dimanche 30 septembre 2018

DARWINISME Historique - Les précurseurs de Darwin - Son oeuvre Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




On donne le nom de darwinisme à l'ensemble des théories du naturaliste anglais Charles Robert Darwin qui, réduites à leur plus simple expression, se ramènent à cette formule : l'homme descend du singe. Ce n'est là qu'une partie du système de Darwin, et c'est une interprétation erronée que de voir uniquement dans le darwinisme la théorie qui fait descendre l'homme du singe. Mais c'est ainsi que le fanatisme a envisagé dès sa naissance l'évolutionnisme darwinien qui, expliquant l'origine des êtres vivants, donc de l'homme, par des lois naturelles, détruisait du même coup la création divine de l'homme selon la Bible. Et c'est bien, en somme, la conclusion des travaux de Darwin qui ne s'est exprimé au sujet de l'origine de l'homme qu'à demi-mot, ayant tenu à s'entourer de précautions oratoires afin de ne pas choquer la susceptibilité de ses lecteurs, tolérance dont on ne lui sut aucun gré. Darwin n'a d'ailleurs pas été le premier à soutenir cette théorie subversive, mais son mérite a consisté à l'exposer d'une façon originale et par-là même à la créer une seconde fois. L'idée avait déjà fait du chemin lorsque Darwin se présenta pour l'aider à continuer sa route semée d'obstacles. Si Lamarck a été le père du transformisme, Charles Darwin en fut le tuteur. Le transformisme est la doctrine d'après laquelle toutes les espèces, animales et végétales, descendent d'un type ou de types originels peu nombreux, par voie de transformation. Si ces espèces, dont l'origine est commune, ont pu varier, c'est, répond Darwin, grâce à la sélection naturelle qui a assuré la survivance du plus apte. Le darwinisme était une interprétation nouvelle du transformisme : il présentait sous un jour différent cette doctrine qui ruinait le principe de la fixité des espèces, soutenue par la réaction religieuse et scientifique. Non seulement le « darwinisme » nous révèle un des côtés du transformisme, mais il nous oblige à l'examiner dans son ensemble ; l'étudier c'est connaître celui-ci dans ses tenants et ses aboutissants, c'est pénétrer au cœur même de la biologie. « Le transformisme, c'est-à-dire la théorie d'après laquelle les espèces animales et végétales vivant actuellement descendraient d'espèces antérieures et différentes » (Le Dantec), est une des hypothèses scientifiques les plus fécondes qui, comme toutes les hypothèses créatrices, a partagé l'humanité en deux camps, et permis ainsi de reconnaître les esprits d'avant-garde et ceux qu'on pourrait qualifier justement d'arrière-garde. Cette hypothèse qui a fini par s'imposer aux esprits n'est pas nouvelle : elle existait en germe chez les philosophes de l'antiquité. Il faudrait remonter à Lucrèce, à Aristote et même plus loin pour trouver les ancêtres de l'évolutionnisme. Le moyen-âge lui-même l'a pressenti. Pendant la Renaissance, Bacon croyait que les mutations d'espèces étaient dues à des variations accumulées. Le siècle de Louis XIV n'a pas ignoré les grandes lois directrices de l'évolutionnisme ; en cherchant bien, on les découvrirait dans quelques auteurs. Au XVIIIème siècle, où tant d'idées s'ébauchèrent ou se précisèrent, l'évolutionnisme fut soupçonné. Un certain Benoît de Maillet, auteur des Entretiens d'un Philosophe indien avec un missionnaire français sur la diminution de la mer (1748), raillé par Voltaire, qui voyait dans cet écrivain un partisan de la Bible, soutenait que la mer primitive était le berceau de la vie, s'appuyant sur ce fait que des fossiles marins avaient été trouvés dans un terrain montagneux. De Maillet n'examinait pas seulement la façon dont s'était constitué l'univers, mais il examinait en détail le problème de l'origine des êtres vivants. Pour De Maillet rien ne se perd dans la nature. Les mondes se renouvellent sans cesse, ils exercent une attraction les uns sur les autres, des germes ou semences peuplent l'univers, que les planètes recueillent au passage. Les espèces animales et végétales n'ont pas été créées en même temps, mais elles sont apparues successivement, sous l'influence de circonstances favorables, à mesure que les mers ont baissé. Des semences proviennent toutes les espèces marines, d'où sont issues les espèces terrestres et aériennes, dont l'homme fait partie. Les herbes et les plantes, comme les animaux, ont la mer pour origine. Le transformisme de Maillet, reposant sur des réflexions souvent justes, ne fut pas compris par Voltaire qui y voyait, avons-nous dit, une thèse en faveur du déluge, l'eau jouant le principal rôle dans le système exposé par le philosophe indien. Pour Voltaire, les coquilles font éclore des systèmes nouveaux! L'origine aqueuse des êtres est une plaisanterie. « Il y a peu de gens qui croient descendre d'un turbot ou d'une morue ». Cette appréciation de Voltaire prouve tout simplement que des esprits libérés ne comprennent pas toujours d'autres esprits libérés.
