mercredi 1 août 2018

Daniel Poncet Réformisme Deuxième gauche et lutte des classes


L’Argentine, une coupe du monde de football pour masquer une dictature :
La remise en cause de la société capitaliste à travers la critique du spectacle sportif, drainant des sommes fabuleuses (retransmission télévisuelle, recettes publicitaires, implications des multinationales…) se fait aussi en critiquant le développement du chauvinisme ou la violence dans les stades.
Des critiques plus ou moins radicales du sport de compétition existent depuis des années à travers des courants et des revues comme : « Quel Corps ? » (animée par Jean-Marie Brohm), « Le chrono enrayé » ( l’Ecole Emancipée) ou « Le contre
pied » ( Mouvement Football-Progrès ).
Dès 1968 la revue « partisans » publiée par François Maspéro, sort en juillet-septembre son n°43 intitulé « sport, culture et répression ». Nous trouvons notamment des articles signés de Pierre Laguillaumie, Herbert Marcuse, Jean-Marie Brohm… Ce n° de Partisans est en quelque sorte le creuset, le point de départ d’une critique radicale du sport dont Jean-Marie Brohm militant trotskiste à l’origine et qui passera par l’école émancipée (une tendance syndicale de la FEN qui publie Le chrono enrayé) évoluera vers le freudo-marxisme, l’école de Francfort et les thèses de Wilhelm Reich.
Brohm publiera en 1976 : « Sociologie politique du sport », puis de très nombreux ouvrages dont : « Le mythe olympique » -1981-, « Les meutes sportives » -1993-, « L’opium sportif – La critique radicale du sport de l’extrême gauche à Quel Corps ? » -1997-, « L’empire football » en 1982 (avec Michel Beaulieu et Michel Caillat), « Le football une peste émotionnelle : La barbarie des stades » (en collaboration avec Marc Perelman) en 2006- …
Il est en 1975 à l’origine de la revue « Quel Corps » qui publiera 52 numéros entre 1975 et 1997 date de son autodissolution (voir : « Et maintenant, Quel Sport ? : Petite généalogie d’une tradition critique » par Boris Maquet.
Ce courant fera une critique et une déconstruction systématique de toutes les grandes rencontres sportives (coupes du monde, jeux olympiques, euro de foot…) des années 30 aux années 2016…
PCF, FSGT… et le Miroir du football
Depuis les années 30 le sport est pour le PCF un enjeu très important et il soutient la FSGT -Fédération sportive et gymnique du travail- qui est « une fédération omnisports créée en 1934 par fusion de la Fédération sportive du travail proche de la Section française de l'internationale communiste et de l'Union des sociétés sportives et gymnique du travail proche de la Section française de l'internationale ouvrière. Elle est affiliée à la Confédération sportive internationale du travail et au Comité national olympique et sportif français. » (sources Wikipédia).
Le PCF aura une influence importante dans le milieu sportif et notamment dans la presse spécialisée comme « Miroir du football » édité d’octobre 1958 au 26 septembre 1979 (voir chapitre 7)
Du Stade lamballais au Mouvement Football Progrès
Du début des années 60 au milieu des années 80, Le Stade lamballais, petit club des Côtes d’Armor, expérimente un « autre football », résolument tourné vers l’offensive et axé sur le plaisir de « créer ensemble ». Jean-Claude Trotel (décédé en septembre 2012 à l’âge de 75 ans) est un ancien joueur du « Stade lamballais » basé à Lamballe dans les Côtes d'Armor, en Bretagne. Il collabore au journal Le Miroir du football.
