samedi 29 septembre 2018

Vladimir Soloviev La justification du bien




« L'amour pour sa propre nation implique-t-il nécessairement que tous les moyens pour la servir sont permis et justifie-t-il une attitude indifférente ou hostile à l'égard de toutes les autres ? La même relation morale qui nous unit à tous les êtres humains signifie-t-elle nécessairement l'indifférence envers la nationalité en général et envers notre propre nation en particulier ?
La première question trouve facilement une solution en analysant le contenu de l'idée du vrai patriotisme ou de l'amour de son propre pays. La nécessité d'une telle analyse élémentaire sera reconnue par tous, car tous reconnaîtront que le patriotisme peut être déraisonnable, nuire au lieu d'être utile et mener les nations à la ruine ; que le patriotisme peut être vain, n'exprimant que des prétentions non fondées, qu'enfin le patriotisme peut être tout simplement faux, ne servant que de masque cachant des motifs bas et égoïstes. En quoi, alors, consiste le patriotisme vrai et réel ? »

« Jusqu'à un certain point, tout le monde sera d'accord avec cette vérité élémentaire ; tous admettent qu'il est illicite de s'enrichir au prix d'un crime, ou d'enrichir son ami ou sa famille, ou sa ville, ou sa province, au prix d'un crime mais cette vérité morale élémentaire, claire comme le jour, se trouble et s'obscurcit dès qu'il s'agit de sa propre nation ; tout devient permis au service de ses intérêts supposés, la fin justifie les moyens, le noir devient blanc, le mensonge est préféré à la vérité et la violence est exaltée comme une vertu. La nationalité devient ici une fin finale, le bien suprême et la mesure du bien pour l'activité humaine. Une telle glorification indue est, cependant, purement illusoire et en vérité, ne fait qu'avilir la nation. Les biens humains d'ordre supérieur excluent, nous l'avons dit, les moyens immoraux d'y parvenir, en acceptant d'employer des moyens mauvais au service de notre nation et en les légitimant, nous limitons par le fait même l'intérêt national à ces biens inférieurs, qu'il y a moyen d'acquérir et de conserver par des voies mauvaises et fausses. Ceci est une offense directe à la nation même que nous voulons servir, c'est transférer le centre de gravité de la vie nationale d'une sphère supérieure à une sphère inférieur , c'est servir l’égoïsme national sous prétexte de servir la nation. L'indignité moral de pareil nationalisme est prouvée par l'histoire ; celle ci témoigne à haute voix que les nations n'ont prospéré et ne se sont élevées qu'aussi longtemps qu'elles ne faisaient pas d'elle-même leur but égoïste mais servaient les fins idéales les plus élevées, universelles. L'histoire montre aussi que la conception de la nation ou de la nationalité, comme portant en elle de manière finale et ultime la vie collective de l'humanité, est sans fondement. »

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