Vingt ans après les Entretiens d'un philosophe indien, en 1768, René Robinet expose des idées intéressantes dans ses Considérations philosophiques de la gradation naturelle des formes de l'être ou Essais de la nature qui apprend à faire l'homme. Pour Robinet, la nature ne fait point de sauts, elle est un tout continu. Il n'établit aucune distinction entre la matière brute et la matière organisée. Tout dans la nature est vivant. Tout être est un animal. L'univers lui-même est un animal. Il n'y a dans la nature que des individus, qui jamais ne se répètent. Tout change, se transforme, varie. Aucun être ne ressemble à un autre. Robinet, prévoyant le surhomme, admet qu'il peut y avoir « des puissances plus actives que celles qui
composent l'homme ». Des mondes nouveaux peuvent se produire. L'homme est un chef-d'oeuvre sorti d'une foule d'ébauches. L'orang-outang est une de ces ébauches. Certaines pierres imitent le coeur et le cerveau de l'homme. Robinet parle d'hommes marins, et il entrevoit le règne des hermaphrodites, réunissant les attributs de Vénus et d'Apollon. Il n'y a point d'espèces pour Robinet, mais seulement des individus différents qui ont tiré leur substance du fonds commun de la nature, tandis que pour De Maillet il y avait des espèces nées les unes les autres par transformation. Arrivons à Buffon (1707-1788). Buffon rassembla des faits et fit de nombreuses observations. Ce naturaliste était aussi grand savant que grand écrivain. Buffon n'était pas, comme pourraient le faire supposer certains passages de son Histoire naturelle (1749), partisan de la fixité des espèces. S'élevant contre le système de classification adopté par Linné, comme compromettant la fixité des espèces, que Linné admettait d'ailleurs, Buffon en arrive à montrer le bien fondé du transformisme, tout en s'opposant à lui : « Si l'on admet une fois, disait-il, qu'il y ait des familles dans les plantes et dans les animaux, que l'âne soit de la famille du cheval et qu'il n'en diffère que parce qu'il a dégénéré, on pourra dire également que le singe est de la famille de l'homme, qu'il est un homme dégénéré, que l'homme et le singe ont une origine commune, comme le cheval et l'âne ; que chaque famille, tant dans les animaux que dans les végétaux, n'a eu qu'une seule souche, et même que tous les animaux ne sont venus que d'un seul animal, qui, dans la succession des temps, a produit, en se perfectionnant ou en dégénérant, toutes les races des autres animaux. Darwin et Haeckel ne diront pas autre chose. Dans l'oeuvre de Buffon, on trouve des arguments pour et contre le transformisme. Tantôt, il se montre partisan de la fixité des espèces, celles-ci étant à peu près aujourd'hui ce qu'elles étaient quand Dieu les a créées, tantôt il annonce l'évolutionnisme. Il est certain que Buffon est gêné par ses croyances religieuses. Buffon ne peut réaliser ce miracle de concilier sa science et sa foi. C'est pourquoi on trouve de tout dans ses écrits, et la pensée libre comme la pensée esclave peuvent y puiser des arguments. Buffon fut à la fois partisan de l'invariabilité et de la mutation et dérivation des espèces. Position intenable! Il admettait que les planètes ont un père commun, le Soleil, et que la Terre a son histoire comme l'homme. Sa conception du monde le rapproche du transformisme, en lui faisant écrire (tome IX de l'Histoire naturelle), que « bien que la nature se montre toujours et constamment la même, elle roule néanmoins dans un mouvement continuel de variations successives, d'altérations sensibles ; elle se prête à des combinaisons nouvelles, à des mutations de matière et de forme, se trouvant différente aujourd'hui de ce qu'elle était au commencement et de ce qu'elle est devenue dans la succession des temps ». De ce que les animaux d'un continent ne se trouvent pas dans l'autre, Buffon conclut que la nature des animaux « peut varier et même se changer avec le temps », et que les espèces « les moins armées ont déjà disparu ou disparaîtront ». N'est-ce pas là cette sélection naturelle que nous allons retrouver chez l'auteur de l'origine des espèces? Non seulement on trouve Darwin dans Buffon, mais aussi Lamarck ; car il tient compte de l'influence du milieu, c'est-à-dire le climat, la nourriture, etc... Transformiste, on ne saurait dire que Buffon le soit d'une façon bien nette ; son transformisme est timide, mais enfin il n'est pas niable. De plus, Buffon n'est point finaliste, il ne pense pas que la nature se soit jamais proposée une fin dans la composition des êtres. Pour Buffon, le végétal tire du minéral les molécules indispensables à sa nutrition, comme les animaux les tirent du végétal. Mais Buffon ne va pas plus loin, et sa doctrine est toujours modérée, comme l'homme lui-même. L'intendant de Jardin du Roi n'aimait point les polémiques. Batailler n'était point dans ses habitudes. Cet homme, qui mettait des manchettes pour écrire, aimait sa tranquillité. La sérénité fut la marque distinctive de son caractère. Ainsi, pour l'homme de génie qu'était Buffon, prisonnier de la tradition par certains côtés, les animaux ont subi des modifications dues à la température, au climat et à l'alimentation. Il expliquel'origine de la terre et de la vie par l'évolution. Il faut croire que les opinions de Buffon étaient quelque peu subversives pour l'époque, puisque la Sorbonne s'émut, porte-parole de l'Eglise. Comme Galilée niant l'immobilité de la Terre, Buffon dut se rétracter, quitte ensuite à revenir à ses premières idées, quand il eut assez de prestige pour le faire, quinze ans plus tard.
