UNE
PAGE D’HISTOIRE
La
grande révolution politique et sociale qui vient de s’accomplir à
Paris a produit en France, et surtout à l’étranger, une immense
stupeur ; ce sera, dirait Mme de Staël, l’étonnement des siècles
futurs.
Après
l’effondrement d’un pouvoir dont le chef n’était que la
personnification de tous les vices et qui, établi par la violence et
la cruauté, ne pouvait se maintenir que par l’abrutissement et la
corruption, où l’honneur n’était plus qu’un mot admis à
peine au théâtre, le monde entier avait désespéré de la France :
son temps, disait-on, était fini.
Pendant
vingt ans l’empire s’était ainsi consolidé. Au milieu des fêtes
et des plaisirs, les complices du Deux décembre avaient fini qui
mourrait de faim à côté de ces orgies. On étouffait la voix de
l’homme courageux qui voulait tenter de rappeler la France au
sentiment de son honneur et de sa dignité. C’était l’apogée de
l’égoïsme et de la corruption. Tout à coup les lauriers du
conquérant des gaules empêchent de dormir l’auteur de la Vie
de César. Sur un signe du maître, la France est jetée dans
cette horrible entreprise qui nous montra à Sedan que le courage et
la valeur militaire du nouveau César étaient à la hauteur de sa
valeur morale et politique.
Ce
dernier outrage, cette dernière honte semblent secouer la torpeur de
la France. Partout retentissent les cris de : vive la république !
La colère et l’indignation soulèvent tous les coeurs. Les grands
sentiments ne sont pas encore éteints. Chacun vient s’offrir au
salut de la patrie. Quelques ambitieux, quelques soudoyés de
prétendants s’emparent du gouvernement, et trop confiante, la
France s’abandonne toute entière à eux. Hélas ! la capitulation
de Paris, plus froidement et plus honteusement préparée devient le
digne corollaire de Sedan. Toute la France est plongée dans la
terreur. Partout, l’on demande la paix à tout prix, et l’Assemblée
nationale est nommée pour signer la paix : la paix est signée. Le
gouvernement dit de la défense nationale avait fini son rôle, le
mandat de l’Assemblée est terminé.
Trompé
depuis si longtemps, Paris voulut se réserver une garantie
matérielle pour se faire respecter de ceux qui avaient si
indignement abusé de sa confiance. Les habitants des faubourgs
voulurent conserver les armes et les canons qu’ils avaient si bien
payés de leur sang et de leur argent.
Le
gouvernement de la défense nationale et l’Assemblée craignirent,
comme tous ceux qui ont entre les mains un pouvoir usurpé, la
puissance du peuple armé et préfèrent déchaîner la guerre civile
sur la France que renoncer à un pouvoir qui ne leur appartenait
plus, et de faire droit aux justes désirs du peuple de Paris. Mais
la coupe était pleine : deux cent quinze bataillons de la garde
nationale nommèrent des délégués qui formèrent ce grand corps
dont tous les membres étaient intimement liés et qui s’appela
Comité central. On avait ri des prétentions des habitants de
Montmartre, on rit de nouveau du Comité central.
La
presse, qui n’était plus que l’expression de la décadence de la
France, lança d’abord contre ce fameux comité les plus basses
plaisanteries, puis on l’attaqua avec une violence inouïe,
ensuite, on discuta ses actes, enfin l’on vit ses adversaires les
plus déclarés se rallier à lui, et lorsque cette réunion de
citoyens dévoués, une fois leur tâche patriotique terminée, se
retira dans l’ombre comme ils en étaient sortis huit jours
auparavant, il y eut un mouvement de stupeur et d’admiration
universelle. On crut sortir d’un long rêve. La révolution sociale
était accomplie : Paris se relevait d’un seul coup de vingt années
d’abaissement. Aujourd’hui, la commune est là ! Paris, ce centre
d’énergie, de patriotisme et d’intelligence, vient encore une
fois de relever et de régénérer la France. Par ses soins, le
suffrage universel, cette arme si puissante, mais si dangereuse entre
les mains de ceux qui n’avaient jamais appris à s’en servir,
deviendra pour le pays, instruit et éclairé, la garantie et la
sauvegarde de la liberté. Une fois encore, Paris aura sauvé la
France.
PAUL
VAPEREAU.
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