Discours
public. Les Romains avaient le mot conferentia, issu du verbeconferre
(comparer) pour désigner l’assemblée de plusieurs personnes
réunies pour étudier une question, le plus souvent philosophique
ou historique. Chacun apportait à l’appui de sa thèse des textes
et documents que l’on comparait. De là le mot. Pour le même objet
nous avons fait sans le vouloir, simplement du fait d’une
prononciation et d’une transcription vicieuses, le mot conférence.
Mais en français, ce mot souvent mal employé a fini par prendre des
sens très divers et il sert à désigner des objets qui n’ont
parfois aucun rapport entre eux. Mais le plus souvent il sert à
désigner un discours public, contradictoire ou non. C’est surtout
en gardant ce sens au mot conférence que nous allons l’étudier
ici.
Au
mot causerie (que voyez) nous avons dit que les manifestations de
cette dynamique qu’est le verbe a trois principaux degrés : la
conversation, la causerie, la conférence.
Sans
répéter ici en quoi diffèrent la causerie et la conférence, il
nous faut rappeler que celle-ci visant les grands auditoires, les
qualités de la conférence doivent être appropriés à sa
destination.
C’est
à tort que l’on a tendance à mépriser les qualités matérielles,
osons même dire les qualités physiques du conférencier ; la
justice de la cause, la justesse des arguments, la documentation,
l’éloquence, même, atteindront plus sûrement leur but si le
conférencier est doué d’un physique agréable, d’un aspect
sympathique, d’une voix puissante et harmonieuse. Toutes choses,
d’ailleurs, que presque tous peuvent acquérir.
De
même qu’il est répugnant de recevoir des aliments servis par des
mains de propreté douteuse, le conférencier doit être pour ses
auditeurs un agréable et appétissant maître-d’hôtel de la
pensée. Il doit donc plaire, mais ne jamais oublier que plaire est
un moyen, non un but.
La
conférence, bien que ne nécessitant pas les mêmes qualités de
fond que la causerie, doit être gardée du superficiel. Le
conférencier évitera seulement, parlant à un public trop nombreux
pour en connaître les individus, de s’engager dans des
développements trop techniques ou trop savants que tous ne
pourraient pas suivre. C’est précisément là que gît une
difficulté : si, pour bien présenter sa pensée, le conférencier a
besoin de citer ou exposer un objet dont la connaissance ou la
compréhension sont réservées à ceux qui ont fait des études d’un
degré un peu élevé ou un peu spécial, il lui faut échapper à
deux dangers : 1° citer ou exposer l’objet sans se soucier des
ignorants. Ceux-ci, alors, cesseraient de l’écouter. 2° Donner
une définition, une explication à la portée des primaires. Ce
procédé irrite les fortunés de l’instruction ; ils déclarent
être venus perdre leur temps à écouter des choses que tout le
monde connaît
C’est
ici que devra jouer l’habileté de l’orateur pour se faire
comprendre des humbles, leur donner le lait qui leur est nécessaire
et le faire de telle façon que les favoris des enseignements
secondaire et supérieur y trouvent eux-mêmes de l’intérêt.
Le
conférencier doit embrasser son auditoire et veiller à ce qu’il
n’y ait pas dans la salle un seul auditeur qui n’ait reçu cette
impression qu’à certains moments, c’est à lui que l’orateur
parlait.
Le
choix du sujet est plus limité pour la conférence que pour la
causerie puisqu’il doit intéresser plus d’auditeurs.
Il
est des qualités également indispensables à la conférence et à
la causerie comme, par exemple, la sincérité, l’amour du sujet,
la sensibilité. Que l’orateur s’adresse à mille ou à dix mille
auditeurs, ils ne participeront à son émotion qu’en en sentant
l’authenticité. Il pourra, par du cabotinisme, arracher un cri de
haine , ou d’amour à son auditoire, mais l’adhésion profonde,
la communion ne seront atteintes que si l’auditoire s’est associé
instinctivement aux vibrations profondes de sa conscience. Nous
venons d’indiquer des généralités, mais il y à dans les
qualités requises, des spécialités comme, par exemple, celles de
la conférence contradictoire. Dans : ce cas il y a, au plus, trois
états différents pour l’orateur : il peut être le conférencier,
le contradicteur ou l’intervenant.
