L’Argentine,
une coupe du monde de football pour masquer une dictature :
La
remise en cause de la société capitaliste à travers la critique du
spectacle sportif, drainant des sommes fabuleuses (retransmission
télévisuelle, recettes publicitaires, implications des
multinationales…) se fait aussi en critiquant le développement du
chauvinisme ou la violence dans les stades.
Des
critiques plus ou moins radicales du sport de compétition existent
depuis des années à travers des courants et des revues comme : «
Quel Corps ? » (animée par Jean-Marie Brohm), « Le
chrono enrayé » ( l’Ecole Emancipée) ou « Le contre
pied
» ( Mouvement Football-Progrès ).
Dès
1968 la revue « partisans » publiée par François Maspéro,
sort en juillet-septembre son n°43 intitulé « sport, culture
et répression ». Nous trouvons notamment des articles
signés de Pierre Laguillaumie, Herbert Marcuse, Jean-Marie Brohm…
Ce n° de Partisans est en quelque sorte le creuset, le point de
départ d’une critique radicale du sport dont Jean-Marie Brohm
militant trotskiste à l’origine et qui passera par l’école
émancipée (une tendance syndicale de la FEN qui publie Le chrono
enrayé) évoluera vers le freudo-marxisme, l’école de Francfort
et les thèses de Wilhelm Reich.
Brohm
publiera en 1976 : « Sociologie politique du sport », puis
de très nombreux ouvrages dont : « Le mythe olympique »
-1981-, « Les meutes sportives » -1993-, « L’opium
sportif – La critique radicale du sport de l’extrême gauche
à Quel Corps ? » -1997-, « L’empire football » en
1982 (avec Michel Beaulieu et Michel Caillat), « Le
football une peste émotionnelle : La barbarie des stades »
(en collaboration avec Marc Perelman) en 2006- …
Il
est en 1975 à l’origine de la revue « Quel Corps » qui publiera
52 numéros entre 1975 et 1997 date de son autodissolution (voir : «
Et maintenant, Quel Sport ? :
Petite généalogie d’une tradition critique » par
Boris Maquet.
Ce
courant fera une critique et une déconstruction systématique de
toutes les grandes rencontres sportives (coupes du monde, jeux
olympiques, euro de foot…) des années 30 aux années 2016…
PCF,
FSGT… et le Miroir du football
Depuis
les années 30 le sport est pour le PCF un enjeu très important et
il soutient la FSGT -Fédération sportive et gymnique du travail-
qui est « une fédération omnisports créée en 1934 par fusion
de la Fédération sportive du travail proche de la Section française
de l'internationale communiste et de l'Union des sociétés sportives
et gymnique du travail proche de la Section française de
l'internationale ouvrière. Elle est affiliée à la Confédération
sportive internationale du travail et au Comité national olympique
et sportif français. » (sources
Wikipédia).
Le
PCF aura une influence importante dans le milieu sportif et notamment
dans la presse spécialisée comme « Miroir du football » édité
d’octobre 1958 au 26 septembre 1979 (voir
chapitre 7)
Du
Stade lamballais au Mouvement Football Progrès
Du
début des années 60 au milieu des années 80, Le Stade lamballais,
petit club des Côtes d’Armor, expérimente un « autre football »,
résolument tourné vers l’offensive et axé sur le plaisir de «
créer ensemble ». Jean-Claude Trotel (décédé
en septembre 2012 à l’âge de 75 ans) est un ancien joueur du «
Stade lamballais » basé à Lamballe dans les Côtes d'Armor, en
Bretagne. Il collabore au journal Le Miroir du football.
C’est
le 18 décembre 1973, notamment sous l’impulsion de Jean-Claude
Trotel qu’est crée le Mouvement Football Progrès avec quelques
clubs bretons dont surtout le Stade Lamballais et quelques équipes
parisiennes. « Tous étaient favorables au jeu offensif et
reprennent ainsi le flambeau du Miroir du football et des enragés de
mai 1968. » (source : Le petit footeux )
Voir
également :
Le
mai 68 des footballeurs français par Alfred Wahl
Les
« principes » du Miroir paru dans CQFD n°123 (juin 2014),
rubrique Le dossier, par Nicolas Rami
Quelques
livres sur le foot (liste non-exhaustive) :
-
Les Enragés du football: L'Autre Mai 68 -Par Faouzi Mahjoub,
Alain Leiblang, François-René Simon -Edition Calmann -Levy - 2008-
-
Les intellectuels et le football, Marc Perelman, Les Editions de
la Passion, 2002
-
Football je t'aime moi non plus - Le football : l'art ou la guerre ?
