mardi 4 septembre 2018

En flottant jusqu'à la Tour de la Maitrise Partie 1

Il m'arrivait de traîner du côté du cuistrot de la rue Soufflot, dans le rade perdu de port Royal. Les pirates et les corsaires écumaient l'endroit et, contre un verre de vitriol, il te donnait des adresses, ou des cartes sur lesquelles étaient indiquées l'endroit d'un vieux trésor. Tu savais que tu étais toujours à la retourne avec des plans comme ça. Mais qui te disait que cela n'allait pas être toi, la prochaine fois, qui allait promettre le mont piété? Il n'y avait que les cramés de la boussole qui passaient un orteil dans la salle du fond. C'était ceux qui espéraient que quelqu'un allait faire le travail à leur place. J'avais déjà repéré la serveuse. Elle avait la tête d'une fille qui avait le clito en bandoulière. Un de ceux que le vent battait joyeusement jusqu'à ce qu'une langue gourmande ne se l'approprie. Les femmes dans son genre échappent aux rêves, aux illusions. Elles percutent les écueils et passent d'une échoppe à une autre. Elles n'hésitent plus à exhiber leurs cicatrices. Peut-être le hasard allait il leur permettre de rencontrer un chacal un peu plus tendre que les autres. C'est tout con, mais jamais aucun de ses amants ne lui avait dit en la regardant et en éjaculant « je t'aime ». Chaque fois, ses reins recevaient la semence et il fallait qu'elle demande pour être essuyée. Lorsqu'elle était encore plus triste, comme un matin de novembre sur une usine désaffectée, elle se glissait derrière le col de la pure gnôle, à trouer un parquet stratifié. A ce moment précis, elle aurait été capable d'accepter n'importe quelle demande en mariage. A chaque fois, il fallait qu'elle se démerde pour s'éponger. Alors, vous comprenez qu'elle était en droit de ne plus croire en rien. Un joyau de bilboquet pour la grande quête.

Il m'arrivait quelque fois d'être suivi par un squale. Nous échouions de temps à autre sur les mêmes brumes. Nous nous approprions des matins. Nous ne nous parlions pas forcement. Nous échangions une légère esquisse. Parfois, il me dessinait le bitume. Jamais, il n'avait franchi le béton. Ses rêves s'étaient égarés entre la tour Oise de la rue des requins et le commissariat des bastringues. Nous ne pouvions pas nous sourire. Nonchalamment, nous frottions nos paumes comme pour nous rendre invisible au milieu du décors pourri. Nous pouvions décortiquer nos parcours, il était certain que nous avions trébuché sur les mêmes syllabes. Lorsque nous venions à finir nos breuvages et que l'aube venait d'accoster nos naufrages, il était temps de repartir de façon un peu plus aérienne. Nous aurions pu disparaître du décors; sur la partition, il n'y aurait eu que les doubles croches de présentes. Par mégarde, il fut aspiré par l'invisible. J'avais comme perdu un de mes semblables. J'avais beau le chercher dans tous les catafalques, je n'en apercevais même pas la silhouette. Il y avait aussi des nuits où l'on ne voyait jamais les côtes parce que la nostalgie les avait opacifiée. Les névroses en backstage, nous fusions sur des bulles pour parcourir les vents. Que nous importait de voir le jour suivant, comme la nostalgie de cette mort que l'on appelait mais que l'on était content de ne pas voir. Nous avions la déraison. La grotte n'offrait pas ses codes. Il fallait sans doute singer une danse pour accéder à l'obscurité.

