
les signatures.
Pour
copie conforme du principal :
FLORISS
PIRAUX.
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