Combien Lamarck (1744-1829) est différent qui, essayant, lui aussi, de ne pas trop contredire ses croyances, en arrive à libérer cependant sa conscience, et ne s'arrête plus à des considérations accessoires! Il est vrai que depuis Buffon il y avait eu quelque chose de nouveau dans le monde. Ce quelque chose, c'était la Révolution. Il convient de considérer dans Lamarck le père du transformisme, que l'officiel Cuvier, adepte du créationnisme et inventeur du catastrophisme biblique, réduisit presque à la mendicité. Lamarck a exposé son système dans sa Philosophie
Zoologique (1809) et son Histoire des animaux sans vertèbres (1815-1822, 7 vol.). Buffon avait encouragé Lamarck qui avait publié sous ses auspices en 1778 une Flore française en trois volumes. Il lui avait même confié l'éducation de son fils. La carrière de botaniste de Lamarck s'annonçait brillante (on lui doit la méthode dichotomique encore en usage aujourd'hui), lorsque la Révolution l'orienta dans une autre direction : deux chaires de zoologie ayant été créées au Muséum, la Convention lui en confia une, celle des animaux sans vertèbres. Lamarck apporta en zoologie la méthode qu'il avait employée avec succès pour les plantes. Chose singulière, le père du transformisme avait d'abord été anti-transformiste en botanique. L'esprit critique modifia par la suite sa manière de voir, qui s'exprima pour la première fois dans son Discours d'ouverture du Cours de l'an VIII. Dans l'appendice de ses Recherches sur l'organisation des corps vivants, il dira avec noblesse : « J'ai longtemps pensé qu'il y avait des espèces constantes dans la nature, et qu'elles étaient constituées par des individus qui appartenaient à chacune d'elles. Maintenant, je suis convaincu que j'étais dans l'erreur à cet égard et qu'il n'y a réellement dans la nature que des individus ». Comme il est réconfortant d'entendre un véritable savant confesser une erreur, et marcher résolument dans la voie de la vérité. En 1802, dans son Hydréologie, il défendit la doctrine des évolutions insensibles en géologie par le jeu des causes actuelles ; il fut en somme le premier paléontologiste des Invertébrés, et ses vues en géologie contribuèrent certainement à préparer ses idées sur l'évolution des êtres vivants » (V. Delbos). Le naturaliste philosophe étudia les animaux sans vertèbres, qu'il qualifie de « singuliers animaux ». « Toute science, disait-il, doit avoir sa philosophie ... Ce n'est que par cette voie qu'elle fait des progrès réels ». Lamarck peut être considéré comme le fondateur de la Biologie, nom qu'il a donné à l'explication scientifique des phénomènes naturels dans lesquels la vie entière doit entrer. Pour Lamarck, dont le génie divisa les animaux en invertébrés et en vertébrés, les espèces ne nous semblent fixées que parce que nous les considérons pendant un temps très court, tandis qu'elles se transforment constamment. Les espèces descendent les unes des autres par la transmission des variations, et l'homme n'échappe pas à la loi commune : il ne constitue pas une exception en dehors de la règle. Il est soumis aux mêmes lois que tous les êtres. Les animaux se transforment, mais sous quelles causes? Le milieu extérieur influe sur la forme et l'organisation des êtres. Ne croyez pas que ce soit là une influence directe, vous méconnaîtriez la pensée de Lamarck, qui s'est expliqué suffisamment à ce sujet.L'animal ne subit point passivement l'influence du milieu extérieur, des facteurs internes, parmi lesquels l'habitude, née des besoins, entraînant l'usage ou non d'un organe (d'où modification ou disparition de cet organe) joue un rôle essentiel. Il y faut joindre l'hérédité. Lamarck, comme Buffon, a entrevu la loi de sélection naturelle. Cependant, pour lui, le progrès des êtres ne provient point de leurs conflits. L'inorganique passe selon Lamarck à l'organique, mais entre l'homme et les animaux supérieurs ont dû exister des intermédiaires ; l'homme a sans doute eu pour précurseur un quadrumane arboricole, voisin du singe. Lamarck a été l'un des premiers à reconnaître le rôle joué dans l'origine de la vie par les forces physicochimiques. Il a parlé avant Huxley et Haeckel, de « petites masses de matières gélatineuses » douées de mouvement et d'irritabilité. La nature produit des générations spontanées en ce qui concerne les êtres rudimentaires, d'où descendent les espèces les plus élevées. Ces modifications ont été graduelles, et se sont produites sous l'influence du milieu et de l'habitude. Les besoins des animaux changeant leurs habitudes, leur organisation change également. L'emploi d'un organe développe cet organe, le non-usage l'atrophie. D'où des transformations progressives, et des transformations régressives. Lamarck explique par ces transformations l'apparition des espèces. Son oeuvre fourmille d'exemples. Les carnassiers ont des griffes parce que les circonstances les ont obligés à manger de la chair. Chez les mammifères aquatiques le bassin a disparu, n'ayant pas d'utilité, tandis que les chez les mammifères terrestres les nécessités de la locomotion l'ont développé. Les fossiles nous prouvent que ces animaux n'avaient point les mêmes besoins que leurs descendants, dont ils diffèrent. L'évolutionnisme s'élevait