« I don't speak english, i want to die, i fuck you. » Elles ne me regardaient même pas lorsque je disparus derrière l'anonymat. Soudain, il y eut ce papillon qui volait d'une table à une autre. Elle souriait comme quelqu'un qui allait mourir mais personne n'avait envie de dire de quoi. Elle m'impressionnait, cette casquette, elle tournait sans cesse. J'avais du mal à la suivre. Un rade quelconque, comme une bâtisse grise dans une banlieue amère et nous excusions nos retards avec un petit déjeuner. Bières et dérisions, mensonges et squelettes, annonces et ambiance de grabataire. Personne n'aurait pu nous dire d'où venait le délire mais il n'y avait pas de peur. Une fois encore, l'aurore n'avait aucune accroche sur nos visages blêmes. J'étais comme les autres, je n'envisageais pas les lendemains, je les subissais comme une gangrène. Pourtant, j'avais échappé à pas mal d'attentats depuis que je n'accostais plus les coursives qu'uniquement de nuit. Personne n'avait les mains sur la barre. Je ne pensais pas que j'allais avoir affaire au moine sceptique. Il n'avait pas d'autre ambition que de nous enchrister dans sa dérive. Je n'avais aucune illusion sur son approche. A priori, son champ magnétique n'aurait jamais du croiser le mien. J'avais bien aperçu que quelques particules s'étaient échappés de son champ. Elles venaient percuter les miennes

« Nous n'appartiendrons jamais plus à aucun monde si nous continuons à regarder le soleil. -Est-ce que tu as déjà aimé?
-Ma trajectoire ne m'a jamais appartenu.
-En fait, notre liberté ne se contrôle même pas. »

Un dragon, planté sur d'immenses talonnettes, sans fard et avec un rictus comme une balafre, planta ses serres sur le moine égaré.

« Quand vas-tu arrêter d'être con? Vas-tu arrêter de te foutre de la salade sur la tête? »

Soudain, il y eut un éclair fulgurant qui anéantit la moindre parcelle de celui qui aurait pu devenir un héros. Le dragon avait de très beaux yeux.

« Héros glacé! C'est moi que tu aurais dû apprécier. Il n'était que mon faire valoir. »

Je cherchais à regarder autre chose que ses yeux mais je ne pouvais pas. Il semblait que j'étais aussi en fin de partie. Je passais mon temps à essayer d'esquiver les bonimenteurs et les redondances. Je ne penserais jamais que j'aurais pu faire autrement. Bref, c'était chaque soir des échéances à terme que je devais payer cash. Au matin, nous n'aurions de comptes à rendre qu'à notre propre reflet, à la recherche des traces de la veille, à la recherche des oublis. Nous fréquentions les trous noirs comme pour nous approprier des échappatoires. Sans savoir comment, j'ai réussi à lancer un boomerang qui ne m'est revenu que plusieurs années plus tard dans la gueule. La journée du crépuscule.


Ce matin, je ne savais pas pourquoi, j'ai eu la sensation étrange que je venais de cesser de vivre.

