FAUSSE
INTERPRETATION DU DARWINNISME. LA
SELECTION
A REBOURS.
Yves
Delage fait observer qu' « il faut tracer une ligne de démarcation
entre le côté transformiste des idées darwiniennes et leur côté
sélectionniste. Si le transformisme darwinien a rendu à
l'émancipation de l'esprit humain le service le plus grand peut-être
dont on ait jamais été redevable à une théorie scientifique,
l'idée de la sélection naturelle n'a pas, bien au contraire, les
mêmes titres à notre reconnaissance ». On a tiré de la sélection
naturelle des conclusions fausses. Toute grande doctrine,
philosophique ou littéraire, est rapetissée par la médiocrité.
Les arrivistes ont trouvé dans les théories darwiniennes la
justification de leur égoïsme ; les faibles doivent être
sacrifiés, piétinés, pour le plus grand bien de l'espèce. Or, les
faibles dont il s'agit ici ne sont point ces résignés qui, par leur
inertie, justifient les violences et l'autorité des soi-disant
forts, ce sont les vrais forts, c'est-à-dire les indépendants et
les sincères, ceux qui se séparent du troupeau sur toutes les
questions. La haute pègre, qui légifère et domine, tient à garder
ses privilèges et elle combat sans pitié toute velléité d'action
et de pensées libres. Le darwinisme ainsi compris - comme le
triomphe du plus rusé et du plus habile sur celui qui refuse de
s'adapter et de se plier aux exigences de l'élite ou du nombre -
cadre bien avec le régime barbare des sociétés dites civilisées,
dans lesquelles le mensonge seul est honoré, et où la crapule dorée
se vautre et fait la loi. Avec cette conception, dans laquelle la vie
n'apparaît plus que comme une lutte de bas intérêts, lutte pour
l'or ou la propriété, tantôt l'individu, subit la tyrannie du
nombre, tantôt le nombre subit la tyrannie de l'individu. Maîtres
et serviteurs sont pareillement esclaves. Le darwinisme est la
justification des moyens dont usent et abusent guerriers, diplomates,
mercantis, prêtres de toutes les églises, politiciens, chefs
d'Etat. La lutte pour la vie est la forme la plus aiguë de la lutte
pour la mort. Le « struggle for life » a dressé les individus les
uns contre les autres, multipliant les besoins et les appétits.
L'homme est devenu un loup pour l'homme. L'enfer que les chrétiens
placent hors de la vie est dans la vie même, cette vie qui nous est
imposée chaque jour par les maîtres de l'heure. Le plus roublard
l'emporte ; l'hypocrisie et la ruse se revêtent du masque de
l'honnêteté pour exercer leurs méfaits ; la sincérité n'est plus
de mode. Les bourgeois pratiquent à rebours la sélection, brimant
les meilleurs esprits, leur imposant leurs lois, les envoyant au
bagne ou à l'abattoir, favorisant les brutes, les ignares, les
cuistres, Comprendre ainsi la sélection - qui est le triomphe
intégral des brutes - c'est n'y rien comprendre. C'est une
conception fantaisiste qui n'a pu éclore qu'en des cerveaux
dégénérés. Ce darwinisme-là n'est point le vrai. Au nom de la
justice et de l'amour, nous le répudions. Toute doctrine saine est
détournée au profit des brutes : il est arrivé à Darwin ce qui
est arrivé à Nietzsche et à quelques autres : on leur a fait dire
exactement le contraire de ce qu'ils avaient dit, et on s'est servi
de leurs noms pour justifier tous les crimes. Or, les
évolutionnistes étaient des hommes sincères, et non des pantins,
convaincus, comme Lamarck, de la nécessité de la solidarité
(Lamarck combattait les inégalités sociales et la propriété,
l'autoritarisme sous toutes ses formes), comme Darwin, que la
sympathie est nécessaire au bonheur des individus, sympathie dont
Guyau, influencé par Darwin, faisait le principe de l'art, de la
religion et de la sociologie. Il y a dans le darwinisme une loi de
progrès implicite, au lieu des conclusions que l'arrivisme et
l'égoïsme en tirent chaque jour. On n'a voulu retenir - et pour
cause - que le côté négatif de la doctrine, comme on n'a retenu de
