dimanche 30 septembre 2018

LA DANSE DE SOCIÉTÉ Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Ses premières formes ont été dans l'antiquité. On en faisait, en Grèce, l'accompagnement des festins et des fêtes de famille. Elle ne se différenciait guère de la danse populaire. Au Moyen-âge, la formation de la société « courtoise » fit délaisser la danse populaire par les nobles dames et leurs chevaliers. La danse de société naquit avec des règles qu'enseignèrent des professeurs et elle fit partie de l'éducation aristocratique. Elle emprunta d'abord les anciennes caroles qui se modifièrent avec la poésie des troubadours et la littérature romanesque. Les branles populaires, adoptés aussi, se transformèrent de même mais demeurèrent des danses gaies. D'autres plus graves furent adoptées, appelées danses basses parce qu'elles étaient glissées et que le saut ou sautillement en était banni. Les danses basses étaient précédées de la pavane, particulièrement à la Cour où sa solennité répondait à celle des danseurs. Dans les ballets, c'est en dansant la pavane que les dieux et les monarques faisaient leur entrée. La gravité des danses basses était telle qu'on les accompagnait du chant des Psaumes. Les personnages les plus officiels, et parmi eux les grands dignitaires de l'Eglise, la pratiquaient malgré l'ostracisme que la religion jetait sur la danse.
Formée d'abord en Italie, la danse de société se développa surtout en France pour se répandre avec ses règles françaises dans toutes les cours d'Europe où elles ne cessèrent pas de régner. Aussi, les diplomates français délégués dans ces cours ont-ils toujours dû être, avant tout, de bons danseurs. C'est la seule qualité qu'apporta en Pologne Henri de Valois, quand il devint roi de ce pays avant de monter sur le trône de France sous le nom d'Henri III. A la suite de cette formation, on donna le nom de bals (du latin ballo) aux assemblées réunies pour la danse et aux lieux où se tenaient ces assemblées. Le premier bal dont parle l'histoire est celui qui se tint à Amiens, en 1385, pour le mariage de Charles VI. L'arrivée de Catherine de Médicis en France fit prendre encore plus de vogue à la danse. Cette reine apporta avec elle des nouveautés italiennes qui animèrent les bals de cour. On organisa les premières mascarades qui remplacèrent les tournois chevaleresques. Les longues et lourdes robes de cour devinrent plus courtes et plus légères pour la danse. On préféra alors aux danses basses toute la variété des branles : le passe-pied breton, la bourrée auvergnate, la gavotte dauphinoise, le tambourin et le rigodon provençaux, etc. ... Des danses nouvelles encore plus vives, la plupart sautées, parurent : la gaillarde, la voile, la courante, la sarabande espagnole, l'allemande, dont le nom indique l'origine et d'où la valse devait sortir plus tard. La courante fut la grande danse qui établit la suprématie française à l'étranger. Le menuet dériva d'elle et la détrôna au XVIIIème siècle. Le mélange des danses basses et légères produisit des effets curieux, C'est ainsi que dans un bal masqué, Diane de Poitiers chanta le De Profundis arrangé sur l’air d'une volte, qu'elle dansa en même temps. C'est d'ailleurs là un des traits de ce temps où la farce et 1a religion étaient mêlées de façon à la fois si comique et si tragique. Les bals ne furent pas moins nombreux sous Henri IV et même sous le triste Louis XIII ils étaient la grande occupation des gens de Cour.
En Italie, la Renaissance, réveillant le goût des divertissements classiques, avait créé le ballet qui fut d'abord une forme de la danse de société. Il représentait, avec un luxe de plus en plus grand des scènes bibliques, héroïques et allégoriques. Il était mêlé de pantomime et de scènes comiques jouées par des masques. Il en sortit la comédie italienne et la danse dramatique moderne. Les ballets furent introduits en France où le premier dansé en 1581, fut le Ballet comique de la reine, dont le sujet avait été tiré de la Circé de d'Agrippa d'Aubigné. Le ballet fut d'abord produit par la collaboration, très variée et telle qu'elle devait être réunie au théâtre, des poètes, musiciens, chorégraphes, costumiers, décorateurs. A la Cour s'ajoutait celle des seigneurs qui étaient les danseurs. Le ballet de Cour atteignit son apogée lorsque Louis XIV lui-même y figura. Il s'y montra pour 1a première fois en 1651, dans Cassandra, de Benserade.
