dimanche 30 septembre 2018

DERNIERS ECHOS DE LA CROISADE CONTRE LE DARWINISME. Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure


DERNIERS ECHOS DE LA CROISADE CONTRE LE
DARWINISME. L'AFFAIRE SCPOPES.

Le procès du darwinisme avait été engagé avant le darwinisme même. Avec celui-ci il est entré dans une voie aiguë. Il dure encore. La croisade contre l'origine simiesque de l'homme se continue chez les bourgeois bien pensants, rentés, assis, par l'entremise de leurs prêtres, de leurs moralistes et de leurs politiciens. Il n'est pas de théorie qui n'ait été plus mal comprise que le darwinisme, et qui n'ait été combattue avec d'aussi piètres arguments. Le procès engagé depuis plus d'un siècle entre Moïse et Darwin est un des moments de la lutte éternelle que se livrent l'esprit de mensonge et l'esprit de vérité. Darwin n'a dû qu'à sa prudence et à sa modération d'avoir la vie sauve.
On croyait qu'enfin le darwinisme, après une mise au point qui le plaçait au nombre des hypothèses fécondes de la science n'allait plus être discuté. On comptait sans le fanatisme, qui ne désarme jamais. Il est comme le feu, qui couve sous la cendre. On pensait close la lutte, lorsqu'elle a repris de plus belle, avec une extrême violence. Si tous les esprits sérieux ont accepté le darwinisme, en le corrigeant, le complétant ou le dépassant, les esprits rétrogrades voient toujours dans cette doctrine une doctrine diabolique, immorale et pernicieuse. Nous en avons eu récemment une preuve éclatante dans un procès intenté en Amérique à un jeune professeur. Ce procès a couvert de ridicule ceux qui l'ont provoqué, et il faut espérer qu'après cette expérience la bêtise ne récidivera plus. Elle a donné toute sa mesure. Jamais les adversaires du transformisme ne s'étaient montrés aussi plats, en pensées, en paroles et en actes. On voulut frapper un grand coup. L'Amérique, pays de bluff, se chargea de la besogne. La Croisade contre la théorie de l'évolution a eu cette fois pour théâtre le nouveau monde avec, pour chef, un politicien du nom de Bryan, ancien secrétaire d'Etat du cabinet Wilson. Le père du régime sec n'a guère brillé dans cette affaire. Se présentant, pour la quatrième fois à la Présidence des Etats-Unis, ce singulier homme d'Etat avait cherché par tous les moyens d’attirer sur lui l'attention, s'efforçant de provoquer de l'agitation dans le pays de Carlyle et de Walt Whitman. Il voulait essayer de déclencher un mouvement religieux « afin d'introduire la Bible dans la Constitution américaine ». Il tenta de faire les élections sur le dos du darwinisme, mêlant stupidement la religion et la politique à la science. L'antiévolutionnisme était devenu un mot d'ordre électoral, La bataille allait s'engager entre évolutionnistes et antiévolutionnistes! William J. Bryan espérait bien faire triompher sur son nom la sainte cause de la Bible. Il pensait que l'incohérence du suffrage universel déciderait de quel côté est la vérité. Un procès fut intenté dans la libre Amérique au professeur John Scopes, coupable du crime de darwinisme. Il était accusé d'avoir violé la constitution de l'Etat du Tennessee en enseignant la doctrine de l'évolution, proscrite au nom de la Bible par ces braves protestants. Bryan se porta partie civile contre lui et se montra le plus enragé des antidarwinistes. C'est lui qui, en réalité, dirigeait les débats. Ce qui ne lui profita guère, car cet apôtre de la tempérance mourut d'indigestion, dans la ville même où avait lieu le procès. Le meilleur champion de cette mauvaise cause fut frappé en pleine bataille (en quoi Dieu, d'où il descend, se montra fort ingrat, en le faisant remonter au ciel). Si ces pudiques protestants avaient été tant soi peu logiques, ils auraient dû voir dans cette mort que Dieu même ne pactisait pas avec leurs gesticulations. Ce procès vaut d'être rappelé ici, en détail, car il est toujours bon de montrer à l'oeuvre le fanatisme et de dénoncer les petits moyens qu'il emploie. Le procès du darwinisme, du transformisme et de l'évolutionnisme réunis eut lieu à Dayton (Ohio), que des plaisants qualifièrent à cette occasion de Monkeyville (Ville des Singes). Le candidat des