celle de Nietzsche que son envers. Il y a autre chose dans le
darwinisme que le triomphe de la bêtise sur l'intelligence, de la
brute sur l'esprit pacifique. Le fils de l'auteur de « L'Origine des
Espèces ». Léonard Darwin, a soutenu que la reproduction de
l'espèce devait être entreprise au nom de la sélection. Il n'est
point partisan d'engendrer des êtres misérables et laids, mais des
hommes véritables, la qualité étant bien préférable à la
quantité. L'évolution doit aider à peupler l'humanité de vivants,
et non pas à la surpeupler d'idiots et de dégénérés. Que
voyons-nous aujourd'hui? La société d'après-guerre est au-dessous
de tout. C'est que la sélection se fait à rebours, la mentalité
des individus n'ayant de nom dans aucune langue, mentalité
inférieure à
celle
du dernier des sauvages. Il est grand temps de réagir. On peut
objecter à Darwin qua la lutte des individus contre les conditions
naturelles dépasse de beaucoup celle que se livrent entre eux les
individus d'une même espèce. C'est le point de vue auquel s'est
placé Kropotkine. Kropotkine voyait un facteur d'évolution dans
l'entraide, et non dans la lutte pour l'existence (L'Entraide, un
facteur d'évolution.) Cette évolution positive est autrement noble
et utile que l'évolution négative, qui sacrifie les meilleurs aux
pires scélérats. Ce qui résulte pour nous de l'examen des
doctrines évolutionnistes c'est la nécessité de la liberté de
chaque individu au sein d'une société libre, d'où mensonges,
préjugés, dogmes et lois auront été impitoyablement bannis.
Haeckel dans son « Histoire de la Création des êtres organisés
d'après les lois naturelles », rappelle que le peuple de Sparte
n'a dû son haut degré de force virile qu'en pratiquant la sélection
artificielle, et qu'il en est de même pour les tribus des
peaux-rouges de l'Amérique du Nord qui mettent à mort les
nouveau-nés débiles. Et le philosophe du monisme en profite pour
montrer dans la sélection militaire pratiquée dans notre société
dite civilisée un crime abject, les hommes les plus sains et les
plus robustes étant immolés au Moloch insatiable. « Au contraire,
tous les jeunes gens débiles, malades, affectés de vices corporels,
sont dédaignés par la sélection militaire ». Opposant à .la
sélection artificielle du militarisme, la sélection naturelle,
Haeckel voit dans celle-ci « le plus fort levier du progrès, le
principal agent de perfectionnement ». Il croit que dans la nature,
le parfait triomphe de l'imparfait. « Or, dans l'espèce humaine,
cette lutte pour vivre devient de plus en plus une lutte
intellectuelle, de moins en moins une bataille avec des armes
guerrières. Grâce à l'influence ennoblissante de la sélection
naturelle, l'organe qui se perfectionne plus que tout autre chez
l'homme, c'est le cerveau. En général, ce n'est pas l'homme armé
du meilleur revolver, c'est l'homme doué de l'intelligence la plus
développée qui l'emporte, et il léguera à ses rejetons les
facultés cérébrales qui lui ont valu la victoire. Nous avons donc
le droit d'espérer, qu'en dépit des forces rétrogrades, nous
verrons, sous l'influence bénie de la sélection naturelle, se
réaliser toujours de plus en plus le progrès de l'humanité vers la
liberté et par conséquent vers le plus grand perfectionnement
possible ». Nous pensons qu'en fait de sélection artificielle, la
meilleure c'est encore celle qui n'attend pas la naissance de
l'enfant pour le supprimer ou le conserver, mais prépare sa venue,
ne le jetant pas dans la vie nanti de tares alcooliques ou autres.
Préparons une humanité meilleure en devenant meilleurs nous-mêmes,
en réformant notre mentalité et nos moeurs, en n'obéissant qu'à
la justice et à la vérité. Refusons d'imiter le troupeau,
élargissons sans cesse notre idéal. L'individualisme conçu comme
l'épanouissement de l'être vivant en beauté, libéré moralement
etphysiquement, est la meilleure sélection.
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