Conférencier,
il parle le premier et doit traiter le sujet aussi complètement que
possible. Il aura le souci de prévoir tous les arguments opposables
à sa thèse et d’y répondre par anticipation. Cette partie de la
conférence est parmi les plus difficiles car il répugne aux esprits
fins d’entendre répondre à une question qui n’a pas été
posée. Le conférencier devra donc user de diplomatie soit en
répondant à des questions ou objections situées dans le passé,
soit en donnant de telles explications que la question ou l’objection
ne puissent être formulées sans ridicule.
Le
contradicteur se croit trop souvent autorisé à intervenir sans
préparation, comptant uniquement sur l’inspiration provoquée par
les paroles du conférencier. C’est à cause de cette paresse que
les conférences contradictoires sont encombrées de banalités, de
lieux communs, de digressions. Le contradicteur, précisément parce
qu’il ne sait pas, le plus souvent, sur quel terrain se placera le
conférencier (on peut traiter un sujet de tant de points de vue
différents tout en servant un même parti pris !) doit avoir une
connaissance à la fois générale et profonde du sujet. Seul
l’intervenant, puisque son rôle est épisodique, a le droit de ne
compter que sur son inspiration. Le plus souvent il n’appartient à
aucun des deux camps en présence, il a une opinion mixte ou tierce.
Nous
croyons que l’intervenant le plus intéressant est celui qui comble
une lacune, qui apporte à la tribune un fait, une date, une
précision à quoi les deux principaux orateurs n’avaient pas
pensé.
Nous
en tenant à notre définition, il convient de considérer comme
conférences les discours des parlementaires, les professions de foi,
les discours académiques, les sermons. Le Sermon sur la Montagne
(Matt. V. VI. VII.) quelle qu’en soit l’authenticité, est une
pure merveille de fond ; les sermons de Bossuet et, plus
spécialement, ses oraisons funèbres sont des merveilles de forme...
et d’habileté diplomatique.
Un
cours est une conférence pédagogique ou didactique.
Comme
conférences contradictoires citons les plus célèbres : Jésus
discutant à douze ans avec les docteurs (enseigneurs) de la loi, les
controverses entre papistes et réformistes au temps de la Réforme,
Colloque de Poissy, Colloque de Bade, Conférence de Suresnes (entre
Henri IV et les ligueurs) mais ici nous nous trouvons sur le terrain
de la conférence diplomatique.
Les
clubs révolutionnaires, Feuillants, Cordeliers, Girondins, Jacobins,
furent les champs-clos d’ardentes joutes oratoires qui furent des
conférences contradictoires. La lice oratoire n’a, d’ailleurs,
jamais cessé d’exister depuis, sous la forme de clubs et les plus
célèbres de notre époque sontLe Faubourg, La Tribune des Femmes et
les Insurgés.
Ces
clubs remplacent actuellement pour le peuple curieux de savoir, les
universités populaires qui ont à peu près disparu bien avant la
guerre de 1914 et qui, depuis, n’ont repris vie de façon
indiscutable qu’à Saint-Denis où une université populaire à des
manifestations vitales presque égales à celles de l’université
populaire du Faubourg Saint-Antoine, qui fut le modèle du genre.
Il
est désirable qu’elles renaissent avec toute leur ampleur car
elles répondent à un besoin réel. A l’heure où nous écrivons,
des libertaires de toutes nuances s’unissent our fonder une
université populaire qui portera le titre de : « Maison de la
Pensée Les universités populaires sont des outils précieux parce
que la force du verbe s’y manifeste sous tous ses aspects :
conférences, causeries, cours, débats, théâtre, etc. Voyons
maintenant l’emploi du mot dans un sens qui s’éloigne un peu de
notre définition : on nomme souvent conférence une consultation de
médecins au chevet d’un malade de marque.
Une
consultation entre nations ou entre partis est aussi nommée une
conférence. La plus célèbre de ces forces malhonnêtes est la
conférence pour la paix. Ses accès, comme ceux du paludisme aigu
.sont pernicieux, subintrants, récidifs.
Dans
le même genre de farces tragiques il convient de classer les
conférences entre patrons et les comités de grèves.
Nous
éloignant encore du sens que nous avons adopté, les congrès sont
souvent appelés conférences.
Enfin,
les fondateurs du méthodisme ont, les premiers, donné le nom de
conférence à leur conseil d’administration et certaines sectes
protestantes suivent encore cet exemple.
La
conférence, pour en revenir à notre définition, étant la
manifestation la plus étendue de la puissance du verbe, le
conférencier peut faire un très grand mal comme il peut faire un
très grand bien.
Celui
qui monte à la tribune doit donc avoir conscience de sa
responsabilité et, mieux et plus simplement : une conscience.
Raoul
ODIN.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire