samedi 4 août 2018

Lignes N°56




Daniel Payot : Utopie et écriture

« L'oeuvre de Miguel Abensour peut être lue comme une entreprise de réhabilitation de la notion d'Utopie et, avec elle, des mouvements politiques, des militants, des penseurs qui s'en sont réclamés, qui en ont réfléchi les différents enjeux ou en ont construit de nouvelles acceptions. Les occurrences y sont nombreuses où se trouvent réfutés les préjugés qui ont conduit aujourd'hui à une singulière dévalorisation de ce mot d'Utopie, devenu synonyme d'ordre total, voire totalitaire, quand il n’est pas à l'inverse, sans davantage de précaution critique, assimilé à une attitude excessivement fantaisiste, débridée, irréaliste. Contre ses raccourcis arbitraires ou idéologiquement intéressés, Miguel Abensour n'a cessé de défendre une compréhension positive et même enthousiaste de l'Utopie, dans laquelle il discernait la version radicale d'un désir d'émancipation dont il faisait la définition même de la politique. »

« C'est pourquoi il est devenu nécessaire de « libérer l'utopie de la magie du mythe » , « d'arracher l'utopie au mythe ».
Pour y parvenir, Miguel Abensour n'a cessé de chercher des voies qui ne définissent l'utopie ni comme une affirmation univoque, ni comme une forme nourrie d'elle-même, exclusive de toute extériorité, modèle d'un ordre clos et d'une vérité souveraine – et cette recherche est aussi ce qui donne le ton distinctif, troublé, de son écriture, que caractérisent des suspensions, écartements, interruptions qui, sans jamais démentir la conviction initiale, rendent interrogative son expression. L'utopie n'est pas pour Miguel Abensour une totalité, ni un point unique à l'horizon : à l’uni-dimensionnalité, il oppose sans relâche la contradiction non résolue, la conjonction polémique, instable, une synthèse définitive, le dépassement de toute différence et l'avènement d'un état de perfection, mais comme une rencontre de courants adverses, un choc d'intensités différentes dont le heurt, comme dans l'image dialectique selon Walter Benjamin, produit un éclat et un salut nouveaux. »

« L'Utopie peut alors montrer un visage à la fois décidé et réceptif, parce qu'elle se trouve libérée de la contrainte de substituer à un monde de contradictions et de différences un monde nouveau parfaitement réconcilié dans une figure d'absolu, serait-elle celle d'une paix absolue. L'Utopie n'est pas le passage de la pluralité à l'unité, des singularités à la totalité, de l'aliénation à l'identité retrouvée, elle est expérience de la différence, de la pluralité, du non-identique et même de l'antagonisme sans fin . Elle n'a de sens que comme expérience d'une temporalité non linéaire, non homogène, qui, au contraire, accueille écarts ;, intervalles, rencontres fortuites et ruptures salvatrices. Cette intuition est parfois explicitée par Miguel Abensour en terme d'époche ».

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