contre le récit de la genèse, d'après lequel les animaux ont été créés une fois pour toutes, selon un type déterminé et immuable, alors que la raison appuyée sur l'observation fait sortir les espèces d'espèces antérieures par évolution ou différenciation, sous l'influence de diverses causes. Avec Lamarck, le dogme de la fixité de l'espèce s'écroule. L'être n'est point stable, mais varie lentement, donnant naissance à de nouvelles espèces. Lamarck ne s'expliquait point, il est vrai, pourquoi les Paléothériums et les Mastodontes s'étaient éteints ; il pensait que nos ancêtres les avaient détruits. On peut objecter à Lamarck que le besoin ne crée pas toujours l'organe. Vraie ou non, sa théorie n'en a pas moins puissamment contribué à dissiper l'ignorance. On voit combien la pensée de Kant était fausse, lorsqu'il disait dans sa Critique du Jugement, ne pouvant expliquer autrement que par la finalité la genèse de l'être organisé : « Il est absurde d'espérer que quelque nouveau Newton viendra un jour expliquer la production d'un brin d'herbe par des lois naturelles auxquelles aucun dessin n'a présidé ». En dépit de Kant, ce Newton est venu, il avait nom Lamarck. Goethe (1749-1832), peut être considéré comme l'un des précurseurs du transformisme. Dans ses recherches sur les Métamorphoses des Plantes (1790), le grand poète examine les organes dans ce qu'ils ont de commun, leur forme originelle, ensuite les modifications de cette forme originelle, ensuite les modifications de cette forme. Les organes de la plante sont, d'après lui, le résultat de la métamorphose de la feuille. Toute forme - et il appliquait cette théorie à la boîte crânienne qu'il considérait comme composée de vertèbres modifiées - recèle le type primitif qui se modifie sous l'influence du milieu. Chez Goethe le transformisme était encore une vue de l'esprit. Il n'en tira pas toutes les conséquences que devait en tirer Lamarck. Etienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844), dont l’enseignement fut continué par son fils Isidore (1805-1861), est aussi l'un des précurseurs du Darwinisme. C'est à lui que la Convention avait confié une des deux chaires de zoologie, du Jardin des Plantes, qui fut consacrée aux vertébrés. Geoffroy Saint- Hilaire fut l'un des adversaires de Cuvier, créationniste impénitent. Il servit grandement les idées de Lamarck, qu'il défendit contre le grand pontife de l'époque. L'auteur de la Philosophie anatomique admet la mutualité des espèces, comme celui de la Philosophie zoologique, mais il l'explique différemment. Il supprime la réaction de l'individu, dont Lamarck tenait grand compte. L'influence du milieu n'est plus indirecte, mais directe. L'animal reste passif au sein des transformations qu'il subit. Geoffroy Saint-Hilaire reconnaît que les espèces actuelles proviennent d'espèces fossiles, l'absence d'intermédiaires n'ayant point l'importance que lui attribue Cuvier. Proche de Lamarck sous certains rapports, il s'en éloigne sous d'autres : il n'y a point de type unique pour lui, malgré l'unité de composition organique qui existe, croit-il, dans la série animale. On sait qu'Etienne Geoffroy Saint-Hilaire a découvert un véritable système dentaire chez les oiseaux et que pour lui la tête est formée d'un ensemble de vertèbres. Non seulement il a signalé les analogies qui existent entre les squelettes des vertébrés, mais il a fondé l'embryologie et fait concourir la tératologie ou étude des êtres anormaux à l'étude vies êtres normaux.
Il était réservé à Charles-Robert Darwin (1809-1882) de faire triompher les idées transformistes que Lamarck avait le premier défendues d'une façon précise. Quarante-quatre ans après l'Histoire des animaux sans vertèbres, Darwin publiait son Origine des Espèces, qui attira l'attention sur une théorie sur laquelle on faisait systématiquement le silence dans les Universités. Darwin avait lu le Traité de la Population de Malthus (voir Malthusianisme) qui le mit sur la voie, car Malthus y parlait de la disparition des individus moins bien doués que les autres. Son grand-père Érasme Darwin, médecin et poète, auteur des Amours des Plantes, qui reconnaissait une parenté réelle entre l'aile de l'oiseau et le bras de l'homme, l'avait lui-même précédé. Oken, Haeckel, Spencer et d'autres philosophes anglais et allemands ont servi la cause du darwinisme, soit en lui préparant le terrain, soit en prenant fait et cause pour lui. L'illustre géologue anglais Charles Lyell, dont Darwin avait épousé la cousine, avait engagé la géologie sur le chemin de l'évolutionnisme avec Les principes de géologie (1830), livre dans lequel il combattait le catastrophisme cuviérien en expliquant les transformations subies par le globe terrestre dans le passé par les mêmes causes que les phénomènes, actuels (théorie des causes actuelles). Il devait aussi écrire un ouvrage sur l'ancienneté de l'homme prouvée par la géologie. Enfin, n'oublions pas que la formule « L'homme descend du singe » est due à Huxley qui, d’abord partisan de la Bible, se rallia à l'hypothèse darwinienne, qu'il généralisa en l'appliquant à l'homme. Comme Huxley était moins prudent que Darwin, il y gagna de perdre sa chaire de professeur, alors que son ami obtint les honneurs officiels.
