vendredi 10 août 2018

Journal de la Commune


La revanche est prise. Paris a sauvé la France du déshonneur et de l’abaissement. Ah ! Paris ! Paris a compris dans son génie qu’on ne pouvait combattre un ennemi attardé avec ses propres armes. Paris s’est mis sur son terrain, et l’ennemi sera vaincu comme il n’a pu nous vaincre. Aujourd’hui, Paris est libre et s’appartient, et la province est en servage. Quand la France fédérée pourra comprendre Paris, l’Europe sera sauvée.
Aujourd’hui, j’en appelle aux artistes, j’en appelle à leur intelligence, à leur sentiment, à leur reconnaissance, Paris les a nourris comme une mère et leur a donné leur génie. Les artistes, à cette heure, doivent, par tous leurs efforts (c’est une dette d’honneur), concourir à la reconstitution de son état moral et au rétablissement des arts, qui sont sa fortune. Par conséquent, il est de toute urgence de rouvrir les musées et de songer sérieusement à une exposition prochaine ; que chacun, dès à présent se mette à l’oeuvre, et les artistes des nations amies répondront à notre appel.
La revanche est prise, le génie aura son essor ; car les vrais Prussiens n’étaient pas ceux qui nous attaquaient d’abord. Ceux-là nous ont servi, en nous faisant mourir de faim physiquement, à reconquérir notre vie morale et à élever tout individu à la dignité humaine.
Ah ! Paris, Paris la grande ville, vient de secouer la poussière de toute féodalité. Les Prussiens les plus cruels, les exploiteurs du pauvre, étaient à Versailles. Sa révolution est d’autant plus équitable, qu’elle part du peuple. Ses apôtres sont ouvriers, son Christ a été Proudhon. Depuis dix-huit cents ans, les hommes de coeur mouraient en soupirant ; mais le peuple héroïque de Paris vaincra les mystagogues et les tourmenteurs de Versailles, l’homme se gouvernera lui-même, la fédération sera comprise, et Paris aura la plus grande part de gloire que jamais l’histoire ait enregistrée.
Aujourd’hui, je le répète, que chacun se mette à l’oeuvre avec désintéressement : c’est le devoir que nous avons tous vis-à-vis de nos frères soldats, ces héros qui meurent pour nous. Le bon droit est avec eux. Les criminels ont réservé leur courage pour la sainte cause.
Oui, chacun se livrant à son génie sans entrave, Paris doublera son importance, et la ville internationale européenne pour offrir aux arts, à l’industrie, au commerce, aux transactions de toutes sortes, aux visiteurs de tous pays, un ordre impérissable, l’ordre par ses citoyens, qui ne pourra pas être interrompu par les ambitions monstrueuses de prétendants monstrueux.
Notre ère va commencer ; coïncidence curieuse ! c’est dimanche prochain le jour de Pâques ; est-ce ce jour-là que notre résurrection aura lieu ?
Adieu le vieux monde et sa diplomatie !
GUSTAVE COURBET.


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