de Flore, en 1669. Sa retraite fut attribuée à l'impression que lui causèrent les vers de Britannicus où Racine blâmait les amusements de Néron ; elle amena la fin du ballet de Cour. Ce divertissement s'était de plus en plus transformé dans le sens du théâtre où il allait prendre sa place. (Voir : la Danse dramatique). La Cour retourna alors aux grands bals. Ils devinrent ennuyeux et le furent encore bien davantage sous Napoléon 1er, lorsque ce monarque voulut imposer aux Mmes Angot, devenues duchesses de l'Empire, la pompe des temps de Versailles. Après Louis XIV, un élément nouveau se forma en marge des cérémonies officielles, pour établir une sorte de pont entre le bal de Cour et le bal populaire en fournissant à la noblesse l'occasion de « s’encanailler » et aux gens du commun celle de se frotter aux gens de qualité. Cet élément fut fourni d'abord par le théâtre, où le ballet était entré et n'était plus dansé que par des professionnels, surtout des professionnelles, la plupart sorties du peuple, dont les seigneurs et les traitants, les Richelieu et les Mercadet faisaient leurs maîtresses. Le ballet de l'Opéra venait danser à la Cour. Celle-ci alla danser à l'Opéra, lorsque, en 1715, une ordonnance royale créa le bal qui s'y donna trois fois par semaine. Ces bals eurent une vogue extraordinaire ; toutes les classes s'y mêlèrent, surtout après la Révolution et le premier Empire ; ils continuent aujourd'hui. Des industriels exploitèrent cette vogue et organisèrent des lieux de danse publics. On créa le jardin Ruggieri en 1766 aux Porcherons, le Vaux-Hall de la rue de Lancry en 1767, le Colisée des Champs- Elysées en 1771, le Ranelagh en 1774, le Vaux-Hall de la foire Saint-Germain en 1775, etc.... Les bals se multiplièrent après l'Empire et de plus en plus s'y trouvèrent mêlés « l'élite du rebut et le rebut de l'élite », suivant le mot de Michel Georges Michel sur la clientèle que réunissent aujourd'hui Deauville et les autres lieux de plaisir à la mode. En même temps, les bals de l'Opéra atteignaient leur plus grand succès sous la direction de Musard. La vogue des bals publics était favorisée par les danses nouvelles. Celles de l'ancienne Cour étaient devenues des danses classiques passées au théâtre avec le ballet. Elles avaient été remplacées par les danses anglaises plus vives et la contredanse plus facile, qui fut le premier quadrille, on quadrille français. Le répertoire dansant s'enrichit successivement des danses tournées allemandes, d'abord la valse qui en est le type. Mise à la mode en 1787, puis modifiée par Weber dans son invitation à la valse, elle arriva à sa pleine gloire lorsque Strauss lui donna une allure tourbillonnante. Ce furent ensuite la scottish, qui est une valse écossaise, la polka, née en Bohême, la mazurka, venue de Pologne et portée d'abord au théâtre, mais qui perdit son originalité quand on en fit la polkamazurka des salons. On inventa aussi le boston, combinaison des danses
précédentes, et le cotillon, jeu de société exécuté en dansant, dont le nom vient d'une ancienne chanson :
Ma commère, quand je danse,
Mon cotillon va-t-il bien?
Quelques-unes de ces danses, le cotillon en particulier, demeurèrent dans les salons et les bals de société. Les autres furent rapidement adoptées dans les bals publics où on leur donna les allures les plus libres. Le quadrille surtout a pris les formes les plus variée, depuis les plus correctes, celles du quadrille des lanciers jusqu'aux plus fantaisistes, celles du cancan ou chahut inventé par Chicard et dansé par ces célébrités excentriques qui se sont appelées : la Mogador, devenue comtesse de Chabrillan, la reine Pomaré, Pritchard Brididi, Tortillard, Mercure, Mme Panache, Rose Pompon, Clara Fontaine, Rigolboche, Zouzou Toquée, Tata Rigolo, Grille d'Egout, la Goulue, la Gueule Plate, Pas d'lapin, et cent autres. Ces danseurs étaient des attractions des bals Mabille, la Grande Chaumière, le Prado, Valentino, la Closerie des Lilas (devenue Bul spectaculaires, mais encore plus pittoresques, étaient les bals de barrière, où triomphait la valse chaloupée et où les « gens chics » faisant ce qu'on a appelé « la tournée des grands ducs », allaient chercher le « frisson du crime ». C'est des bals de Belleville que se faisait, le Mardi-Gras, la descente de la Courtille, dirigée par « mylord l'Arsouille ».
Déjà, avant la guerre, les bals de barrière n'offraient rien de plus spécial que le spectacle que se donnaient à eux-mêmes les « gens chics » dans leurs dancings. Des danses étrangères nouvelles étaient devenues à la mode, le tango en particulier. Importé des bas-fonds de l'Argentine où il était pratiqué par des cowboys mis en rut par des semaines de solitude dans les pampas, « il n'est que la danse du ventre à deux » (Sem, La Ronde de Nuit). Depuis la guerre se sont ajoutées, au tango, des danses américano-nègres, les fox-trots, shimmy, one-steps et autres « frottements » qui s'accompagnent de la musique sauvage du jazz-band et permettent aux gens « honorables », comme aux autres, de s'exciter en public sans encourir le moindre blâme. Car le dancing a unifié toutes les classes de même que la danse, grâce à la frénésie gigotante que la guerre a produite et dont nous reparlerons plus loin.
La danse des salons n'existe plus que comme un morne exercice du « monde où l'on s'ennuie ». Ce monde, lorsqu'il a de l'argent à sa disposition, s'évade de ses anciennes formes de vie pour mener celle des palaces. C'est là qu'il danse dans ce qu'on appelle des « fêtes de charité » où il « fait le bien en s'amusant », selon la formule de ces fêtes inaugurées il y a une centaine d'années. Elles ne sont souvent que des escroqueries et les malheureux au profit de qui elles sont, dit-on, organisées n'en voient pas un centime ; mais les gens qui s’amusent ne vont pas chercher si loin et puis « ça fait marcher le commerce ». Ainsi, la danse se trouve associée au muflisme contemporain qui est, d'après Flaubert, la troisième évolution de l'humanité, à la suite du paganisme et du christianisme.

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