Daniel
Payot :
Utopie et écriture
« L'oeuvre
de Miguel Abensour peut être lue comme une entreprise de
réhabilitation de la notion d'Utopie et, avec elle, des mouvements
politiques, des militants, des penseurs qui s'en sont réclamés, qui
en ont réfléchi les différents enjeux ou en ont construit de
nouvelles acceptions. Les occurrences y sont nombreuses où se
trouvent réfutés les préjugés qui ont conduit aujourd'hui à une
singulière dévalorisation de ce mot d'Utopie, devenu synonyme
d'ordre total, voire totalitaire, quand il n’est pas à l'inverse,
sans davantage de précaution critique, assimilé à une attitude
excessivement fantaisiste, débridée, irréaliste. Contre ses
raccourcis arbitraires ou idéologiquement intéressés, Miguel
Abensour n'a cessé de défendre une compréhension positive et même
enthousiaste de l'Utopie, dans laquelle il discernait la version
radicale d'un désir d'émancipation dont il faisait la définition
même de la politique. »
« C'est
pourquoi il est devenu nécessaire de « libérer
l'utopie de la magie du mythe » , « d'arracher l'utopie
au mythe ».
Pour
y parvenir, Miguel Abensour n'a cessé de chercher des voies qui ne
définissent l'utopie ni comme une affirmation univoque, ni comme une
forme nourrie d'elle-même, exclusive de toute extériorité, modèle
d'un ordre clos et d'une vérité souveraine – et cette recherche
est aussi ce qui donne le ton distinctif, troublé, de son écriture,
que caractérisent des suspensions, écartements, interruptions qui,
sans jamais démentir la conviction initiale, rendent interrogative
son expression. L'utopie n'est pas pour Miguel Abensour une totalité,
ni un point unique à l'horizon : à l’uni-dimensionnalité,
il oppose sans relâche la contradiction non résolue, la conjonction
polémique, instable, une synthèse définitive, le dépassement de
toute différence et l'avènement d'un état de perfection, mais
comme une rencontre de courants adverses, un choc d'intensités
différentes dont le heurt, comme dans l'image dialectique selon
Walter Benjamin, produit un éclat et un salut nouveaux. »
« L'Utopie
peut alors montrer un visage à la fois décidé et réceptif, parce
qu'elle se trouve libérée de la contrainte de substituer à un
monde de contradictions et de différences un monde nouveau
parfaitement réconcilié dans une figure d'absolu, serait-elle celle
d'une paix absolue. L'Utopie n'est pas le passage de la pluralité à
l'unité, des singularités à la totalité, de l'aliénation à
l'identité retrouvée, elle est expérience de la différence, de la
pluralité, du non-identique et même de l'antagonisme sans
fin . Elle
n'a de sens que comme expérience d'une temporalité non linéaire,
non homogène, qui, au contraire, accueille écarts ;,
intervalles, rencontres fortuites et ruptures salvatrices. Cette
intuition est parfois explicitée par Miguel Abensour en terme
d'époche ».
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