C’est le 18 décembre 1973, notamment sous l’impulsion de Jean-Claude Trotel qu’est crée le Mouvement Football Progrès avec quelques clubs bretons dont surtout le Stade Lamballais et quelques équipes parisiennes. « Tous étaient favorables au jeu offensif et reprennent ainsi le flambeau du Miroir du football et des enragés de mai 1968. » (source : Le petit footeux )
Voir également :
Le mai 68 des footballeurs français par Alfred Wahl
Les « principes » du Miroir paru dans CQFD n°123 (juin 2014), rubrique Le dossier, par Nicolas Rami
Quelques livres sur le foot (liste non-exhaustive) :
- Les Enragés du football: L'Autre Mai 68 -Par Faouzi Mahjoub, Alain Leiblang, François-René Simon -Edition Calmann -Levy - 2008-
- Les intellectuels et le football, Marc Perelman, Les Editions de la Passion, 2002
- Football je t'aime moi non plus - Le football : l'art ou la guerre ? -par Jean-Claude Trotel – Editions l'Harmattan - Décembre 2000-
- « Eloge de la passe Changer le sport pour changer le monde » 2012 -Les éditions libertaires-
- Dribleurs de l'indépendance : L'incroyable histoire de l'équipe de football du FLN algérien -de Michel Nait-Challal (Auteur), Rachid Mekloufi (Préface) –Editions Prolongations – avril 2008
La coupe du monde de foot en Argentine (1978) et le COBA
Des militants rassemblés depuis 1975 au sein du Comité de Soutien aux Luttes du Peuple Argentin (CSLPA), appellent au boycott de cet événement. Ils sont à l’origine de la constitution le 17 décembre 1977 du COBA, comité pour le boycott de l’organisation par l’Argentine de la coupe du monde de football.
Le général Videla fait un coup d’Etat en Argentine
Le 24 mars 1976 Videla arrive au pouvoir en Argentine par un coup d’Etat militaire. La répression pendant les années de la dictature (1976-1983) c’est 30 000 morts et 20 000 disparus. C’est les opposants torturés à la scie électrique.
Au sujet de cette période noire en Argentine, voir le témoignage d'Alain Dantou : de Philippe Lorino et de son épouse Béatrice
Le COBA lance une campagne pour le boycott…
La campagne du COBA contre la coupe du monde en Argentine, va démarrer par le lancement d’une pétition début 1978 appelant au nom de la solidarité avec le peuple argentin au boycott de la coupe du monde en Argentine soumise à une dictature sanglante.
« l'appel au boycott recueille plus de 150 000 signatures, dont celles de personnalités aussi diverses que Louis Aragon, Roland Barthes, Bertrand Tavernier, Jean Lacouture, Marguerite Duras ou Yves Montand ; 200 COBA locaux se constituent sur le territoire français ; » (…) « Du reste, même si la capitale compte une trentaine de
groupements de quartier ou d'arrondissement, le COBA ne se résume pas à une expression parisienne : la mobilisation est relayée grâce à l'essaimage des comités en province. Les foyers locaux d'expression de la mobilisation sont variés. » (…) « Ces initiatives, développées à partir d'un " débat-information Mundial 78 ", qui se tient mi-février à Paris, visent la création et la coordination de comités lycéens - et même collégiens - en plus des étudiants. En outre, les matches de football, quel que soit le niveau des rencontres, deviennent de potentielles tribunes d'expression de la contestation favorable au boycott qui utilisent le même répertoire d'action que dans les lycées : distribution de tracts, diffusion de pétitions, vente du pastiche L'Epique. » (…) « les numéros 3 et 4 du journal L'Epique réalisés par le COBA sont vendus à plus de 120 000 exemplaires. » (…) « Enfin, les manifestations constituent des temps forts du mouvement. Les grandes villes régionales en sont le théâtre tout au long du mois de mai 1978 : Lyon, Grenoble, Bordeaux, Nantes, Dijon. La plus importante d'entre elles se déroule à Paris, le 31 mai : 8 000 personnes y prennent part.
Cette réussite inattendue rend cet épisode particulièrement révélateur puisque des protagonistes issus de milieux très diversifiés - sportifs, intellectuels, militants politiques et syndicaux, journalistes - se trouvent mis en demeure de se positionner, d'abord, quant à l'opportunité de l'organisation de la coupe du monde par l'Argentine, mais aussi, plus généralement, quant à l'articulation à leurs yeux légitime des ordres sportif et politique. ». (Sources : LMS –Le Mouvement Social- n°230 en 2010 -éditions La Découverte-Article : « La coupe est pleine Videla ! Le
Mundial 78 entre politisation et dépolitisation » par Jean-Gabriel Contamin, Olivier Le Noé –pages 27 à 46-). Ces extraits montrent que la campagne du COBA (dont le président était le journaliste François Gèze) fut loin d’être groupusculaire.