Cet appartement allait devenir ma cellule, mon tourment, ma sépulture. Je pouvais vous l'accorder que tout ceci pouvait apparaître étrange. Ce matin là, pourtant, rien ne paraissait bizarre. Mon réveil a sonné. En effet, c'était ça, j'étais seul dans le lit mais qui , un jour, ne s'est pas réveillé sans que son époux ou son épouse ne soit présent. Tout cela pouvait paraître banal. Seulement, cette absence avait un poids, disons plutôt un contours. C'était une espèce de voile ténébreux avec un léger parfum de safran. Je ne crains pas de dire que nous n'aimons pas le safran, mon épouse et moi-même. Je me levais et faisais le tour du lit pour me rendre compte que les chaussons de mon épouse étaient encore en place. Elle ne m'avait parlé d'aucun rendez vous matinal. Je frappais à la porte des toilettes, de la salle de bains. Il y eut aucune réponse. En me retournant du côté du lit, je m'aperçus que cela semblait bien être ma chambre mais pourtant, ce n'était ni le même papier peint, ni le même lit. Ce lit qui fut un espace de combat, de fuite et d'excuses. Nous n'y avons jamais perdu assez de temps. Partout dans les pièces traînait cette espèce d'odeur mais ,en plus, dans la cuisine flottait une légère arôme de pain grillé. C'est comme ci, on avait fait en sorte qu'elle ne fut pas trop morte. Mon fils était assis devant ses dessins animés. J'avais beau l'interroger, il ne faisait pas attention à moi. Je tentais de lui caresser les cheveux mais je n'y arrivais pas. Je continuais ma prospection des lieux. Toujours aucune trace de mon épouse. Son jardin, tel qu'elle l'avait rêvé et donc aménagé, était un ensemble de petits îlots de bien-être. Ils nous arrivaient de nous y reposer, d'y rêver. Mon épouse y élaborait ses projets, nos projets, notre projection commune. Je ne pouvais imaginer que cela faisait déjà 13 ans qui nous étions ensemble. En fait, un petit ruisseau quotidien qui devient lorsque l'on se retourne, un immense fleuve. Nous avons parlé fort. Nous avons ris aussi très forts. Nous avons eu des pleurs actifs. C'était vraiment ici que la plupart des choses se mettaient plus ou moins en place. Je revins vers la maison et aperçut enfin mon épouse. Elle était dans le canapé et elle pleurait. Je compris soudain ce qu'il se passait. J'étais sûrement décédé et plus personne ne pouvait me voir. Alors, moi aussi, je me mis à pleurer. Moi aussi, j'étais malheureux que nos yeux ne puissent plus s'apercevoir. Bizarrement, elle tenait dans sa main une lettre avec ce qui me semblait être mon écriture:

« Christine, Mon amour, je sens en moi la vie qui s'étiole et je ne peux pas faire face à tout ça. Je ne peux croire que je ne maîtrise plus rien. Je ne veux pas mettre un terme à la déchéance mais j'y suis forcé. Jamais, je ne vous oublierais. Marc. »

J'avais écrit ça un jour de déprime. Sûrement lors d'une soirée pluvieuse, un 27 novembre, où la vie ne m' apparaissait plus belle. Comme je la regrettais cette lettre. Elle n'appartenait pas à cette mort ci et qui allait pouvoir arranger les choses? Les remettre en place? Notre mort ne nous appartient pas de fait. Chacun va y aller de sa supposition. C'est comme une couche de vêtement supplémentaire. L'ensemble fait que nous ne nous ressemblons plus. En fait, mon épouse, mon amour, j'ai juste eu un accident. Ça n'a rien à voir avec cette lettre. Personne ne va pouvoir arranger les choses. Alors, je regarde ma femme pleurer et je sais que nous allons nous séparer sur un malentendu éternel. C'est ça: un malentendu éternel. Quelque chose d'éternellement douloureux, d'éternellement injuste. Elle ne peut plus m'aider à cause de ce malentendu stupide et alors, jusqu'où vais-je m'écraser dans l'oubli?
Ce matin, je ne sais pas pourquoi, j'ai eu la sensation étrange que je venais de cesser de vivre. Cet appartement allait devenir ma cellule, mon tourment, ma sépulture. Ce matin, en allant faire une course au marché, j'ai croisé l'image que l'on veut donner de la femme. Elle était d'une pâleur irréelle. Elle ne marchait pas, elle glissait. De toute évidence, elle ne se déplaçait pas comme un être humain. Pouvait-on imaginer qu'elle puisse se faire des tâches sur le chemisier alors qu'elle mange des pâtes bolognaises ? Sûrement pas. La vie ne pouvait pas avoir d'empreinte sur elle, comme il était d'ailleurs impossible qu'elle puisse elle-même en laisser une sur la vie. Cette image ne devait avoir aucune tare, aucun bouton disgracieux, aucun tic. Rien qui ne puisse ressembler à la disgrâce de la réalité. Peut-on considérer qu'elle n'en fût plus belle? Si elle ne l'était pas, on pouvait considérer son étrangeté comme un repoussoir efficace envers la gente masculine. En effet, aucun homme ne pouvait penser qu'il était possible que l'on puisse introduire quoique ce soit dans un quelconque orifice de ce corps. Alors, l'homme pouvait passer à côté d'une fille femme, l'insulter ou la dédaigner, mais jamais il ne pouvait songer que cette femme puisse être malheureuse de ne pouvoir être considérer comme un être pouvant être caressé, aimé. Le piège, pour ce genre d'être fragile, c'est d'échouer avec les êtres les plus vils, en échange de n'importe quels contacts humains: une gifle ou une insulte... Quelque chose qui puisse la ramener de ce côté ci de l'existence!

Ces matins là, on savait que l'on avait capté des ersatz de diamants. Nous postillonnons bien un peu en nous parlant à l'oreille pour qu'aucun secret ne filtre. Nous n'en étions que plus vivants tandis que les pubs, les affiches et les autres paraissaient s'éloigner. Ce soir là, je n'avais pas plus envie que ça d'écouter ce qu'il pouvait m'expliquer mais, par habitude, je lui louais une oreille.

« Tu sais, Marc, j'ai vécu une drôle d'expérience.
-Ah bon?
-Oui, j'ai connu un endroit qui pouvait s'éloigner de l'espace temps...
-Qu'as tu vu?
-J'ai vécu quelque chose d'apaisant...Je ne pense pas que je pourrais revoir ça un jour mais je sais que je l'ai vu une fois... »

Ce discours a soudain captivé mon énergie. Je pense que c'est le mot « paix » qui a électrisé mes capteurs.

« Ça se trouve où cet endroit, mon bon squale?
-Je ne sais plus...Tu sais, c'était une aurore décalée...
-Ah... »

On pouvait se rendre compte que j'étais déçu mais ce n'était pas pour autant que j'allais abandonné les recherches.

« Mon squale, nous allons retrouver le chemin.
-Je ne sais pas si je saurais encore.
-Mais, enfin, tu ne peux pas m'appâter avec quelque chose et me laisser retomber comme une merde sous le prétexte que t'as la cervelle en meringue. »

Je l'aurais bien secoué mais j'avais peur que ça ne fasse qu'aggraver son amnésie éthylique.

« Squale! Comment je vais faire pour oublier ce que tu m'as dit? J'aurais beau traverser toutes les rivières, ce truc là va flotter pour m'emmerder. »

J'en avais connu moi aussi des aurores décalées mais jamais, je n'avais pu dépasser le rebord de ma fenêtre. J'avais jusque là toujours eu le recul.
Qu'est ce qu'une aurore décalée?

Disons, qu'au loin, on peut apercevoir un soleil mais autour de nous, nous ne ressentons que la glace. Dans la conscience de l'attente des sens, nous pensons encore avoir un contrôle, alors, qu'en fait, nous n'avions pas remonté l'automate.
Une aurore décalée, c'est comme quand on se réveille en voulant dire bonjour à sa femme alors que l'on vient de l'enterrer ou que l'on n'a jamais été marié.

Attendez! Attendez! Je vais essayer d'être plus précis. Vous regardez une fille, votre cœur palpite, vous avez envie de lui parler mais, soudain, vous vous apercevez que vous parlez à votre téléviseur. Une aurore décalée, c'est une puissance absolue ressentie alors qu'une terreur insondable nous paralyse dans votre lit, sans parvenir à se réchauffer. C'est ce froid glacial qui s'insinue partout alors que toutes les issues sont fermées.

Les aurores décalées sont ce que les squales peuvent ressentir à un moment précis où la vie fait un tête à queue dans une côte à 30 %.

Sa main sous mon avant bras me ramène à ses yeux égarés.

« Je vais te retrouver le chemin.
-Je sais que tu vas faire ce que tu peux, frère squale. Mais surtout, n'oublie jamais qu'il faut que tu sortes la tête de l'eau de temps en temps pour respirer. »

On s'est séparé et j'avais encore cette peur de ne jamais connaître cet endroit. Je n'avais jamais caché à personne que je n'étais qu'un intérimaire. Je n'étais pas des leurs. J'avais bien précisé que je partageais leurs dérives uniquement pour quelques années. J'avais quand même réussi à côtoyer les plus grands terriens. Ils étaient intéressés par le rayon de lumière qui filtrait par la lucarne. Je ne savais même pas qu'il y avait encore cette lumière au dessus de moi. Je ne pensais pas pouvoir dire ça un jour mais c'étaient des nuits où l'on était les rois des losers. J'ai recroisé mon squale sur le bitume. Il semblait à la dérive. Je l'ai échoué contre un mur.

« Que me racontes-tu, frère squale?
-J'avais presque retrouvé le chemin lorsque j'en ai pris un de plus en t'attendant. Deux minutes plus tôt et j'y repartais pour t'y conduire. »

Petit déjeuner dans la gamelle de l'avant veille, un café bien noir, une tartine morte. Il était 19 heures et il fallait bien que je prenne la route. Je commençais mon périple par le premier point de relais. C'était ici que chacun pouvait affûter les trajectoires dès la nuit tombée. On prévoyait les échéanciers, nous sélectionnons nos copilotes. On scrutait parfois les novices qui nous avaient rejoints car ils ne savaient pas comment il fallait procéder. On les regardait ému, presque un peu hébété. On n'avait pas le droit de les aider car ça aurait été comptabilisé dans les handicaps. 23 heures, je devais partir. Le combustible était pris et je devais y aller. J'avais choisis, cette fois, de suivre plus ou moins le parcours du squale.

« Frère squale, nous allons voyager. Tu sais, frère squale, j'ai échappé à toutes les tentatives depuis des années alors je ne suis plus à un jour prêt. »

Je me penchais un peu vers lui en essayant de camoufler tout ce que la curiosité allait pouvoir inscrire sur mon visage.

« Il paraît qu'elle a recommencé. »

Il sembla se redresser un peu comme électrisé par une envie pressante.

« On l'a vu du côté du nord, elle a été aperçue alors qu'elle entrait dans un estaminet. Comme toujours, elle avait sa cours à ses trousses. »

J'aimais savoir qu'elle continuait à faire ses sillons. Parce qu'en fait, lorsqu'elle traçait son orbite, elle plaçait le mien par transparence. Elle était la féminisation de mon parcours. Il ne fallait en aucun cas que nous nous croisions.

« Ah, bien...J'aimerais t'être utile.
-Ne t'inquiète pas. »

Je le sentais tendu comme presque à tort. La soirée ne pouvait pas être utile. Les femmes nous sentaient bien perdus, elles ne s'approchaient pas. Elles étaient délicates, tendres. Nous nous retrouvâmes à 5 h du matin place Stalingrad. Il aurait pu neiger, personne n'aurait jamais eu froid. Squale s'arrêta de chanter.

« Mon frère, approche, c'est le moment d'y aller; »

Il nous guida au bord du canal. On se pencha au dessus de l'eau. Il m'attrapa la main et on sauta dedans. Lorsque l'on se releva, nous étions dans un autre décors. Il le fallait parce que, sinon, l'un de nous deux, devait s'arrêter. Je n'avais pas encore envie d'arrêter. Je n'avais pas d'autre intérêt que la simple minute présente.

« Très bien squale, tu me montreras la prochaine fois. »

Je lui tapais sur l'épaule afin de lui signifier qu'il fallait partir. Les crocodiles n'allaient pas tarder à passer. Ils n'étaient pas bon de traîner dans leurs pattes. Ils n'hésitaient jamais à nous maltraiter, tout simplement parce que nous cheminions sur des trottoirs sur lesquels ne tombait jamais la lumière. Je devais rejoindre ma grotte afin de m'y cloîtrer jusqu'à ce que...jusqu'à quoi d'ailleurs? Je n'aurais jamais du avoir peur du soleil puisque j'avais aimé son sourire. Dans un pas de danse, une matinée glaciale, cette enfant s'est gravée sur la toile. Elle a souri à ce moment là et j'ai compris qu'il ne pouvait rien exister au delà de ce samedi. Jamais, je n'avais exigé quoique ce soit mais il était bien évident que j'allais devoir en faire la demande express.