démocrates, battu deux fois aux élections présidentielles par Mac Kinley, et une fois par Caft, n'avait rompu le silence après une vie mouvementée que pour se ridiculiser dans le procès Dayton. Pour Bryan, politicien roublard, à la mentalité étroite, l'affaire Scopes n'était qu'un moyen de réclame en vue des élections, l'occasion cherchée depuis longtemps, de prendre la défense des gens de la campagne contre ceux de la ville. Ce procès, sorte d'affaire Dreyfus de la science, dura du 11 au 21 juillet 1925 Le maniaque Bryan, affirmait sans sourciller que « les savants qui prétendent que nous descendons du singe sont des individus malhonnêtes ». Il n'y avait qu'à s’incliner. L'homme qui avait donné sa démission de secrétaire d'Etat lorsque Wilson protesta contre la guerre sous-marine, était l'auteur de deux ouvrages pauvres d’idées et de style, dans lesquels il avait déjà combattu la doctrine de l'évolution : « La menace du Darwinisme (1917) et la Bible et ses ennemis (1918) ». Enhardi par ses triomphes précédents, il déclarait avec emphase que « cette guerre n'engage pas seulement l'église orthodoxe, mais la Religion elle-même. C'est une guerre jusqu'au bout, ajoutait le nouveau Pierre l'Ermite. Toutes les églises sont engagées, parce qu'une fois l'autorité du verbe divin détruite, il n'y aura aucun besoin d’églises ou de prêtres. Tout le monde ira au cinéma au lieu d'aller au temple ». On se demande où serait le mal, si le cinéma aidait à dissiper toutes les superstitions. En vérité, étrange procès qui mit de nouveau aux prises le fanatisme et la pensée libre. Naturellement la presse réactionnaire du monde entier en profita pour prendre fait et cause pour Bryan et condamner une fois de plus l'évolutionnisme. Elle sauva encore une fois l'honneur des bourgeois qui ne peuvent, en aucune manière, descendre du singe. Le Tennessee est un des endroits du monde, après la France, où il y a le plus d'illettrés (on peut savoir lire, et n'être qu'un illettré!) Si les gens du Tennessee pratiquent la culture, ce n'est point celle des idées. La Bible est le seul livre qu'aient jamais lu les montagnards de ce pays. Elle résume pour eux toute la civilisation! Le jeune romancier américain Floyd Dell, l'auteur d'Un Phénomène, homme d'un rare courage et d'un mérite non moins rare, caractère indomptable, comme l'un de ses héros, Félix Fay, a affirmé, leur faisant trop d'honneur, que « les gens de Tennessee sont les restes fossilisés de périodes évanouies ». Pour « ces montagnards arriérés », l'évolution est une invention du diable, et ils croient qu'elle sert les desseins du capitalisme. Les jeunes filles, faites à l'image de Dieu, portaient des rubans brodés sur lesquels on lisait : « Vous ne ferez pas de nous des guenons! » La petite ville de Dayton devint aussitôt célèbre : on y vit affluer les amateurs de sensations rares, les opérateurs de cinéma, les photographes et les reporters. Ce fut un champ de bataille où s'affrontèrent deux conceptions de la vie diamétralement opposées : la conception autoritaire et la conception libertaire. Singulier procès, qui montre à quel point la réaction a peur de la vérité et s'efforce, par tous les moyens, de l'étouffer. Les noms des douze jurés furent tirés au sort par un enfant de deux ans. Ces jurés, parmi lesquels figuraient six baptistes, un analphabète, un méthodiste et un maître d'école, n'assistèrent pas aux débats, le juge ayant demandé leur exclusion (ils déambulaient pendant ce temps à travers la ville). Ce juge, du nom de Raulston, un nom à retenir, qui était lui-même un des plus ardents adversaires du darwinisme (il avait eu soin de se munir d'une Bible et d'un dictionnaire avant de présider) déclara, après les prières traditionnelles, que les jurés avaient à dire si M. Scopes a, ou non, violé la loi du Tennessee qui défend d'enseigner les doctrines de l'évolution, et non pas de juger cette loi elle-même. C'était étrangler les débats! Ceux-ci furent, comme toujours, une parodie de la justice. Ils ne furent pas publics, afin d'empêcher les idées de pénétrer dans les consciences, le tribunal ayant exigé que les arguments de la défense fussent présentés par écrit. « La question ne sera pas posée », fut invoquée ici comme dans les tribunaux militaires. Le fanatisme alla si loin que les adeptes de l'Eglise méthodiste menacèrent d'expulser un docteur qui voulait exposer les théories évolutionnistes. On ne veut même pas entendre la défense. Elle est là pour la forme. C'est le moyen classique de toute bourgeoisie, catholique, protestante ou juive, de tous les Etats, quels qu'ils soient... Le Juge refusa d'entendre les savants cités comme témoins, car, disait Bryan, qui s'efforçait de légitimer la décision du tribunal « les savants étrangers ne peuvent pas venir empoisonner les enfants du Tennessee ... ». Et l'illustre bimétalliste vitupéra pendant deux heures « contre les hérétiques de l'évolution qui discutent le miracle de la naissance du Christ et nient tout le surnaturel de la Bible ». Pour Bryan, les avocats de Scopes étaient des « assassins », et Nietzsche était responsable du « meurtre spirituel moderne ». On voit à quelles stupidités on aboutit quand on mêle la science à la politique et à la religion. Le célèbre avocat Clarence Darrow et le féministe Malone avaient offert gratuitement leurs services à la défense (même en Amérique, pays des dollars, il y a des gens désintéressés). L'avocat, que Bryan avait représenté comme celui du Diable, réussit malgré tout à faire le procès du christianisme, auteur des guerres les plus meurtrières, et riposta en ces termes à Bryan : « Je crois que M. Bryan est bien prétentieux de dire que Dieu est fait à son image et qu'on n'a qu'à agrandir sa photo pour obtenir celle de Dieu ». La défense ajouta (audience du 14 juillet) « que la théorie selon laquelle le soleil, et non la terre, est le centre de l'Univers, va aussi à l'encontre de la Bible » et que d'ailleurs la théorie de Darwin concernant l'évolution est elle-même imprécise. Les débats se poursuivirent à l'extérieur, avec plus de liberté pour la défense. Voici l'un des arguments fournis par Bryan contre la « cruauté de l'évolutionnisme : Si l'animal descend du même royaume que l'homme, nous sommes des meurtriers lorsque nous tuons une mouche, et des cannibales lorsque nous mangeons la chair des mammifères ». A ce sujet, il' n'avait peut-être pas tort. Mais les autres arguments n'offraient point la même sagesse. Le même Bryan voulait fonder une « Université » que fréquenteraient les étudiants qui refusent de connaître les théories de Darwin. On ne veut même pas savoir : on nie sans connaître le premier mot d'une théorie. Quand les savants apportèrent leur témoignage, Raulston fit sortir les membres du jury, ce qui était une singulière façon d'éclairer leur religion. Le journaliste Mencken, qui avait décrit les débats avec humour, fut hué par la foule, et ne dut qu'à son sang-froid de ne pas être déshabillé, et enduit de goudron, roulé dans un tas de plumes, puis promené dans ce costume à travers la ville. On se serait cru en plein moyen-âge. On alla jusqu'à révoquer de ses fonctions de professeur de mathématiques dans l'état de Kentucky la soeur de Scopes, coupable d'avoir refusé de déclarer à la direction de son Lycée qu'elle ne croyait pas à l’évolution. Le procès de Monkeyville donna lieu à de multiples incidents, comiques ou tragiques. On vit des écoliers, stylés pour la circonstance, venir témoigner contre leur professeur. L'un d'eux fit cette déposition, résumant, en se dandinant, l'enseignement de son maître : « La terre avait été brûlante, peu à peu elle se refroidit, alors la mer forma un petit animal à cellule unique, qui évolua et devint l'homme, M. Scopes nous a classés avec les chats, les chiens, les singes, les vaches et autres animaux. Il a dit que nous avions tous des mamelles ». A ce mot de « mamelles » les mères de famille se voilèrent la face et firent sortir leurs filles, précaution bien inutile, car un haut-parleur proclamait sans pitié la vérité, que les chastes oreilles recueillaient avidement (17 juillet). Autre détail amusant : les sectes se chamaillèrent à propos des prières. Les clergymen de l'Eglise moderniste déclarèrent qu'un pasteur fondamentaliste, ne jouissant d'aucun crédit auprès de Dieu, ne devait pas dire la prière, et ce fut un membre de l'Eglise unitarienne, qualifié d'infidèle par les fondamentalistes, qui jouit de cet honneur insigne. On vit un dresseur de singes faire de la propagande antiévolutionniste en exhibant plusieurs de ces animaux qui, déclarait-il, « descendent de l'homme ». Les diseurs de bonne aventure et les charlatans s'en mêlèrent et l'on entendit un « champion de Dieu » offrir moyennant 40 dollars de mettre n'importe qui en relations avec le Seigneur. Il y eut mieux : Dayton ayant abrité des athées, Dieu se vengea en infectant l'eau potable, ce qui provoqua une épidémie. Le typhus fit ses ravages, le plafond s’écroula sur le tribunal, les escaliers sous le poids du public. Les gens devenaient fous à Dayton. Enfin, celui qui avait provoqué tous ces incidents, mourut subitement le 26 juillet d'avoir trop mangé (il avait absorbé un copieux repas où figuraient, entre autres, du boeuf rôti, des épis de maïs et des pommes de terre, cinq entremets glacés, sept grands verres de thé glacés et deux tasses de café!) Le président du conseil municipal de Dayton ordonna aux habitants de mettre les drapeaux en berne en l'honneur du « premier citoyen du monde entier ». Résultat de cette campagne maladroite et ridicule : l'instituteur Scopes fut condamné par le tribunal de Dayton à une amende de cent dollars (2.100 Fr.), comme n'ayant pas le droit, en tant que professeur dans une école de l'Etat, d'enseigner des doctrines qui ne sont pas reconnues par l'Etat, ni d'exposer à des contribuables une théorie qui leur répugne, étant payé par eux, etc. ... Bien entendu, il interjeta appel. L'éteignoir est un des moyens « légaux» de propager l'instruction : on refuse d'exposer toutes les thèses : tel est l'enseignement idéal. Et l'on vient dire après cela qu'il n'y a point d'enseignement d'Etat et que l'Etat est neutre! Combien d'Etats d'Europe (petits ou grands), sont dignes de celui du Tennessee, sous ce rapport comme sous beaucoup d'autres! L'avocat lui-même de Scopes connut les bienfaits d'un tel régime. A la dernière audience (21 juillet), le juge, peu suspect, on l'a vu, d’impartialité, après avoir annoncé qu'il avait été saisi de plusieurs pétitions lui demandant de défendre la dignité du tribunal, infligea une amende de 5.000 dollars à Carence Darrow, comme ayant manqué d'impartialité, somme qui dut être immédiatement versée, sous peine d'emprisonnement. Darrow n'était-il pas, d'après l'illustre Bryan « le militant antichrétien le plus actif du pays? » Cela valait bien une amende plus sévère que celle de John Scopes. La farce du procès Dayton était terminée. Malgré cette condamnation prévue, le procès de Dayton se termina à l'avantage des darwinistes. Son utilité a été de nous montrer une fois de plus quels pitoyables arguments emploie le fanatisme, depuis Socrate jusqu'à Darwin, en passant par. Galilée et tant d'autres, pour étouffer la vérité. Mais comme dans tout procès où l'iniquité et la bêtise jouent le principal rôle, on peut dire à propos de celui de Dayton, au sujet de la vérité scientifique : « L'évolution est en marche, rien ne l'arrêtera plus ». Le procès de Dayton a servi les idées vivantes en les propageant dans les coins les plus reculés d'Amérique et d'Europe. Il a, selon l'expression de Floyd Dell, « porté un rude coup à la sottise et à l'intolérance humaines ». En effet, de même que lorsque la justice bourgeoise condamne un livre sous un prétexte quelconque, tout le monde l'achète, tous les ouvrages de Darwin furent vendus à des milliers d'exemplaires. Les libraires, comme les aubergistes de Dayton, y trouvèrent leur compte. Ainsi, les adversaires de l'évolution obtinrent-ils un résultat contraire à celui qu'ils poursuivaient. Néanmoins, comme le déclarait Floyd Dell à un journaliste, les Américains cultivés conçurent de cette affaire « plutôt que de l'indignation une sorte de tristesse amère, et ils dissimulèrent sous le rire et la plaisanterie leur dégoût et leur colère ». Un membre du cabinet du président Coolidge, fort ennuyé de cette affaire qui divisait l'Amérique en deux camps, déclara que « l'évolution n'était pas en contradiction avec les enseignements de la Bible, car elle présupposait un plan dans l'organisation du monde ». L'affaire Scopes avait été une affaire politique. Mais elle dépassait de beaucoup ces mesquineries. Elle mettait en conflit deux idées, deux morales, deux philosophies. Elle était un symbole, le symbole de l'ignorance et de l'erreur dressées contre l'esprit critique. Deux camps se formèrent (heureusement pour l'Amérique il se trouva des esprits pour se ranger aux côtés des « scélérats » qui osaient affirmer que l'homme descend du singe. Sans quoi le professeur Scopes eut subi le sort réservé à Sacco et Vanzetti). Cependant l'intolérance et le fanatisme ne désarmèrent pas. Le coup de Dayton n'ayant pas réussi, les adversaires de l'évolution durent trouver autre chose. Le secrétaire du gouvernement découvrit quelque part une vieille loi « interdisant de dilapider les fonds électoraux pour l'enseignement des sciences contraires aux enseignements de la Bible », et là-dessus on ne parla rien moins que d'interdire dans le district de Washington « l'enseignement des théories de l'évolution et autres » et dans toutes les écoles d'Amérique l'enseignement de la chimie, de la physique, de l'anthropologie, de l'astronomie et de la philosophie par-dessus le marché. Ce singulier secrétaire qui répond au nom de Loren S. Wittner - autre nom à retenir dans les annales de l'obscurantisme -, déclarait dans un rapport adressé à la Cour suprême de Justice que « l'enseignement de la biologie doit être interdit parce qu'il est en contradiction avec l'histoire de la Bible sur les origines de l'homme et qu'il prétend que les organismes se décomposent après la mort, tandis que la Bible parle de résurrection au jour du Jugement dernier ; que l'enseignement de la chimie doit être interdit parce qu'il prétend qu'une matière ne peut pas se transformer en une autre, tandis que la Bible dit que Christ changea du vin en eau et Dieu la femme de Loth en une colonne de sel ». L'enseignement de la physique est également
contraire à celui de la Bible, de même celui de l'astronomie, qui prétend que le Soleil est le centre de l'Univers, tandis que d'après la Bible, la terre, créée quatre jours avant le soleil, est le centre du monde. L'enseignement de la philologie est également à rejeter, car elle enseigne l'évolution des langues depuis leur origine, alors que la Bible les fait remonter à la Tour de Babel. Notez que cet inénarrable secrétaire, fier de sa trouvaille qui lui permettait d'interdire l'enseignement des sciences « irrespectueuses pour la Bible », demandait que les professeurs de chimie, de physique, d'anthropologie et de biologie soient suspendus de leurs fonctions. Pour aboutir à ce résultat, il ne craignit pas de faire subir une entorse à la loi. C'était complet! Mais ce qu'il y a de plus extraordinaire dans son cas, c'est que Wittner, qui se disait « athée convaincu », prétendait avoir agi par « pur patriotisme ». Le patriotisme va de pair avec la bêtise. Le rapport de Wittner causa un certain trouble dans les milieux éclairés américains. A la suite de ce rapport, six Etats interdirent l'enseignement des théories évolutionnistes sur leur territoire. En somme, dans les Etats de l'Oklahoma, du Mississipi, de Tennessee, dans le Texas, où « aucun fidèle, athée, ou agnostique, ne peut remplir aucune fonction dans l'Université », dans la Caroline du Nord, et dans une foule d'autres Etats où des projets de lois antiévolutionnistes étaient à l'étude (Floride, Kentucky, etc.), le mot évolution fut effacé des livres, des écoles, et l'enseignement de la Bible recommandé ou rendu obligatoire (on explique la Bible dans 48 Etats).
D'après les fondamentalistes ou partisans de l'origine divine de l'homme, les évolutionnistes « écartent l'Adam de la Genèse pour le remplacer par le squelette du Musée Métropolitain, rajusté par de soi-disant savants aux os de singe », « l'enseignement de l'athéisme, camouflé du nom de science, c'est de la contrefaçon frauduleuse », etc. Pour ces fanatiques, la vaccination viole les lois de Dieu, et se laver le derrière est un crime. L'ignorantisme et l'obscurantisme des protestants valent bien ceux des catholiques qui déraisonnent à propos des miracles de Lourdes et autres.
Le Ku-Klux-Klan, cette Association de malfaiteurs, crut bon, dans un but de réclame, de prendre part aux débats, un an après le procès de Dayton. Il s'est prononcé contre le darwinisme, annonçant qu'il le combattrait par tous les moyens, y compris le crime. Cependant, même au sein du Ku-Klux-Klan, il n'y a pas que des imbéciles, et une scission s'est produite, un des principaux organisateurs de cette Société, M. E. J. Clarke, d'Atlanta, ayant désapprouvé cette décision grotesque, et formé une nouvelle Société qui admet l'enseignement libre des théories darwiniennes et accepte dans son sein tous les cultes. Conclusion. - Les adversaires du darwinisme ont vite fait de voir en lui « une doctrine qui s'effondre », alors que rectifiée et élargie, elle est plus solide que jamais. Les géologues, paléontologistes, anthropologistes, biologistes et préhistoriens sont aujourd'hui convaincus - sauf M. de Lapparent, dernier survivant du créationnisme - qu'il existe un ou plusieurs intermédiaires entre les grands singes anthropomorphes et l'homme, et que celui-ci descend d'eux directement ou indirectement. C'est l'opinion de Marcelin Boule, dans ses « Hommes Fossiles », et aussi de Verneau qui, dans son dernier ouvrage « Les Origines de l'Humanité » (1926), est fondé à écrire : « Les liens de parenté se resserrent et se précisent à tel point que le nombre des savants qui les niaient naguère diminue de jour en jour. Les uns admettent que les premiers êtres humains descendent en ligne directe de ces singes anthropomorphes, les autres inclinent à croire que ces singes et l'homme sont issus d'une souche commune qu'il faudrait rechercher plus loin dans le passé. De toute façon, l'Humanité n'en aurait pas moins une origine mienne ». Que peuvent les adversaires du darwinisme, contre les preuves que nous apportent les géologues, sur l'ancienneté de certaines roches recélant des fossiles? Plus ou moins habilement les partisans de la Bible essaient de concilier la science et la foi. Le transformisme ne serait plus en désaccord avec la religion (Albert Gaudry, savant catholique, était sincère en l'affirmant). Voici que l'abbé Moreux doute aussi de la valeur des textes sacrés : « On objecte la chronologie biblique, mais la Bible ne nous offre aucun élément de cette nature. Les chiffres que l'on y trouve, ce n'est un secret pour personne, ont été matériellement altérés par les copistes et diffèrent suivant les manuscrits ; il est donc impossible de se baser sur ces documents pour en faire le point de départ d'une théorie quelconque » (D'où venons-nous ?). D'après la Bible, Dieu aurait créé le monde en six jours, il n'y a guère plus de six mille ans. Comme les géologues ont démontré que la formation du monde a duré des milliers de siècles, les partisans de la genèse répondent que le mot « jour » n'a plus ici sa signification habituelle : il ne s'agit plus de 24 heures, mais de millénaires. Finalement, Moïse et Darwin, sont du même avis : Dieu a créé l'homme le sixième jour, après les autres espèces. On ne voit vraiment pas pourquoi les fondamentalistes américains, français, anglais ou autres, en veulent tant à ce pauvre Darwin. L'auteur de 1'« Origine des Espèces », loin de contredire celui de la Bible, lui apporte son témoignage. L'homme de Darwin, comme celui de Moïse, est le dernier venu de la création. Pour l'un comme pour l'autre, il est le plus parfait de tous les êtres. La solution darwinienne est par certains côtés une solution religieuse. On peut objecter au savant anglais que, loin d'être le dernier venu parmi les animaux, l'homme est beaucoup plus ancien que la plupart d'entre eux, ses caractères intellectuels ne suffisant pas pour le placer le dernier de tous. Il n'est pas si jeune qu'on le prétend. L'homme, qui fait partie du groupe des primates, a sa place parmi les grands singes « dont il est d'ailleurs un type extrêmement perfectionné» (Rémy de Gourmont). Mais une espèce animale étant d'autant plus récente que sa température est plus élevée, les oiseaux ont fait leur apparition après l'homme. Cette dernière théorie - qui élargit l'évolution – est elle-même discutable. En résumé, que l'homme soit ou ne soit pas le dernier des êtres vivants, qu'il descende ou non du singe (et pour ma part, je ne vois aucun inconvénient à ce qu'il ait pour ancêtres les grands singes anthropomorphes du tertiaire, comme j'essaye de le montrer dans ma « Philosophie de la Préhistoire » (janvier 1927), cessons de considérer le primate plus ou moins civilisé que constitue l'homme actuel comme le chérubin de la nature. L'homme n'est pas une exception dans l'univers, le monde n'a pas été créé pour lui. Il ne saurait constituer le terme final de l'évolution. Après l'homme, coopérons que naîtra le surhomme qui vivra sans lois et sans morale. Concluons avec Rémy de Gourmont, en remplaçant toutefois le mot « créateur » par le mot « nature », encore enveloppé, il est vrai de mysticisme chez certains auteurs : « Sans doute, l'homme continuera toujours à dominer de très haut le reste du règne animal, mais il est impossible de le considérer comme la dernière pensée du créateur ».
-GÉRARD DELACAZE-DUTHIERS

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