A quoi tiennent les découvertes scientifiques, les systèmes philosophiques ou autres? Le hasard y joue souvent un grand rôle. Nous devons au nez de Darwin de pouvoir parler aujourd'hui de l'évolutionnisme! Darwin avait décidé de faire un voyage sur le Beagle, bateau peu solide, sur lequel il fallait un certain courage pour s'embarquer. « Ce voyage a été de beaucoup, nous dit-il, l'événement le plus important de ma vie et a déterminé ma carrière scientifique ». Or, ce voyage dépendit de la forme de son nez, Darwin ayant voulu prouver aux disciples de Lavater qu'il ne manquait point d'énergie. Sans le nez de Darwin nous ne saurions peut-être pas que l'homme descend du singe. Il a joué dans l'histoire un rôle aussi grand que celui de Cléopâtre! Pendant cinq ans, Darwin explora l'Amérique du Sud et les îles du Pacifique, il recueillit dans ce voyage une foule de matériaux pour l'Origine des espèces. Mais il ne se décida que très tard à exposer son système. Nul travail ne fut moins improvisé. Vingt ans Darwin médita son sujet, et il ne mit le public au courant de ses travaux que sur l’insistance de ses amis. Darwin se plaçait à un autre point de vue que Lamarck. Il ne cherchait nullement l'origine de la vie et ne croyait pas à la génération spontanée. Il philosophe le moins possible, laissant ce soin à ses amis, et se contente d'accumuler des faits et d'en tirer les conclusions. Avec lui, il ne s'agit plus de l'influence du milieu, mais de la sélection naturelle. Darwin constatait que plus de cent formes animales transmissibles par voie de reproduction normale dérivent d'une forme spécifique unique : toutes les races de pigeons descendent du biset seul. Darwin retrouvait dans la nature la sélection opérée par les éleveurs, qui font varier les espèces. D'un nombre restreint d'espèces la nature a fait naître de nombreuses espèces, au moyen de la lutte pour la vie dans laquelle triomphe le plus apte. A la sélection naturelle s'ajoute la sélection sexuelle, les procréateurs les plus avantageux pour l'espèce étant les plus forts. Cette sélection sexuelle a une très grande importance pour Darwin. Il a bien vu le sens esthétique chez les oiseaux : les mâles s'ornent en vue de plaire aux femelles, qui savent désarmer les plus beaux d'entre eux. Darwin appuie ses théories sur une foule d'observations. C'est cette abondance de détails qui a fait la force de son Origine des espèces, paru en novembre 1859 (cette même année Albert Gaudry qui a démontré l'évolution par la paléontologie prenait la défense de Boucher de Perthes contre ceux qui niaient l'ancienneté de l'homme). Cet ouvrage était impatiemment attendu depuis la communication faite l'année précédente à la Société Linnéenne par Darwin et Wallace. Les deux savants avaient soutenu presque en même temps les mêmes idées, Alfred Wallace lui avait envoyé un mémoire sur La tendance des variétés à s'écarter indéfiniment du type originel. Il y exprimait une hypothèse qui différait de celles de Lamarck, puisqu'à l'influence du milieu il substituait l'idée de sélection naturelle. Darwin hésitait à publier ses recherches, à cause de leur analogie avec celles de Wallace, mais Lyell parvint à le décider. Il résuma alors sa doctrine dans l'Origine des espèces, qu'il communiqua à la Société Linnéenne. L'ouvrage eut un immense succès, mais en même temps il déchaîna la colère de la réaction. L'Origine des Espèces fut le point de départ d'une campagne de mauvaise foi et de calomnies dirigée contre l'évolutionnisme par les gens d'Eglise. Le premier épisode de la « bataille de l'évolution » se déroula à. Oxford, en 1860, au sein de l'Assemblée de la British Association, présidée par l'évêque Wilberface qui s'efforça, mais en vain d'être spirituel. Darwin, qui avait eu la chance de convertir à ses idées le grand naturaliste Huxley, vit celui-ci aux prises avec l'évêque qui luidemanda rageusement si c'était par son grand-père ou sa grand-mère qu'il descendait du singe. Huxley, dont la devise était : « Détruire toutes les charlataneries, si vastes soient-elles » répondit qu'il était plus honorable pour lui de descendre du singe que d'être parent avec un homme de mauvaise foi, qui parlait ce qu'il ne connaissait point. Huxley a beaucoup fait pour la propagande des idées darwiniennes. On peut dire qu'il se donna tout entier à la cause de son ami. N'est-ce pas lui qui disait fort sagement : « Mieux vaut un singe perfectionné qu'un