La
contrainte nous dit le « Larousse » est la violence exercée contre
une personne. Le
Lachâtre,
un peu moins bref, nous dit « qu'elle est la violence exercée
contre quelqu'un pour l'obliger à faire quelque chose malgré lui ou
l'empêcher de faire ce qu'il voudrait ». Si l'on approfondit tout
ce que renferme en elle cette dernière définition de la violence,
on peut conclure que nous sommes à chaque instant de notre
existence, contraints à commettre des actes qui nous déplaisent, et
si la violence ne se manifeste pas toujours brutale pour nous les
imposer, elle agit sur notre volonté et entrave par ses rigueurs
notre liberté. Il n'est pas abusif d'affirmer que nous vivons sous
une contrainte perpétuelle dans la société actuelle basée sur
l'autorité, et il coule de source, qu'il n'en peut être autrement.
De même que l'Autorité, la Contrainte s'exerce surtout sur ceux qui
sont placés en bas de l'échelle sociale et qui sont toujours les
premières victimes des maux engendrés par le désordre économique
et politique des sociétés modernes ; or, la contrainte est un des
fruits de ce désordre et cela se conçoit, car sans elle la société
capitaliste ne serait pas viable. Nous passerons sous silence les
premières contraintes que nous subissons, dès notre plus jeune âge,
bien qu'elles déterminent souvent tout le cours de notre vie. C'est
dans la famille, à l'école, qu'elles nous sont imposées, mais les
jeunes cerveaux s'assimilent facilement et les souffrances que nous
ressentons s'estompent lorsque nous approchons de l'adolescence.
C'est surtout lorsque nous arrivons à l'âge d'homme que la
contrainte devient féroce et que nous sommes obligés de nous
courber sous elle ou de mourir. Elle se présente d'abord à nous,
par les formes de travail qui nous sont imposées et auxquelles il
nous est impossible d'échapper. En abolissant l'esclavage et le
servage on n'a pas aboli la contrainte et on n'a pas donné naissance
à la liberté. On prétend que l' homme est libre, surtout depuis
les transformations opérées par la grande Révolution française,
et que la disparition des corporations a fait du producteur un homme
libre, que c'est de bon gré qu'il travaille aux conditions qu'il
accepte après les avoir débattues en pleine conscience et en pleine
liberté.
Nous
savons quel crédit il convient d'accorder à un tel argument. Si
nous n'avions pas à subir dès notre entrée en ce monde les «
contraintes naturelles », c'est-à-dire l'obligation absolue de
manger pour vivre, nous ne serions pas assujettis comme nous le
sommes. Mais nous ne pouvons pas nous abstenir de nous nourrir et
nous savons fort bien que le travail est indispensable pour subvenir
aux besoins matériels de la collectivité. Ce n'est donc pas le
travail que nous considérons ici comme une contrainte, mais la forme
qu'il emprunte.
Nous
avons dit d'autre part que le capitalisme avait accaparé tous les
moyens de production et toute la richesse sociale et que le
travailleur ne possédant que ses bras était dans l'obligation de
les louer pour suffire à ses besoins les plus immédiats. Prétendre
que cette location est libre, est non seulement ridicule mais
criminel, puisqu'il est évident que si le prolétaire se refuse à
louer ses bras au capitalisme, il ne pourra trouver sa subsistance ;
il est donc contraint de travailler pour le capitalisme, et aux
conditions que ce dernier voudra bien lui imposer. Le travail en
société bourgeoise est donc une véritable contrainte, puisque le
travailleur, sous peine de mort, ne peut pas échapper à cette loi
arbitraire forgée de toutes pièces par les hommes au profit d'une
catégorie d'individus. Que de choses ne nous oblige-t-on pas à
faire malgré nous ! Nous disons que la contrainte s'exerce sur tous
les travailleurs et qu'il est impossible de l'éviter. Les
gouvernements, par leurs impôts directs et indirects, font peser sur
tous les individus une contrainte continuelle et ce n'est seulement
que lorsque le peuple se révolte que la violence entre en jeu. La
contrainte s'impose encore à nous, lorsqu'au nom de la « Patrie »
nous sommes appelés à remplir nos « devoirs militaires » et à «
servir le pays », et quelles que soient les mesures que nous
prenions pour nous défendre contre les obligations que nous jugeons
arbitraires, c'est de la contrainte, et toujours de la contrainte qui
s'abat sur nous et nous écrase.
«
Nécessité sociale affirment ceux qui l'exercent ; sans autorité et
sans contrainte il n'y a pas de vie collective possible, nous disent
les partisans des sociétés gouvernementales » ; cependant, depuis
les milliers et les milliers d'années que les sociétés sont
élaborées sur ces deux principes, il serait peut-être temps de
nous démontrer les bienfaits de l'autorité et de la contrainte. Ce
qui est vrai, c'est qu'une minorité de malins tirent les ficelles de
l'économie politique et sociale, et que la grande majorité suit ces
mauvais bergers qui craignent que la liberté du peuple ne leur
enlève leurs privilèges. L'Autorité et la Contrainte ne sont
avantageuses qu'à ceux qui les exercent et lorsque les hommes auront
compris qu'il n'y a de bonheur possible que dans la liberté, ils
feront table rase de tous les vieux préjugés qui les tiennent
asservis au monde moderne, et se mettront au travail pour élaborer
une société nouvelle, sans contrainte et sans autorité.
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