De plus elle obligera les forces politiques, syndicales, sportives à se positionner vis-à-vis de l’Argentine et du boycott. Le FN affichera même « Oui au Mundial 78 en Argentine – Vive l’équipe de France » et « Non à la politique dans le sport » (sic)
Le sélectionneur de l’équipe de France, Michel Hidalgo fut également interpellé sur le sujet (et même une tentative d’enlèvement eu lieu le 23 mai 1978). Dominique Rocheteau de l’AS St-Etienne fut sélectionné pour le mundial 78. Il est partagé entre ses convictions politiques et les limites de son action dans le cadre de l’équipe de France. Dans son autobiographie : (On m'appelait l'Ange Vert, le Cherche-Midi, 2005.) D. Rocheteau rappelle sa proximité marquée avec la Ligue Communiste Révolutionnaire (p. 146).
« le refus du boycott du fait de sa supposée inefficience ; enfin, la quête de modes d’action alternatifs supposés plus efficaces : « Je suis convaincu de la nécessité d’agir, d’une manière ou d’une autre, pour déclencher une prise de conscience collective [...]. Sous quelle forme ? Je ne le sais pas encore [...]. Quelqu’un a suggéré de porter un brassard noir à l’occasion du premier match pour manifester notre désapprobation à l’égard du régime. Pourquoi pas ? ». Ce récit a cette vertu supplémentaire de souligner les difficultés auxquelles se heurtent finalement les tenants sportifs de l'alternative au boycott. D'abord, les réticences au sein du monde sportif lui-même. Rocheteau rappelle que ses prises de position ne sont " pas du goût de tout le monde ", alors même qu'" il n'est pas question de jouer les francs-tireurs et de casser la solidarité du groupe. Si nous menons une action, elle doit être collective ". À l'époque, il fait d'ailleurs part de sa peur que cela lui porte préjudice et de se faire " flinguer " » (LMS n°230)
L’Argentine et l’impérialisme français sont économiquement, politiquement et militairement liés. C’est ce que montre notamment une brochure du CSLPA de 1978 : « Argentine: L'impérialisme français en question » et un tract du COBA « Non aux chars de l’armée française sur le Larzac et en Argentine » qui dénonce Giscard et ses ventes d’armes à Videla.
Quand la France collaborait avec la dictature argentine
« La liste serait trop longue d’énumérer le nombre de ces hommes liés au pouvoir argentin, anciens collaborateurs, anciens OAS, racistes reconnus… » (…)
« L’actuel ambassadeur, tout d’abord, en poste à Buenos Aires depuis le coup d’état, François de la Gorce. C’est lui qui est à l’origine des changements de personnel marqué en général à droite ou à l’extrême droite. Le colonel Le Guen : attaché militaire précédemment en Afrique du Sud. Anticommuniste notoire il n’hésite pas à affirmer qu’il faut appuyer les efforts de la junte pour une élimination physique totale de la guérilla. Un des instruments de cette répression est d’ailleurs la mission militaire française installée de façon permanente (comme celle des USA) dans les locaux de l’armée. » (…)
« Les liens économiques dans ces conditions apparaissent dans toute leur logique et sont de plus en plus importants : Ika Renault par exemple est la première usine automobile du Pays. Peugeot Citroën, Péchiney Rhône Poulenc, St Gobain sont également bien implantés.
Les banques françaises, le Crédit Lyonnais surtout, prospèrent grâce aux ventes d’armes. En octobre 76, un crédit de 30 millions de dollars a été accordé à la junte sous la pression du gouvernement français. » (Sources : Antirouille (mensuel) n°24 –avril 1978- page 4-)
Certaines organisations trotskistes, des libertaires et des marxistes-léninistes, notamment le PCRML et le PCMLF, soutiendront la campagne du COBA, mais pas l’ensemble de la ligne de J-M Brohm et des freudo-marxistes (voir la liste de 40 articles de l’HR en annexe 56 et la liste des articles du QDP en annexe 57).