Adam dégénéré » ? Huxley exposa dans différents journaux et dans ses livres les théories honnies, les répandit dans de nombreuses causeries en 1861 et 1862, sur les rapports zoologiques entre l'homme et les animaux intérieurs, repoussant dédaigneusement les armes perfides employés contre lui par la réaction pour entraver l'idée en marche. Huxley qui professait en philosophie l'agnosticisme et pratiquait à sa manière le socialisme en faisant l'éducation des masses ouvrières dans des cours populaires, publia en 1863 son principal ouvrage : Place de l'homme dans la nature, qui fut suivie d'une série de conférences sur Les diverses races humaines. Cet ouvrage augmenta le nombre de ses adversaires résolus à n'en point admettre les conclusions résultant des similitudes constatées par l'auteur entre la structure du cerveau de l'homme et des singes (Huxley était alors professeur de biologie dans ses rapports avec la paléontologie) : « Les différences de structure entre l'homme et les primates qui s'en rapprochent le plus, ne sont pas plus grandes que celles qui existent entre ces derniers et les autres membres de l'ordre des primates. En sorte que si l'on a quelques raisons pour croira que tous les primates, l'homme excepté, proviennent d'une seule et même souche primitive, il n'y a rien dans la structure de l'homme qui appuie la conclusion qu'il a eu une origine différente ». Saluons en Huxley le meilleur collaborateur de Darwin. Sa tâche fut de vulgariser l'évolutionnisme et le transformisme, tout en menant de front ses travaux personnels. On peut le compter au nombre des principaux émancipateurs de la pensée humaine au XIXème siècle. Les adversaires du transformisme, devant l'affirmation que le singe ne diffère point de l'homme, réclamèrent des intermédiaires ou passages, mais lorsqu'on en eût trouvé, comme le pithécanthrope, ils nièrent leur valeur ou authenticité.
En 1871, Darwin publia la Descendance de l'homme par voie de sélection naturelle. C'était le pendant et 1e complément de l'Origine des espèces. Dans ce nouveau livre, l'auteur, pratiquant la tolérance la plus large et ménageant la susceptibilité de ses lecteurs, n'en affirme pas moins avec plus d'autorité que jamais l'idée directrice de son oeuvre. Parmi les autres ouvrages de Darwin, citons son Voyage d'un naturaliste autour du monde, de 1831 à 1836 (1840-1842), contenant les résultats de l'expédition scientifique du Beagle sur les côtes de l'Amérique du Sud ; Les récifs de corail (1842), Variation des animaux et des plantes à l'état domestique (1860), La fécondation des orchidées pm' les insectes (1801), L'expression des émotions de l'homme et des animaux (1872), Les mouvements et les habitudes des plantes grimpantes (1875), Les plantes carnivores (1875), Les effets de la fécondation directe et de la fécondation croisée dans le règne végétal (1878), La faculté du mouvement chez les plantes (1880), Le rôle des vers de terre dans la formation de la terre végétale (1881), dans lequel il examine le rôle des infiniment petits, etc. ...
Lorsque Darwin mourut, en 1882, il laissait une oeuvre qu'on peut qualifier de monumentale. Par la somme d'idées qu'il avait remuées, il avait engagé la philosophie dans une voie nouvelle. L'élan était donné. La pensée humaine marchait dans la voie de l'émancipation. Un coin du voile qui nous dérobe la réalité avait été soulevé. Le darwinisme n'était pas autre chose qu'une réponse rationnelle faite au problème de l'origine de l'homme. Celui-ci n'est pas sorti parfait des mains d'un prestidigitateur divin, qui l'a tiré du néant, par un tour de passe-passe, mais il est l'oeuvre de la nature qui a mis des siècles à le former. D'une cellule originelle, qui a  pris naissance au sein des mers primitives, sont sorties en se diversifiant toutes les espèces vivantes, plantes et animaux (dans lesquels entrent les substances dont sont formés les minéraux). Les pré-vertébrés sont devenus des vertébrés marins d'abord, ensuite terrestres. L'un de ces derniers, le rameau simien, a donné naissance à l'homme. Si la théorie de l'évolution s'applique à l'animal, pourquoi ne s'appliquerait-elle pas à l'homme? Pourquoi serait-elle fausse en ce qui le concerne? L'homme, comme les animaux, dont il fait partie, n'a pas été créé, selon son espèce, comme chacun d'eux, il n'a pas fait l'objet d'une création spéciale. Il rentre dans le rang. Cette doctrine rabaisse l'orgueil des