-par Jean-Claude Trotel – Editions l'Harmattan - Décembre
2000-
-
« Eloge de la passe – Changer le sport pour
changer le monde » 2012 -Les éditions libertaires-
-
Dribleurs de l'indépendance :
L'incroyable histoire de l'équipe de football du FLN algérien -de
Michel Nait-Challal (Auteur), Rachid Mekloufi (Préface) –Editions
Prolongations – avril 2008
La
coupe du monde de foot en Argentine (1978) et le COBA
Des
militants rassemblés depuis 1975 au sein du Comité de Soutien aux
Luttes du Peuple Argentin (CSLPA), appellent au boycott
de cet événement. Ils sont à l’origine de la constitution le 17
décembre 1977 du COBA, comité pour le boycott de l’organisation
par l’Argentine de la coupe du monde de football.
Le
général Videla fait un coup d’Etat en Argentine
Le
24 mars 1976 Videla arrive au pouvoir en Argentine par un coup d’Etat
militaire. La répression pendant les années de la dictature
(1976-1983) c’est 30 000 morts et 20 000 disparus. C’est les
opposants torturés à la scie électrique.
Au
sujet de cette période noire en Argentine, voir le
témoignage d'Alain Dantou : de Philippe
Lorino et de son épouse Béatrice
Le
COBA lance une campagne pour le boycott…
La
campagne du COBA contre la coupe du monde en Argentine, va démarrer
par le lancement d’une pétition début 1978 appelant au nom de la
solidarité avec le peuple argentin au boycott de la coupe du monde
en Argentine soumise à une dictature sanglante.
«
l'appel au boycott recueille plus de 150 000 signatures, dont
celles de personnalités aussi diverses que Louis Aragon, Roland
Barthes, Bertrand Tavernier, Jean Lacouture, Marguerite Duras ou Yves
Montand ; 200 COBA locaux se constituent sur le territoire français
; » (…) « Du reste, même si la capitale compte une
trentaine de
groupements
de quartier ou d'arrondissement, le COBA ne se résume pas à une
expression parisienne : la mobilisation est relayée grâce à
l'essaimage des comités en province. Les foyers locaux d'expression
de la mobilisation sont variés. » (…) « Ces initiatives,
développées à partir d'un " débat-information Mundial 78 ",
qui se tient mi-février à Paris, visent la création et la
coordination de comités lycéens - et même collégiens - en plus
des étudiants. En outre, les matches de football, quel que soit le
niveau des rencontres, deviennent de potentielles tribunes
d'expression de la contestation favorable au boycott qui utilisent le
même répertoire d'action que dans les lycées : distribution de
tracts, diffusion de pétitions, vente du pastiche L'Epique. »
(…) « les numéros 3 et 4 du journal L'Epique réalisés par le
COBA sont vendus à plus de 120 000 exemplaires. » (…) «
Enfin, les manifestations constituent des temps forts du
mouvement. Les grandes villes régionales en sont le théâtre tout
au long du mois de mai 1978 : Lyon, Grenoble, Bordeaux, Nantes,
Dijon. La plus importante d'entre elles se déroule à Paris, le 31
mai : 8 000 personnes y prennent part.
Cette
réussite inattendue rend cet épisode particulièrement révélateur
puisque des protagonistes issus de milieux très diversifiés -
sportifs, intellectuels, militants politiques et syndicaux,
journalistes - se trouvent mis en demeure de se positionner, d'abord,
quant à l'opportunité de l'organisation de la coupe du monde par
l'Argentine, mais aussi, plus généralement, quant à l'articulation
à leurs yeux légitime des ordres sportif et politique. ».
(Sources : LMS –Le Mouvement Social- n°230 en 2010 -éditions La
Découverte-Article : « La coupe est
pleine Videla ! Le
Mundial
78 entre politisation et dépolitisation » par
Jean-Gabriel Contamin, Olivier Le Noé –pages 27 à 46-). Ces
extraits montrent que la campagne du COBA (dont le président était
le journaliste François Gèze) fut loin d’être groupusculaire.
