samedi 4 août 2018

Journal officiel de la Commune


Fac-simile de la lettre des propriétaires de Paris à Son Excellence M. Thiers,courtier en royautés, à Versailles.
Excellente,
C’est la mort dans l’âme que nous venons nous prosterner au pied des marches du trône que vous deviez nous donner.
Pourquoi avoir tant tardé, Excellence ?
La Commune de Paris, cette poignée de factieux (entre nous, ils sont plusieurs centaines de mille !), a lancé un décret par lequel les ouvriers sont libérés des travaux forcés auxquels nous les condamnions pour quelques années.
Vous ne ratifierez pas ce décret, bonne Excellence !
Savez-vous ce que l’on nous demande à nous, vos protégés, mais c’est la ruine du pauvre millionnaire ! — Vous qui êtes membre du Gouvernement, chef du Pouvoir exécutif, — conséquemment forcé d’exonérer les riches de toutes les lois d’entrées, contributions, impositions ou autres décrets bien sentis que l’on peut mettre sur la classe ouvrière, — vous qui avez travaillé sur tous les tréteaux de toutes les parades monarchiques, voire même sur l’impériale — avec correspondance pour la République adaptée à la royauté — vous qui possédez tant de tours dans la poche des vestes que vous avez retournées, donnez-nous donc un petit conseil ?
Paris ville libre, brave Excellence, comprenez-vous ? — Ah ! c’est la fortune pour le prolétaire ; la réduction des loyers. Ah !… c’est la mort du malheureux millionnaire, du spéculateur, du boursicoteur, des huissiers et des curés… C’est le métier du propriétaire mis au rang de celui des filles à marier pendant l’état de siège… Il va y avoir une morte-saison fabuleuse ! Neuf mois de perte sèche ! C’est un terme, disent les bonnes femmes, qui rient sous cape. — Ah ! Excellente Excellence, ça n’est pas pour vous en faire un reproche, mais, sous l’empire, votre entourage comprenait mieux l’utilité de notre férule. — Et Trochu, qui nous faisait entendre qu’il battait les Parisiens comme des cartes, et qu’il retournerait le roi, le grand roi, successeur de son père, entrevue dans vos rêves ! De ces promesses, la Commune retranche tout, il ne reste pas un tiers. Protégez-nous, grande Excellence, contre ces maudits ouvriers, la source de nos richesses et des biens qui vous gonflent, vous autres gros bonnets.
Et la conscription abolie, qu’en dites-vous, Excellence ?
Au début du siège, prévoyant ce qui allait se passer, nous avions formé un corps de francs-tireurs qui mettait la caisse et le ventre à l’abri, exemptait des gardes, services et autres devoirs patriotiques plus ou moins éreintants réservés à la vile multitude… Nous rentrons à Paris, pourvus d’une mine florissante ; nous voulons examiner ce populo infect qui avait crevé la faim que vous autres, experts, vous vous entendez si bien à lui faire endurer quand vous voulez le réduire à la capitulation de tous genres ; nous exhibons nos quittances aux imbéciles, qui, à la vérité, ont parfaitement défendu nos propriétés et les ont maintenues en parfait état, nous réclamons de l’argent… Le croirez-vous, Excellence ? Corrompus par les doctrines du Père Duchêne, ils nous crient : Du flan ! nous traitent de jeanfoutres…et veulent nous forcer à prendre un fusil. Risquer de nous faire blesser en maniant ces armes brutales, ah ! bonne Excellence !… On nous incorpore de force pour défendre la propriété de nos voisins ! Mais à quoi sert d’avoir des locataires ?
Cette conscription abolie, c’est l’égalité telle qu’ils la comprennent. Qu’est-ce ça nous faisait à nous la conscription ? Pourquoi lui en aurions-nous voulu à la conscription ! Ça ne pouvait jamais atteindre nos enfants… Avec deux ou trois méchants billets de mille, qu’était-ce qu’un mauvais numéro ? C’était fait pour le peuple, cette loi-là ! Mais alors il n’y a plus de bénéfice d’être riche ! Voyez-vous d’ici cet ouvrier, cet être infime, qui veut vivre de son travail, récolter le produit de son labeur et de son intelligence ! Ces gens-là ont des idées capables de renverser la société toute entière ! Ça marchait si bien, Excellence ! — Quoi l’ouvrier ne consentirait plus à payer la paresse et les vices d’une dynastie qui ne lui demande pas autre chose ? l’ouvrier s’instruira ?… Horreur ! il saurait discuter ses intérêts contre les nôtres ?… Malédiction ! il fonderait des Invalides civils et deviendrait peut-être propriétaire par le fruit de ses économies ?… Ah !!!
Mais révoltez-vous donc, Excellence !
Excellence, c’est de vous qui étiez si grand, qui êtes si petit ! que les soussignés implorent une réponse.

Suivent les signatures.
Pour copie conforme du principal :
FLORISS PIRAUX.


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