imbéciles, convenons-en. Darwin remit en honneur une théorie que le dogmatisme de Cuvier avait failli étouffer. Sans doute, Darwin croit beaucoup à Lamarck, qu'il paraît ignorer, car il ne lui rend point justice, mais Lamarck doit au darwinisme d'être revenu en faveur, triomphe auquel il n'a point assisté, mais que sa fille Cornélie, lui avait prédit lorsque, découragé, lâché par tous, aveugle, il se promenait tristement, à son bras, dans les jardins du Muséum. Il fallut le darwinisme pour que le transformisme fût tiré de l'oubli. Le darwinisme remplaça désormais le transformisme que l'on continua dé combattre en sa personne. Le darwinisme appliquait aux êtres organisés la même méthode qu'à la matière inorganique. D'où protestations de la part des fanatiques de la religion et aussi de la science, car celle-ci a ses fanatiques, qui en font une pseudoscience. L'autoritarisme sous toutes ses formes voyait dans le darwinisme l'ennemi! Celui-ci heurtait de front la tradition qui n'avait jamais subi un pareil assaut. Pour la première fois, elle chancelait. Le monstre était mortellement atteint. Le darwinisme était, comme le lamarckisme, une réaction contre le créationnisme, solution paresseuse, qui explique tout, sans rien expliquer. Avec le darwinisme, point d'intervention surnaturelle dans l'explication des phénomènes de la vie. Point de création miraculeuse, mais au contraire explication logique, naturelle, des faits, ne pouvant se produire sans cause. Tous les faits se tiennent, sont solidaires. Le présent provient du passé, et lui-même contient l'avenir. Avec le darwinisme, ni la terre n'est le centre de l'univers, ni l'homme n'est le principal habitant de la terre. Il fait justice à la fois et du géocentrisme et de l'anthropocentrisme. Ainsi, il ouvre à l'esprit de perspectives inouïes. Même si cette doctrine était fausse, elle serait encore créatrice parce que, en rejetant le point de
vue téléologique, le finalisme, dont se contentent les cerveaux simplistes, elle a renouvelé les méthodes des sciences. Le fanatisme sert les idées en les faisant connaitre. Celui-ci n'a retenu du « darwinisme » que la descendance de l'homme, ce qui a attiré sur elle l'attention. « L'homme descend du singe » est devenu la terreur des gens bien pensants. Ils n'ont vu que cela dans le transformisme, et parce qu'ils n'ont vu que cela, ils ont contribué malgré eux à l'évolution des idées. Darwin, nous l'avons dit, ne s'était pas étendu là dessus outre mesure, mais cette conclusion découlait de tous ses écrits. Pour les partisans de la Bible, l'arche de Noé tranchait la question! Les libres-penseurs, auxquels les socialistes s'étaient joints, transportant la question sur le terrain sociologique comme les croyants l'avaient fait sur le terrain de la foi, prirent parti pour le diable. Haeckel qui, avec Darwin, a puissamment contribué à la diffusion des idées transformistes, voulait extraire un « catéchisme » du darwinisme, en quoi il avait peut-être tort : tous les catéchismes se valent, c'est-à-dire qu'ils ne valent rien. A peine né, s'il rallia les meilleurs esprits, le darwinisme s'était heurté à une opposition systématique de la part de certains tardigrades résumant l'indignation et les scrupules des gens honnêtes et bien pensants. La doctrine qui niait la création distincte de chaque espèce et de l'homme trouva devant elle l'ignorance et la mauvaise foi. Ajoutons cependant que des savants se fourvoyèrent dans cette opposition, ne voulant pas démordre de leurs théories. Le suisse Agassiz, dont il faut louer la haute probité, fut de ceux-là. Agassiz était finaliste. Il croyait de bonne foi qu'une pensée créatrice avait présidé ù l'adaptation de chaque être à son milieu. Cela lui suffisait. En vain ses propres travaux venaient à l'appui du, transformisme. Agassiz se contentait de sa première idée : chaque espèce avait été créée par Dieu distinctement, et elle n'avait point varié. Ainsi accordait-il sa science et sa foi. Cependant, avant Serres et Muller, il avait reconnu que la succession des fossiles reproduisait les étapes de l'embryon au cours de son développement. Mais c'était encore l'oeuvre de Dieu. N'empêche qu'il se mettait en contradiction ouverte avec la genèse, en affirmant que chaque race humaine avait été créée à part, alors que le genre humain avait, d'après elle, une seule origine unique. Darwin admirait beaucoup Agassiz dont les idées, au fond, servaient sa doctrine.