De
plus elle obligera les forces politiques, syndicales, sportives à se
positionner vis-à-vis de l’Argentine et du boycott. Le FN
affichera même « Oui au Mundial 78 en Argentine –
Vive l’équipe de France » et « Non à la politique
dans le sport » (sic)
Le
sélectionneur de l’équipe de France, Michel Hidalgo fut également
interpellé sur le sujet (et même une tentative d’enlèvement eu
lieu le 23 mai 1978). Dominique Rocheteau de l’AS St-Etienne fut
sélectionné pour le mundial 78. Il est partagé entre ses
convictions politiques et les limites de son action dans le cadre de
l’équipe de France. Dans son autobiographie : (On m'appelait
l'Ange Vert, le Cherche-Midi, 2005.) D. Rocheteau rappelle sa
proximité marquée avec la Ligue Communiste Révolutionnaire (p.
146).
«
le refus du boycott du fait de sa supposée inefficience ; enfin,
la quête de modes d’action alternatifs supposés
plus efficaces : « Je suis convaincu de la nécessité
d’agir, d’une manière ou d’une autre,
pour déclencher une prise de conscience collective [...]. Sous
quelle forme ? Je ne le sais pas encore [...]. Quelqu’un a
suggéré de porter un brassard noir à l’occasion du
premier match pour manifester notre désapprobation à l’égard
du régime. Pourquoi pas ? ». Ce récit a cette vertu
supplémentaire de souligner les difficultés auxquelles se heurtent
finalement les tenants sportifs de l'alternative au boycott. D'abord,
les réticences au sein du monde sportif lui-même. Rocheteau
rappelle que ses prises de position ne sont " pas du goût
de tout le monde ", alors même qu'" il n'est pas
question de jouer les francs-tireurs et de casser la solidarité du
groupe. Si nous menons une action, elle doit être collective ".
À l'époque, il fait d'ailleurs part de sa peur que cela lui
porte préjudice et de se faire " flinguer " »
(LMS n°230)
L’Argentine
et l’impérialisme français sont économiquement, politiquement et
militairement liés. C’est ce que montre notamment une brochure du
CSLPA de 1978 : « Argentine: L'impérialisme français en
question » et un tract du COBA « Non aux chars
de l’armée française sur le Larzac et en Argentine » qui
dénonce Giscard et ses ventes d’armes à Videla.
Quand
la France collaborait avec la dictature argentine
«
La liste serait trop longue
d’énumérer le nombre de ces hommes liés au pouvoir argentin,
anciens collaborateurs, anciens
OAS, racistes reconnus… » (…)
«
L’actuel ambassadeur, tout d’abord, en poste à Buenos Aires
depuis le coup d’état, François de la Gorce. C’est lui qui est
à l’origine des changements de personnel marqué en général à
droite ou à l’extrême droite. Le colonel Le Guen :
attaché militaire précédemment en Afrique du Sud. Anticommuniste
notoire il n’hésite pas à affirmer qu’il faut appuyer les
efforts de la junte pour une élimination physique totale de la
guérilla. Un des instruments de cette répression est
d’ailleurs la mission militaire française installée de façon
permanente (comme celle des USA) dans les locaux de l’armée. »
(…)
«
Les liens économiques dans ces conditions apparaissent dans toute
leur logique et sont de plus en plus importants : Ika Renault par
exemple est la première usine automobile du Pays. Peugeot Citroën,
Péchiney Rhône Poulenc, St Gobain sont également bien implantés.
Les
banques françaises, le Crédit Lyonnais surtout, prospèrent grâce
aux ventes d’armes. En octobre 76, un crédit de 30 millions
de dollars a été accordé à la junte sous la pression du
gouvernement français. » (Sources : Antirouille (mensuel)
n°24 –avril 1978- page 4-)
Certaines
organisations trotskistes, des libertaires et des
marxistes-léninistes, notamment le PCRML et le PCMLF, soutiendront
la campagne du COBA, mais pas l’ensemble de la ligne de J-M Brohm
et des freudo-marxistes (voir la liste de 40
articles de l’HR en annexe 56 et
la liste des articles du QDP en annexe 57).
L’Épique
(toujours imité jamais égalé)
Le
journal L’Épique (pastiche du célèbre quotidien du
sport) lancé en 1976, indique dans son numéro 000, être un
supplément à : Le Cri des Murs n°10, L’école émancipée –Le
chrono enrayé n°16, Politique Hebdo n°227, Révolution ! n°142,
Rouge n°76, Tribune Socialiste n°704 et des journalistes de
Libération à titre individuel.
Dés
1978, L’Épique soutiendra la campagne du COBA. Son
n°4 en date de juin 1978 précise qu’il a été réalisé par le
COBA avec le soutien des journaux suivants : Politique Hebdo, Rouge
(LCR), Barricades (mensuel jeunes LCR), L’Etincelle (OCT), L’Ecole
Emancipée et Le Chrono Enrayé, Quel Corps ?, Le Cri des Murs,
Commune (CCA), Antirouille, Non Violence Politique (MAN), La Gueule
Ouverte – Combat Non-Violent, Bulletin de Liaison CEDETIM,
Informations Ouvrières, Jeune Révolutionnaire, Quotidien du Peuple,
Humanité Rouge, Le Monde Libertaire, Tribune Socialiste, Tout le
Pouvoir aux Travailleurs.
Le
n°5 -février-mars 1980- de L’Epique, est sous-titré « Le
journal des Jeux Olympiques » et il est indiqué que « Ce
numéro de L’Epique a été réalisé par le COBOM ». Il est
le supplément à : L’Etincelle (OCT), Partis pris, La Gueule
Ouverte – Combat Non-Violent, Non Violence Politique (MAN), Tout le
Pouvoir aux Travailleurs (UTCL), Ecole Emancipée et Le Chrono
Enrayé, Quel Corps, Bulletin de Liaison CEDETIM, Histoires d’Elles,
La revue d’en face, Front Rouge (PCRml), Rebelles (UCJR),
L’Alternative, Le Quotidien du Peuple.
Le
boycott et le débat sur le foot
Le
débat sur le foot sera également évoqué dans la presse ML par
exemple dans l’HR –bimensuel- n°27 –du 16 mars au 13 avril
1978- qui présente « Le mouvement Football-progrès : Pour le
plaisir de jouer, rien que le plaisir » -page 29- ou dans Le
ML n°27-28 –juin juillet 78- : « Attaquons le foot
impérialiste » -pages 21-22- « Le ‘‘Mundial’’
des fascistes » - pages 22-23-
Le
COBA aura eu un impact certain, mais ne pourra pas empêcher la tenue
de la coupe du monde de foot en Argentine du 1er au 25 juin 1978.
Il
faut rappeler que l’ensemble des grandes organisations politiques
et syndicales de gauche –PS. PCF, CFDT et CGT- (s’ils sont
critiques, mais avec des nuances vis-à-vis du régime argentin)
étaient toutes contre l’idée du boycott et défavorable au COBA
(mis à part le SGEN-CFDT et le syndicat des correcteurs CGT).
Les
arguments mis en avant par le PCF occultaient ses raisons profondes
du refus de soutenir le COBA. Une de ces raisons était liée à
l’organisation des futurs Jeux Olympiques… à Moscou prévus pour
1980. Les liens et le soutien de l’URSS à l’Argentine ne font
que renforcer l’idée qu’il faut poursuivre l’action pour un
boycott des JO à Moscou –c’est sur cette base qu’est crée le
COBOM au début de l’année 1979- (voir
annexe 60)
Le
COBA structure unitaire ne tiendra pas après la coupe du monde
«
Le COBA peut se concevoir comme une expérience d'hybridation, une
rencontre de sensibilités militantes différentes sur le terrain du
football regroupant, outre les " Argentins " du
CSLPA, l'École Emancipée, Quel corps ?, des militants de la Ligue
communiste révolutionnaire, du SGEN-CFDT, de l'Organisation
communiste des travailleurs, du Parti socialiste unifié, des
journaux comme Rouge, Le Quotidien du Peuple, Libération, et ceux
que Quel corps ? nomme " des inorganisés ". L'alchimie
ne tient toutefois que le temps d'une mobilisation contre un "
Munich sportif " » (LMS 230).
Une
partie des initiateurs et des militants du COBA vont poursuivre leur
action en créant le COBOM en 1979.
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