La
Constitution dit le Larousse est la « loi fondamentale d'une nation
». Elle est en effet l'ensemble des règlements qui régissent un
pays. En France, depuis la Révolution de 89, une douzaine de
Constitutions virent le jour et la dernière date de 1875 et c'est
encore en son nom que nous sommes gouvernés actuellement.
La
Constitution de 1791 déclarait que la France était représentée
par le Corps Législatif et par le roi, mais à la déchéance de
Louis XVI et lorsque la monarchie fut abolie et remplacée par la
République, une nouvelle Constitution devint nécessaire. Elle fut
décrétée le 24 juin 1793 et acceptée le 10 août de la même
année, mais elle ne fut jamais mise en vigueur car la République en
ébullition et attaquée par ses ennemis intérieurs et extérieurs
ne pouvait pas trouver le temps de s'arrêter à un système fixe ;
la Convention se rallia au rapport présenté par Saint-Just et
décréta que le Gouvernement serait révolutionnaire jusqu'à la
paix. Il n'est pas inutile de retracer quelques passages du rapport
présenté à la Convention par Hérault de Séchelles qui rédigea
la Constitution de 93. Un réel souci de liberté et de fraternité
avait animé l'auteur de ce travail qui pêche cependant à sa base ;
qu'on en juge par la conclusion : « Si, dans la moitié des
départements plus un, le dixième des Assemblées primaires de
chacun d'eux, régulièrement formées, demandent la révision de
l'acte constitutionnel, le Corps législatif est tenu de convoquer
toutes les Assemblées primaires de la République pour savoir s'il y
a lieu de recourir à une convention nationale. Enfin la constitution
garantit à tous les Français : l'égalité, la sécurité, la
propriété, la dette publique, des secours publics, le libre
exercice des cultes, une instruction commune, la liberté indéfinie
de la presse, le droit de pétition, le droit de se réunir en
Société populaire, la jouissance de tous les droits de l'homme. »
Les
révolutionnaires de 93 ne comprirent pas que du fait même que la
propriété subsistait, tous les autres articles de leur charte
devenaient caducs et que la propriété qui avait été arrachée à
la noblesse, n'allait pas servir à un meilleur usage entre les mains
de ses nouveaux détenteurs. Lorsque la révolution fut écrasée et
que les éléments bourgeois dominèrent à nouveau, on vit naître
en 1795 une nouvelle Constitution qui fut abolie à son tour et
remplacée par la Constitution de l'an VIII qui tua la République.
Ensuite ce fut l'Empire et la Restauration et plus tard la Révolution
de 1848 qui proclama à nouveau la République. Le 4 novembre 1848 la
Constitution de la République fut promulguée ; le préambule mérite
d'être cité.
«
La France s'est constituée en République. En adoptant cette forme
définitive de gouvernement, elle s'est proposé pour but de marcher
plus librement dans la voie du progrès et de la civilisation,
d'assurer une répartition de plus en plus équitable des charges et
des avantages de la société, d'augmenter l'aisance de chacun par la
réduction des dépenses publiques et des impôts, et de faire
parvenir tous les citoyens sans nouvelles commotions, par l'action
successive et constante des institutions et des lois, à un degré
toujours plus élevé de moralité, de lumière et de bien-être. La
République française est démocratique une et indivisible. Elle
reconnaît des droits et des devoirs antérieurs et supérieurs aux
lois positives. Elle a pour principes : la liberté, l'égalité et
la fraternité. Elle a pour bases : la famille, le travail, la
propriété, l'ordre public. Elle respecte les nationalités
étrangères, comme elle entend faire respecter la sienne ;
n'entreprend aucune guerre dans des vues de conquête, et n'emploie
jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple. Les citoyens
doivent aimer la patrie, servir la République, la défendre au prix
de leur vie, participer aux charges de l'État en proportion de leur
fortune ; ils doivent s'assurer par le travail, des moyens
d'existence, et par la prévoyance des ressources pour l'avenir ; ils
doivent concourir au bien-être commun en s'entraidant
fraternellement les uns les autres, et à l'ordre général en
observant les lois morales et les lois écrites qui régissent la
société, la famille et l'individu. La République doit protéger le
citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion, sa propriété,
son travail, et mettre à la portée de chacun l'instruction