Autre fixiste de moindre envergure, l'académicien Flourens, protégé de Cuvier et père du communard Gustave Flourens, qui lui succéda dans sa chaire du Collège de France. Flourens père était le type du parfait réactionnaire. Esprit étroit, il ne pouvait admettre l'évolution. Ce physiologiste, qui ne croyait pas à la contemporanéité de l'homme et des grands mammifères antédiluviens, démontrée par Boucher de Perthes, fut en France un des adversaires les plus acharnés du transformisme. Il niait que la nature ait le pouvoir de créer et le pouvoir de détruire des êtres. Pour ce partisan de la fixité des espèces, qui répondait toujours à côté de la question, il n'y avait que deux systèmes possibles : la génération spontanée ou la main de Dieu. Mais la génération spontanée n'est qu'une chimère. Reste la main de Dieu. Dès qu'on remonte à Dieu, tout s'explique. C'est avec des arguments de ce genre qu'on a combattu et qu'on combat encore le darwinisme. Piètre argument qui s'explique par la bêtise et le fanatisme de ceux qui, à court d'arguments, n'en ont pas d'autre à opposer aux observations de la science que « la main de Dieu ». Mon grand oncle Henri de Lacaze-Duthiers, savant officiel, membre de l'Institut et professeur à la Sorbonne pendant trente-cinq ans, était partisan de la fixité des espèces. Il resta le disciple de Cuvier jusqu'à l'heure de sa mort, survenue en 1901. Cependant, nul plus que le fondateur de la zoologie expérimentale, qui se méfiait des théories, n'a, par ses études d'embryogénie, contribué à montrer l'excellence de la doctrine de l'évolution. On ne s'explique pas comment il s'entêta à soutenir des idées que ses propres travaux démentaient constamment. Tous ses élèves, et non des moindres, se séparèrent de lui et passèrent dans le camp adverse, formant une équipe d'évolutionnistes comme on n'en vit jamais, parmi lesquels Albert Gaudry, Alfred Giard, Edmond et Rémy Perrier, Yves Delage, Pruvot, Boutan, Joubin, Roule, Cuénot, Pérez. Il n'est pas aujourd'hui de savant digne de ce nom qui ne soit plus ou moins évolutionniste. Rompant avec Lacaze-Duthiers, qui lui avait fait passer sa thèse de doctorat ès sciences en 1872, Alfred Giard se jeta dans la bataille, professant, sous les fenêtres mêmes de son ancien maître, un cours sur l'évolution des êtres organisés, subventionné par la Ville de Paris. Giard fut vraiment un initiateur. Cet anarchiste de la science, qui combattait toutes les superstitions, avait été frappé par ce fait que l'embryon reproduit l'évolution de l'espèce au cours de son développement : il passe par les différents stades par où sont passés les animaux dont les fossiles ont été trouvées dans les terrains datés par la géologie : dans les entrailles de la terre comme dans le ventre de la mère, c'est la même succession, et le même ordre d'apparition des espèces : l'être devient poisson, batracien, reptile et mammifère. Dans l'embryon, il est vrai, la récapitulation des formes est rapide et synthétique.. La nature ne met plus des siècles à former l'être vivant, mais seulement quelques mois. C'est une création en miniature, qui rappelle la création primitive. L'ontogénie ou évolution de l'individu reproduit en petit la phylogénie ou évolution de l'espèce. Serres, Fr. Muller et Haeckel, ont insisté là-dessus. On a pu objecter à la loi biogénétique (ou de patrogonie) que certains stades sont « brûlés » au cours du développement de l'embryon, et que la larve, vivant dans des conditions différentes, s'écarte du type ancestral. Pour Vialleton, cette récapitulation des formes ancestrales ne serait qu'une métaphore. Ajoutons que la suite des fossiles ne forme guère une série continue, ce qui complique le problème. Il n'en est pas moins vrai que l'embryologie vient apporter son appui à la théorie de l'évolution que la paléontologie confirme de son côté. Ces deux sciences s'accordent pour nous prouver que l'être humain a passé par différentes phases avant d'arriver à sa forme actuelle. De plus, comment douter de l'évolution quand on constate, chez l'homme, les transformations de certains organes rudimentaires? « L'idée transformiste est la seule qui nous apparaisse maintenant comme capable de fournir une réponse satisfaisante à la question de l'origine des êtres vivants qui peuplent la terre » (Yves Delage). Non seulement cette doctrine éclaire l'origine des espèces végétales et animales, mais encore l'origine de l'homme, et c'est ici que la réaction élève ses protestations. L'animal ne compte pas, qu'importe qu'il ait été créé par la nature. Mais l'homme, l'homme qui a été racheté par le sang d'un Dieu, l'homme ne peut pas avoir la même origine que l'animal. Il y a entre eux un abîme. Une des raisons de l'opposition au, transformisme réside dans la paresse intellectuelle et l'esprit misonéiste qui font que les bourgeois conservent leurs vieilles erreurs, ne voulant pas se donner la peine de faire un effort de pensée et de rompre leurs habitudes de tout repos. Ces gens-là ne veulent rien savoir quand une vérité nouvelle prend la place d'une vérité ancienne. Ils ne veulent rien modifier à leur façon de faire : comment accepteraient-ils de gaieté de coeur la théorie de l'évolution des espèces? Ce serait se condamner eux-mêmes. Ils préfèrent obéir à la fausse tradition que leurs parents leur ont transmise plutôt que de regarder en avant et de vivre. Il ne faut rien attendre de ces tardigrades. L'hypothèse de la création est simple, elle satisfait les cerveaux médiocres: pas besoin de travailler pour la formuler. Tout esprit critique est écarté ; il n'y a point de discussion possible. On se contente d'affirmer : c'est plus facile. Le transformisme, au contraire, exige l'étude de toutes les sciences et un renouvellement de la mentalité. Il exige des esprits ouverts à toutes les recherches désintéressées, des âmes curieuses, avides de savoir. Avouons que certains cerveaux ne se transformeront jamais : l'exemple donné par certains individus - qui n'évoluent que pour se renier- nous ferait mettre en doute l'évolution, conçue comme un progrès, et une marche en avant. On se demande si l'humanité se transformera jamais, quand on voit la façon dont agissent les brutes de tous clans, de toutes classes!

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