« Born to be alive ».

Elle a traversé des regards et des commentaires. Elle a toujours traversé la cour sans se retourner. Elle avait le regard haut. Elle ne parlait pas plus que je ne le faisais moi-même.

« Ça y est! J'ai réussi...
-Apparemment, mon frère squale, apparemment, de combien de temps disposons nous? Que devons nous faire?
-Je ne sais pas...L'autre jour, une jolie femme est venue me chercher. »

A mesure qu'il disait la phrase, une belle femme avançait vers nous.

« Bienvenus! Vous avez amené un ami, squale?...Très bien...Suivez moi. »

Nous avons suivi la femme. On descendit la côte. Nous ne pouvions pas penser qu'on allait devoir s'arrêter un jour.

« Voilà, messieurs, nous sommes arrivés là où vous deviez aller. Mais faites attention, vous ne devez votre existence qu'à ce que vous croyiez avoir vu. »

Squale poussa la porte. Le froid nous saisit. Le parquet craquait bien un peu. Une légère musique résonnait un peu au loin. Et puis, elle apparut au fond de la salle, celle dont le sourire avait la beauté du sourire du soleil. En fait, je n'attendais qu'elle.

« Bonjour.
-Bonjour. »

Comme un bonbon frais sur un front brûlant! Avec le squale, nous repartions vers nos cloîtres, sans avoir compris comment nous étions allés là-bas et comment nous étions revenus. Nous ne devions pas parler de tout cela sans prendre le risque de tout perdre. Lorsque vous vous apercevez que votre poche est trouée et que vous risquez de perdre une pierre précieuse, vous faites en sorte de boucher le trou. Nous repartions dans la nuit qui aurait pu précéder le repère aux portes flingues: j'avais espéré revoir une paire d'yeux, un sourire en bandoulière, une main en écharpe. Par contre, il y avait ce serin sur le rebord de la fenêtre. Il ne vit pas la semelle lui arriver sur la gueule. Sans penser que nous ne pouvions y réchapper, nous pensions bien continuer la quête.

« Allons-y, mon frère squale, allons nous terrer. Je commence à craindre la pluie. »

Je ne sais plus si je vous ai raconté ce fameux jour où la chaloupe avait chavirée. Nous étions partis pique niquer avec ma famille près d'un lac. La journée était presque belle et on avait fini de manger. J'avais décidé de faire une sieste pendant que mes parents et mon frère louèrent une péniche. Ils s'éloignèrent. Soudain, j'aperçus mon frère balancer un coup de rame à mes deux parents, les jeter par dessus bord puis il sauta aussi. J'étais heureux de ne pas avoir eu le temps d'intervenir. Lorsque la surface de l'eau s'arrêta de frissonner, je m'élançais dans la campagne pour avertir les secours.

Dans la dernière obscurité, le râle se faisait foudroyant. C'était comme un dard qui entrait dans la tête sans même passer par les oreilles. La petite fille ne bougeait quasiment pas de peur de faire bouger sa mère.

« Approche, Corinne, la vie s'enfuit, je ne peux plus la retenir. Va, ne pleure pas, je ne pense pas que cela puisse t'aider. Je veux que tu souris sans cesse comme quelqu'un qui aurait peur de se suicider à cause d'une déprime. Tu as cinq ans. Je veux que tu ailles te mettre à l'abri. »

