« L'amour pour sa propre
nation implique-t-il nécessairement que tous les moyens pour la
servir sont permis et justifie-t-il une attitude indifférente ou
hostile à l'égard de toutes les autres ? La même relation
morale qui nous unit à tous les êtres humains signifie-t-elle
nécessairement l'indifférence envers la nationalité en général
et envers notre propre nation en particulier ?
La première question trouve
facilement une solution en analysant le contenu de l'idée du vrai
patriotisme ou de l'amour de son propre pays. La nécessité d'une
telle analyse élémentaire sera reconnue par tous, car tous
reconnaîtront que le patriotisme peut être déraisonnable, nuire au
lieu d'être utile et mener les nations à la ruine ; que le
patriotisme peut être vain, n'exprimant que des prétentions non
fondées, qu'enfin le patriotisme peut être tout simplement faux, ne
servant que de masque cachant des motifs bas et égoïstes. En quoi,
alors, consiste le patriotisme vrai et réel ? »
« Jusqu'à un certain
point, tout le monde sera d'accord avec cette vérité élémentaire ;
tous admettent qu'il est illicite de s'enrichir au prix d'un crime,
ou d'enrichir son ami ou sa famille, ou sa ville, ou sa province, au
prix d'un crime mais cette vérité morale élémentaire, claire
comme le jour, se trouble et s'obscurcit dès qu'il s'agit de sa
propre nation ; tout devient permis au service de ses intérêts
supposés, la fin justifie les moyens, le noir devient blanc, le
mensonge est préféré à la vérité et la violence est exaltée
comme une vertu. La nationalité devient ici une fin finale, le bien
suprême et la mesure du bien pour l'activité humaine. Une telle
glorification indue est, cependant, purement illusoire et en vérité,
ne fait qu'avilir la nation. Les biens humains d'ordre supérieur
excluent, nous l'avons dit, les moyens immoraux d'y parvenir, en
acceptant d'employer des moyens mauvais au service de notre nation et
en les légitimant, nous limitons par le fait même l'intérêt
national à ces biens inférieurs, qu'il y a moyen d'acquérir et de
conserver par des voies mauvaises et fausses. Ceci est une offense
directe à la nation même que nous voulons servir, c'est transférer
le centre de gravité de la vie nationale d'une sphère supérieure à
une sphère inférieur , c'est servir l’égoïsme national sous
prétexte de servir la nation. L'indignité moral de pareil
nationalisme est prouvée par l'histoire ; celle ci témoigne à
haute voix que les nations n'ont prospéré et ne se sont élevées
qu'aussi longtemps qu'elles ne faisaient pas d'elle-même leur but
égoïste mais servaient les fins idéales les plus élevées,
universelles. L'histoire montre aussi que la conception de la nation
ou de la nationalité, comme portant en elle de manière finale et
ultime la vie collective de l'humanité, est sans fondement. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire