Ses
premières formes ont été dans l'antiquité. On en faisait, en
Grèce, l'accompagnement des festins et des fêtes de famille. Elle
ne se différenciait guère de la danse populaire. Au Moyen-âge, la
formation de la société « courtoise » fit délaisser la danse
populaire par les nobles dames et leurs chevaliers. La danse de
société naquit avec des règles qu'enseignèrent des professeurs et
elle fit partie de l'éducation aristocratique. Elle emprunta d'abord
les anciennes caroles qui se modifièrent avec la poésie des
troubadours et la littérature romanesque. Les branles populaires,
adoptés aussi, se transformèrent de même mais demeurèrent des
danses gaies. D'autres plus graves furent adoptées, appelées danses
basses parce qu'elles étaient glissées et que le saut ou
sautillement en était banni. Les danses basses étaient précédées
de la pavane, particulièrement à la Cour où sa solennité
répondait à celle des danseurs. Dans les ballets, c'est en dansant
la pavane que les dieux et les monarques faisaient leur entrée. La
gravité des danses basses était telle qu'on les accompagnait du
chant des Psaumes. Les personnages les plus officiels, et parmi eux
les grands dignitaires de l'Eglise, la pratiquaient malgré
l'ostracisme que la religion jetait sur la danse.
Formée
d'abord en Italie, la danse de société se développa surtout en
France pour se répandre avec ses règles françaises dans toutes les
cours d'Europe où elles ne cessèrent pas de régner. Aussi, les
diplomates français délégués dans ces cours ont-ils toujours dû
être, avant tout, de bons danseurs. C'est la seule qualité
qu'apporta en Pologne Henri de Valois, quand il devint roi de ce pays
avant de monter sur le trône de France sous le nom d'Henri III. A la
suite de cette formation, on donna le nom de bals (du latin ballo)
aux assemblées réunies pour la danse et aux lieux où se tenaient
ces assemblées. Le premier bal dont parle l'histoire est celui qui
se tint à Amiens, en 1385, pour le mariage de Charles VI. L'arrivée
de Catherine de Médicis en France fit prendre encore plus de vogue à
la danse. Cette reine apporta avec elle des nouveautés italiennes
qui animèrent les bals de cour. On organisa les premières
mascarades qui remplacèrent les tournois chevaleresques. Les longues
et lourdes robes de cour devinrent plus courtes et plus légères
pour la danse. On préféra alors aux danses basses toute la variété
des branles : le passe-pied breton, la bourrée auvergnate, la
gavotte dauphinoise, le tambourin et le rigodon provençaux, etc. ...
Des danses nouvelles encore plus vives, la plupart sautées, parurent
: la gaillarde, la voile, la courante, la sarabande espagnole,
l'allemande, dont le nom indique l'origine et d'où la valse devait
sortir plus tard. La courante fut la grande danse qui établit la
suprématie française à l'étranger. Le menuet dériva d'elle et la
détrôna au XVIIIème siècle. Le mélange des danses basses et
légères produisit des effets curieux, C'est ainsi que dans un bal
masqué, Diane de Poitiers chanta le De Profundis arrangé sur l’air
d'une volte, qu'elle dansa en même temps. C'est d'ailleurs là un
des traits de ce temps où la farce et 1a religion étaient mêlées
de façon à la fois si comique et si tragique. Les bals ne furent
pas moins nombreux sous Henri IV et même sous le triste Louis XIII
ils étaient la grande occupation des gens de Cour.
En
Italie, la Renaissance, réveillant le goût des divertissements
classiques, avait créé le ballet qui fut d'abord une forme de la
danse de société. Il représentait, avec un luxe de plus en plus
grand des scènes bibliques, héroïques et allégoriques. Il était
mêlé de pantomime et de scènes comiques jouées par des masques.
Il en sortit la comédie italienne et la danse dramatique moderne.
Les ballets furent introduits en France où le premier dansé en
1581, fut le Ballet comique de la reine, dont le sujet avait été
tiré de la Circé de d'Agrippa d'Aubigné. Le ballet fut d'abord
produit par la collaboration, très variée et telle qu'elle devait
être réunie au théâtre, des poètes, musiciens, chorégraphes,
costumiers, décorateurs. A la Cour s'ajoutait celle des seigneurs
qui étaient les danseurs. Le ballet de Cour atteignit son apogée
lorsque Louis XIV lui-même y figura. Il s'y montra pour 1a première
fois en 1651, dans Cassandra, de Benserade.
de
Flore, en 1669. Sa retraite fut attribuée à l'impression que lui
causèrent les vers de Britannicus où Racine blâmait les amusements
de Néron ; elle amena la fin du ballet de Cour. Ce divertissement
s'était de plus en plus transformé dans le sens du théâtre où il
allait prendre sa place. (Voir : la Danse dramatique). La Cour
retourna alors aux grands bals. Ils devinrent ennuyeux et le furent
encore bien davantage sous Napoléon 1er, lorsque ce monarque voulut
imposer aux Mmes Angot, devenues duchesses de l'Empire, la pompe des
temps de Versailles. Après Louis XIV, un élément nouveau se forma
en marge des cérémonies officielles, pour établir une sorte de
pont entre le bal de Cour et le bal populaire en fournissant à la
noblesse l'occasion de « s’encanailler » et aux gens du commun
celle de se frotter aux gens de qualité. Cet élément fut fourni
d'abord par le théâtre, où le ballet était entré et n'était
plus dansé que par des professionnels, surtout des professionnelles,
la plupart sorties du peuple, dont les seigneurs et les traitants,
les Richelieu et les Mercadet faisaient leurs maîtresses. Le ballet
de l'Opéra venait danser à la Cour. Celle-ci alla danser à
l'Opéra, lorsque, en 1715, une ordonnance royale créa le bal qui
s'y donna trois fois par semaine. Ces bals eurent une vogue
extraordinaire ; toutes les classes s'y mêlèrent, surtout après la
Révolution et le premier Empire ; ils continuent aujourd'hui. Des
industriels exploitèrent cette vogue et organisèrent des lieux de
danse publics. On créa le jardin Ruggieri en 1766 aux Porcherons, le
Vaux-Hall de la rue de Lancry en 1767, le Colisée des Champs-
Elysées en 1771, le Ranelagh en 1774, le Vaux-Hall de la foire
Saint-Germain en 1775, etc.... Les bals se multiplièrent après
l'Empire et de plus en plus s'y trouvèrent mêlés « l'élite du
rebut et le rebut de l'élite », suivant le mot de Michel Georges
Michel sur la clientèle que réunissent aujourd'hui Deauville et les
autres lieux de plaisir à la mode. En même temps, les bals de
l'Opéra atteignaient leur plus grand succès sous la direction de
Musard. La vogue des bals publics était favorisée par les danses
nouvelles. Celles de l'ancienne Cour étaient devenues des danses
classiques passées au théâtre avec le ballet. Elles avaient été
remplacées par les danses anglaises plus vives et la contredanse
plus facile, qui fut le premier quadrille, on quadrille français. Le
répertoire dansant s'enrichit successivement des danses tournées
allemandes, d'abord la valse qui en est le type. Mise à la mode en
1787, puis modifiée par Weber dans son invitation à la valse, elle
arriva à sa pleine gloire lorsque Strauss lui donna une allure
tourbillonnante. Ce furent ensuite la scottish, qui est une valse
écossaise, la polka, née en Bohême, la mazurka, venue de Pologne
et portée d'abord au théâtre, mais qui perdit son originalité
quand on en fit la polkamazurka des salons. On inventa aussi le
boston, combinaison des danses
précédentes,
et le cotillon, jeu de société exécuté en dansant, dont le nom
vient d'une ancienne chanson :
Ma
commère, quand je danse,
Mon
cotillon va-t-il bien?
Quelques-unes
de ces danses, le cotillon en particulier, demeurèrent dans les
salons et les bals de société. Les autres furent rapidement
adoptées dans les bals publics où on leur donna les allures les
plus libres. Le quadrille surtout a pris les formes les plus variée,
depuis les plus correctes, celles du quadrille des lanciers jusqu'aux
plus fantaisistes, celles du cancan ou chahut inventé par Chicard et
dansé par ces célébrités excentriques qui se sont appelées : la
Mogador, devenue comtesse de Chabrillan, la reine Pomaré, Pritchard
Brididi, Tortillard, Mercure, Mme Panache, Rose Pompon, Clara
Fontaine, Rigolboche, Zouzou Toquée, Tata Rigolo, Grille d'Egout, la
Goulue, la Gueule Plate, Pas d'lapin, et cent autres. Ces danseurs
étaient des attractions des bals Mabille, la Grande Chaumière, le
Prado, Valentino, la Closerie des Lilas (devenue Bul spectaculaires,
mais encore plus pittoresques, étaient les bals de barrière, où
triomphait la valse chaloupée et où les « gens chics » faisant ce
qu'on a appelé « la tournée des grands ducs », allaient chercher
le « frisson du crime ». C'est des bals de Belleville que se
faisait, le Mardi-Gras, la descente de la Courtille, dirigée par «
mylord l'Arsouille ».
Déjà,
avant la guerre, les bals de barrière n'offraient rien de plus
spécial que le spectacle que se donnaient à eux-mêmes les « gens
chics » dans leurs dancings. Des danses étrangères nouvelles
étaient devenues à la mode, le tango en particulier. Importé des
bas-fonds de l'Argentine où il était pratiqué par des cowboys mis
en rut par des semaines de solitude dans les pampas, « il n'est que
la danse du ventre à deux » (Sem, La Ronde de Nuit). Depuis la
guerre se sont ajoutées, au tango, des danses américano-nègres,
les fox-trots, shimmy, one-steps et autres « frottements » qui
s'accompagnent de la musique sauvage du jazz-band et permettent aux
gens « honorables », comme aux autres, de s'exciter en public sans
encourir le moindre blâme. Car le dancing a unifié toutes les
classes de même que la danse, grâce à la frénésie gigotante que
la guerre a produite et dont nous reparlerons plus loin.
La
danse des salons n'existe plus que comme un morne exercice du «
monde où l'on s'ennuie ». Ce monde, lorsqu'il a de l'argent à sa
disposition, s'évade de ses anciennes formes de vie pour mener celle
des palaces. C'est là qu'il danse dans ce qu'on appelle des « fêtes
de charité » où il « fait le bien en s'amusant », selon la
formule de ces fêtes inaugurées il y a une centaine d'années.
Elles ne sont souvent que des escroqueries et les malheureux au
profit de qui elles sont, dit-on, organisées n'en voient pas un
centime ; mais les gens qui s’amusent ne vont pas chercher si loin
et puis « ça fait marcher le commerce ». Ainsi, la danse se trouve
associée au muflisme contemporain qui est, d'après Flaubert, la
troisième évolution de l'humanité, à la suite du paganisme et du
christianisme.
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