L’Épique (toujours imité jamais égalé)
Le journal L’Épique (pastiche du célèbre quotidien du sport) lancé en 1976, indique dans son numéro 000, être un supplément à : Le Cri des Murs n°10, L’école émancipée –Le chrono enrayé n°16, Politique Hebdo n°227, Révolution ! n°142, Rouge n°76, Tribune Socialiste n°704 et des journalistes de Libération à titre individuel.
Dés 1978, L’Épique soutiendra la campagne du COBA. Son n°4 en date de juin 1978 précise qu’il a été réalisé par le COBA avec le soutien des journaux suivants : Politique Hebdo, Rouge (LCR), Barricades (mensuel jeunes LCR), L’Etincelle (OCT), L’Ecole Emancipée et Le Chrono Enrayé, Quel Corps ?, Le Cri des Murs, Commune (CCA), Antirouille, Non Violence Politique (MAN), La Gueule Ouverte – Combat Non-Violent, Bulletin de Liaison CEDETIM, Informations Ouvrières, Jeune Révolutionnaire, Quotidien du Peuple, Humanité Rouge, Le Monde Libertaire, Tribune Socialiste, Tout le Pouvoir aux Travailleurs.
Le n°5 -février-mars 1980- de L’Epique, est sous-titré « Le journal des Jeux Olympiques » et il est indiqué que « Ce numéro de L’Epique a été réalisé par le COBOM ». Il est le supplément à : L’Etincelle (OCT), Partis pris, La Gueule Ouverte – Combat Non-Violent, Non Violence Politique (MAN), Tout le Pouvoir aux Travailleurs (UTCL), Ecole Emancipée et Le Chrono Enrayé, Quel Corps, Bulletin de Liaison CEDETIM, Histoires d’Elles, La revue d’en face, Front Rouge (PCRml), Rebelles (UCJR), L’Alternative, Le Quotidien du Peuple.
Le boycott et le débat sur le foot
Le débat sur le foot sera également évoqué dans la presse ML par exemple dans l’HR –bimensuel- n°27 –du 16 mars au 13 avril 1978- qui présente « Le mouvement Football-progrès : Pour le plaisir de jouer, rien que le plaisir » -page 29- ou dans Le ML n°27-28 –juin juillet 78- : « Attaquons le foot impérialiste » -pages 21-22- « Le ‘‘Mundial’’ des fascistes » - pages 22-23-
Le COBA aura eu un impact certain, mais ne pourra pas empêcher la tenue de la coupe du monde de foot en Argentine du 1er au 25 juin 1978.
Il faut rappeler que l’ensemble des grandes organisations politiques et syndicales de gauche –PS. PCF, CFDT et CGT- (s’ils sont critiques, mais avec des nuances vis-à-vis du régime argentin) étaient toutes contre l’idée du boycott et défavorable au COBA (mis à part le SGEN-CFDT et le syndicat des correcteurs CGT).
Les arguments mis en avant par le PCF occultaient ses raisons profondes du refus de soutenir le COBA. Une de ces raisons était liée à l’organisation des futurs Jeux Olympiques… à Moscou prévus pour 1980. Les liens et le soutien de l’URSS à l’Argentine ne font que renforcer l’idée qu’il faut poursuivre l’action pour un boycott des JO à Moscou –c’est sur cette base qu’est crée le COBOM au début de l’année 1979- (voir annexe 60)
Le COBA structure unitaire ne tiendra pas après la coupe du monde
« Le COBA peut se concevoir comme une expérience d'hybridation, une rencontre de sensibilités militantes différentes sur le terrain du football regroupant, outre les " Argentins " du CSLPA, l'École Emancipée, Quel corps ?, des militants de la Ligue communiste révolutionnaire, du SGEN-CFDT, de l'Organisation communiste des travailleurs, du Parti socialiste unifié, des journaux comme Rouge, Le Quotidien du Peuple, Libération, et ceux que Quel corps ? nomme " des inorganisés ". L'alchimie ne tient toutefois que le temps d'une mobilisation contre un " Munich sportif " » (LMS 230).
Une partie des initiateurs et des militants du COBA vont poursuivre leur action en créant le COBOM en 1979.

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