indispensable à tous les hommes ; elle doit, par une assistance
fraternelle, assurer l'existence des citoyens nécessiteux, soit en
leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en
donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors
d'état de travailler. » Dans ce préambule se cristallise toute la
démocratie, et si les formes de la Constitution de 48 ont été
abrogées par la Constitution de 1852 et celle de 1875, l'esprit de
cette dernière conserve toujours en son sein l'erreur fondamentale
qui consiste à croire que la liberté peut exister dans un
régime
où l'inégalité économique, issue de la propriété, est la base
même de ce régime. On comprendrait encore que les Révolutionnaires
de 93 eussent commis la faute grave de ne pas comprendre qu'il ne
peut y avoir de liberté et de fraternité tant que la transformation
économique de la société ne se sera pas réalisée ; mais on ne
peut accorder ces circonstances atténuantes aux démocrates de 48 et
de 75 qui avaient pour se guider l'exemple du passé et l'expérience
de la demi-douzaine de Constitutions qui avaient été inopérantes à
établir un régime stable et fraternel. II faut donc en conclure que
la Constitution est une belle page de rhétorique, rédigée en
connaissance de cause, par des parlementaires attachés à la
conservation de la propriété et qui ne voulaient en aucun cas que
les classes pauvres se libèrent du joug de l'exploitation. Que le
peuple se laisse griser par ses espérances démocratiques et que la
Constitution lui donne l'illusion de la Liberté et de la Fraternité,
cela ne fait aucun doute. La charte de 1875, qui déclare que « tous
les citoyens sont égaux devant la loi », et que cette loi ne peut
être que l'expression de la volonté populaire puisqu'elle est
élaborée par les représentants du peuple élus par ce dernier au
suffrage universel, découle de raisonnements captieux. « Égalité
devant la loi » ne veut pas dire « Égalité en soi » et la
Liberté dans la loi n'est pas « La Liberté » ; et puisque la loi
en vertu même de la Constitution dont elle n'est qu'une dérivation,
défend la « propriété » contre ceux qui voudraient l'attaquer,
la Constitution et la loi, quelles que
soient
les formules employées, ne peuvent être une source de liberté,
d'égalité et de fraternité. On ne peut arriver « à un degré
plus élevé de moralité, de lumière et de bien-être » tant que
la Société reposera sur le Capitalisme ; voilà la vérité de
laquelle il faut s'inspirer. Lorsque Lamennais pose la question : «
Qu'est aujourd'hui le prolétaire à l'égard du capitaliste ? », il
y répond avec une simplicité brutale mais précise : « Un
instrument de travail ». « Affranchi par le droit actuel,
légalement libre de sa personne, il n'est point, il est vrai, la
propriété vendable, achetable de celui qui l'emploie. Mais cette
liberté n'est que fictive. Le corps n'est point esclave, mais la
volonté l'est. Dira-t-on que ce soit une véritable volonté que
celle qui n'a le choix qu'entre une mort affreuse, inévitable et
l'acceptation d'une loi imposée ? » « Les chaînes et les verges
de l'esclave moderne, c'est la faim. » Et nous pouvons ajouter que
ces chaînes et ces verges, sont le travail de la Constitution qui
les fabrique pour la Bourgeoisie et le Capital.
Les
sociétés sont construites sur des iniquités politiques et
économiques et l'on peut dire que les iniquités politiques sont
engendrées par les iniquités économiques. Toute Constitution
sociale qui ne détruira pas l'iniquité économique n'aura rien
fait, et ce sera l'éternel recommencement comme ce le fut depuis 93.
Que peuvent les belles phrases, les formules pompeuses, les
déclarations ronflantes, la sincérité des intentions même, si
tout l'ordre économique s'oppose à la liberté et au bien-être
collectif. Il ne suffit pas d'écrire sur les murailles des
monuments, d'enseigner aux enfants que les hommes sont libres et
égaux alors que la réalité de la vie se charge bien vite de
dessiller les yeux. Il n'y a de bonheur possible que dans la liberté
et l'égalité. Or, la liberté et l'égalité ne se donnent pas par
une Constitution plus ou moins élastique ; elles se prennent, elles
se gagnent par la lutte, par la volonté de vaincre et du jour où la
Liberté ne sera plus un vain mot, il n'y aura pas besoin de
Constitution pour nous le rappeler, car elle se manifestera par sa
Grandeur et sa Beauté.
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