Assemblée
de gens ayant pour mission de délibérer sur des intérêts communs.
Les Congrès se différencient des Assemblées ordinaires, de
ce fait qu’ils ne sont convoqués qu’à des périodes
indéterminées et assez éloignées les unes des autres. Un Congrès
ne siège jamais en permanence. Il y a plusieurs catégories de
Congrès, et leur importance est relative aux questions qui y sont
traitées et aux sujets qui y sont débattus. Nous avons tout d’abord
les Congrès diplomatiques, dont les acteurs sont les représentants
de différentes nations ayant des conflits à régler. Les
représentants des dites nations ont ordinairement comme mandat, de
défendre les intérêts généraux de leur pays, et de chercher un
terrain de conciliation pour éviter les ruptures qui sont les
prémices de 1a guerre ; c’est du moins ce que l’on dit au peuple
; mais, en réalité, les diplomates et les ambassadeurs s’acquittent
de leur besogne, sans s’inquiéter aucunement des intérêts
généraux de la nation, mais simplement de ceux d’une infime
minorité qui tire les ficelles de la politique. Lorsque ces
Messieurs de la diplomatie ont du temps à perdre, ils s’attaquent
parfois à des questions d’ordre sentimental ; c’est ainsi qu’au
Congrès de Genève, en 1863, ils accouchèrent d’une convention
internationale neutralisant les blessés en temps de guerre et que en
1878, le Congrès de Saint-Pétersbourg prononça l’interdiction de
l’emploi des balles explosives. Nous savons comment ces conventions
furent respectées, et le cas que l’on fit, entre 1914 et 1918, des
décisions de Genève et de Pétersbourg. En France, on appelle
également « Congrès », la réunion de la Chambre des députés et
celle du Sénat, lorsqu’il faut élire un nouveau président de la
République, ou modifier la constitution. Ce Congrès se réunit au
Palais de Versailles. Mais il se tient d’autres Congrès que ceux
d’essence politique et diplomatique, et, bien qu’ignorés du
public, ils offrent cependant un intérêt autrement appréciable que
les premiers. Ce sont les Congrès de savants, qui enregistrent les
découvertes récentes et dans lesquels les hommes de science se
concertent pour étudier les phénomènes de la nature et, en
unissant leurs connaissances, arriver à poursuivre l’oeuvre de
civilisation ; ce sont les Congrès de médecins, dans lesquels on
travaille pour alléger et abréger les souffrances physiques de
l’individu et ce sont, enfin, les Congrès ouvriers, où le
travailleur cherche son orientation et les moyens utilisables pour
lutter contre le capital et l’abolir. Nous dirons donc, s’il nous
faut donner une définition, de ce qu’est un « Congrès » : que
c’est la réunion de délégués d’une nation, d’un parti
politique, d’une organisation syndicale ou philosophique ; et que
son rôle est d’enregistrer le travail accompli dans le passé, de
souligner une situation de fait et de déterminer une situation et un
travail d’avenir.
Quelles
que soient les imperfections, dues plutôt à la manière qu’à
l’esprit dans lequel il est organisé, le Congrès est l’unique
forme de représentation en usage dans les organisations de réforme
sociale, et si les résultats que l’on pouvait en espérer ont
souvent été négatifs, c’est que, même dans les associations
d’avant-garde, on ne s’est pas encore libéré des pratiques
politiques, que la « manoeuvre » y est d’une pratique courante et
que l’on cherche trop souvent à satisfaire son petit orgueil par
une victoire oratoire, sans songer aux intérêts profonds de la
classe ouvrière.
Il
y a, en France, deux importantes organisations prolétariennes : la
Confédération générale du Travail et la Confédération générale
du Travail unitaire. La ligne de conduite de ces organisations est
déterminée par le Congrès, qui se réunit tous les deux ou trois
ans, et plus souvent, si la nécessité s’en fait sentir. Il est
évident qu’il serait préférable que ces Congrès nationaux
fussent convoqués à. des dates plus rapprochées les unes des
autres ; mais on sait les frais qui sont occasionnés par le
déplacement de centaines de délégués ; nous ne devons pas oublier
que nous sommes en régime capitaliste, et que les caisses des
organisations ouvrières sont plus souvent vides que pleines. Les
délégués à ces Congrès sont désignés par l’Assemblée
générale de leur organisation particulière, et y sont également
représentées les diverses fédérations d’industrie ou de région
; ces fédérations n’ont pas voix délibératives, mais
consultatives. Nous pouvons donc considérer que dans son esprit, la
représentation est assez logique, et qu’il serait difficile de
faire mieux dans la situation présente de l’organisation ouvrière
et sociale. Les délégués au Congrès doivent s’inspirer des
désirs de leurs mandants, pour approuver ou désapprouver le travail
et la politique du bureau qui, ordinairement, fut désigné par le
Congrès précédent et qui accepte, secondé par une Commission
exécutive, la responsabilité de l’organisation, durant la période
qui sépare deux Congrès ; d’autre part, les représentants des
organisations ont à charge, toujours en s’inspirant de l’esprit
des organisations qui les ont mandatés, de déterminer la ligne de
conduite future de l’organisation nationale. Nous avons dit plus
haut, que la façon dont sont organisés les congrès ouvriers
n’était pas exempte de critiques. Il est, en effet, regrettable de
constater qu’il arrive fréquemment que des « chefs »
d’organisation usent du pouvoir et de l’autorité dont ils
disposent pour s’imposer à la masse, et manoeuvrent de telle
manière qu’il est impossible de les déloger des fonctions qu’ils
occupent et qu’ils entendent conserver indéfiniment. Ce sont des
travers qui ne seront vaincus que par l’éducation des travailleurs
qui, prenant leurs responsabilités, n’attendront pas leur
libération de la venue d’un messie quelconque. Sans remonter bien
haut dans l’histoire prolétarienne de la France, il faut cependant
citer, car il exerça une réelle influence sur la vie et sur
l’action du Prolétariat, le Congrès d’Amiens qui, en 1906,
traça les droits et les devoirs de la classe ouvrière, détermina
le but qu’elle poursuivait et élabora une charte restée célèbre
dans le monde syndical.
Depuis
la fin de la « Grande guerre », différents Congrès nationaux se
sont réunis ; celui de 1919 mérite une mention particulière,
parce qu’il fut celui où Jouhaux, secrétaire de la Confédération
générale du Travail exposa et chercha à légitimer les déviations
dont il s’était rendu coupable durant la guerre ; et aussi parce
que ce Congrès marqua l’aube de la division du Prolétariat
français, qui devait s’effectuer au Congrès suivant, à Lille.
Deux tendances s’affrontèrent à ce quatorzième Congrès, qui
tint ses assises dans la ville de Lyon, et les principes du
réformisme et de la collaboration de classe sortirent victorieux de
la bataille. Il est curieux de relire les déclarations du secrétaire
de la C.G.T., qui défendit avec chaleur son attitude guerrière et
les relations qu’il noua au cours de la boucherie, avec les
représentants officiels des divers gouvernements. Le Congrès de
Lyon ne fut qu’une préface ; insensiblement, la classe ouvrière
ouvrit les yeux et comprit son erreur ; elle se sépara petit à
petit des chefs réformistes qui voulaient éteindre le flambeau qui,
durant des années, avait éclairé le prolétariat, mais ceux-ci se
mirent sur la défensive, et par un statut arbitraire éliminèrent
de l’organisation syndicale, les ouvriers et les syndicats qui
refusaient de se courber sous le joug des dirigeants. Les forces
prolétariennes furent coupées en deux et la scission fut consommée
au Congrès de Lille.
Il
se forma par la suite, en conformité avec le Congrès qui se tint à
Paris, en décembre 1921, une nouvelle confédération ouvrière, qui
prit le nom de Confédération générale du Travail unitaire, et qui
ne tarda pas à grouper plusieurs centaines de milliers de
travailleurs. Depuis cette date, toutes les tentatives pour regrouper
les forces éparses de la classe ouvrière sont restées inopérantes.
Dans chaque Congrès, des motions d’unité sont présentées et
votées par les délégués du prolétariat, mais il semble que ces
congrès soient guidés par des forces occultes et l’application de
ces motions reste vaine. Le mal dont souffrent les organisations
politiques a pénétré dans le giron du prolétariat, et les Congrès
ouvriers n’offrent plus un caractère particulier, mais sont le
théâtre de luttes politiques qui affaiblissent le prolétariat.
Il
nous faut dire quelques mots sur les Congrès anarchistes et plus
particulièrement sur ceux qui ont déterminé le mouvement
anarchiste à son origine. C’est en 1873, que l’on doit fixer la
naissance de l’anarchisme en tant que mouvement ; car si,
antérieurement, les partisans d’une société anti-autoritaire
travaillaient en collaboration avec les éléments révolutionnaires
de l’Association internationale des Travailleurs, c’est en 1873
qu’ils se désolidarisèrent d’une façon catégorique des
défenseurs du principe d’autorité. La résolution qui fut
présentée au Congrès anarchiste de Berne, qui se réunit en 1876,
résolution qui fut acceptée par tous les délégués présents
mérite d’être citée :
—
1° Plus de
propriété, guerre au capital, aux privilèges de toute sorte et à
l’exploitation de l’homme par l’homme ; — 2° Plus de patrie,
plus de frontière et de lutte de peuple à peuple ; — 3° Plus
d’État, guerre à toute autorité dynastique ou temporaire, et au
parlementarisme ; — 4° La révolution sociale doit avoir pour but
de créer un milieu dans lequel désormais l’individu ne relèvera
que de lui-même, sa volonté régnant sans limites et n’étant pas
entravée par celle du voisin.
Pour
bien préciser les buts de l’Anarchisme, Elisée Reclus faisait
adopter, en 1878, au troisième Congrès anarchiste qui tint ses
assises à Fribourg, la résolution suivante :
«
Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons la justice...
Jamais un progrès ne s’est accompli par simple évolution
pacifiste, et il s’est toujours fait par une évolution soudaine.
Si le travail de préparation se fait avec lenteur dans les esprits,
la réalisation des idées se fait brusquement. Nous sommes des
anarchistes qui n’ont personne pour maîtres et ne sont les maîtres
de personne. Il n’y a de morale que dans la liberté. Mais nous
sommes aussi des communistes internationaux, car nous comprenons que
la vie est impossible sans groupement social. » Ces deux Congrès
sont, à nos yeux, les plus importants, car ils établirent ce que
l’on pourrait appeler une charte anarchiste. Il y eut par la suite,
d’autres Congrès anarchistes, et notamment celui d’Amsterdam, en
1907, où Malatesta essaya de rapprocher les anarchistes
individualistes et communistes, et tenta également de jeter les
bases d’une internationale anarchiste. Malheureusement, ces
tentatives échouèrent et, depuis, les anarchistes disséminés de
par le monde n’ont eu entre eux que des relations par
correspondance. Il faut espérer que la faillite des partis
politiques donnera un renouveau d’énergie aux anarchistes, et que
bientôt, unis nationalement et internationalement, ils se
retrouveront dans les Congrès qui n’auront plus à jeter les bases
de l’anarchisme théorique, mais à rechercher les moyens les plus
propices pour abolir le capital et élaborer sur ses ruines une
société libertaire de laquelle aura disparu l’autorité.
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