Lorsque la petite fille quitta la pièce, celle ci devint frigorifique. Elle allait devoir en chercher une autre de Maman. La silhouette Je suis assis derrière la vitrine du café. C'est presque une belle journée pour moi puisque cela fait deux heures que je suis levé et je n'ai pas encore pensé ni à la mort ni à la maladie. Alors, je suis là, tranquillement. Il n'y a pas d'échéance en suspens qui est susceptible de me gâcher la journée. Je n'en suis pas à me dire que je suis heureux parce que, en fait, je ne sais pas à quoi ça ressemble je n'en suis pas encore là Par contre, je suis sûr qu'il va falloir peu pour que j'arrive à sourire. Il m'arrive de ne pas en demander trop. Je suis tranquillement à siroter mon café, sans me soucier d'autre chose que ce qui se passe dehors. Je suis au dehors de la geôle qu'est mon corps. Puis, juste à ce moment précis, il a fallu que cette silhouette sorte du décors. Elle semblait être gravée sur du papier, un peu comme un dessin fait à l'encre de Chine. Un contours à peine défini. C'est comme un dessin de Tardi. Elle sort du brouillard, une légère bruine tombe et il y a un vent de côté. De cette morosité ambiante est sortie cette femme.

« Écoutez, prenez ma carte et payez vous, je dois repartir.
-D'accord madame.
-Le premier train qui part d'ici est à quelle heure?
-Je ne tiens pas un guichet SNCF.
-Ça vous gênerait d'être aimable »

Elle rattrapa sa carte que l'homme lui avait presque jetée au visage. Elle ramassa son sac. Elle s'arrêta quand même sur le seuil de la porte. Le vent balayait le quai. La brume l'enveloppait et la pluie lui fouettait les jambes. Elle s'élança non sans regarder autour d'elle si quelque chose pouvait la menacer. Elle trouva bien étrange l'attitude de cet homme qui, derrière la glace de café, la regardait. Pourquoi la scrutait-elle si fortement? Était il envoyé par son mari? Non, ce n'était pas possible. Il ressemblait plus à un écrivain en mal d'inspiration. Quelqu'un qui semblait chercher un sujet. Peut-être qu'elle pouvait l'inspirer?

« Vous voulez un sujet, je vous le propose.
-Mais...
-Je vous demande juste de m'offrir un petit déjeuner. »

Je levais mécaniquement la main pour appeler quelqu'un. Elle fut servie rapidement. Elle l'avala prestement.

« Je m'appelle Jocelyne Pradois. Je suis femme au foyer. J'ai épousé mon mari alors que j'avais 18 ans. Il m'a mis enceinte et m'a ensuite obligé à l'épouser. Il était beau. J'avais cru que ce n'était qu'une passade. C'était un bon baratineur. Il m'a obligé à arrêter mon activité pour m'occuper de l'enfant car il ne supportait pas que je gagne plus que lui. C'était au dessus de ses forces. C'était lui qui avait la bite alors...Puis, il m'a violé une première fois...Comment vous dire?...Lorsque l'on est une femme, on est obligatoirement l'objet sexuel de quelqu'un: celui avec qui on danse en boite; il y en a même qui éjacule en dansant, etc . L'indignation n'est pas encore présent...Il avait une forte envie...Composons avec ça...Cela ne doit pas être un viol...Et puis...Il n'y a pas de viol dans un couple, il n'y a que le devoir conjugal. Et oui, c'est dans le contrat. A chaque fois, il m'humiliait et il m'a violée plus d'une quinzaine de fois. C'est sans parler du fait qu'il me battait pour des broutilles: manque de sel, verre mal lavé, ou oublié, pas de vin sur la table...Hier, j'ai attendu qu'il parte au boulot et je me suis enfuie...Seule...Sans mes enfants...Et je cherche à fuir encore plus loin...Je ne suis pas une bonne mère, hein?...C'est ce que vous devez penser?...Je ne les ai pas voulu ces gosses...Je les aime mais je ne les ai pas voulu...Je n'ai pas à m'en occuper...Il va les prendre en charge...Je dois partir sinon je vais mourir... »

Elle se leva. Elle disparut dans la brume en direction de la gare. La pluie semblait avoir redoublée.


« Écoutez, prenez ma carte et payez vous, je dois repartir.
-D'accord madame.
-Pouvez vous m'appeler un taxi s'il vous plaît?
-Non, je ne peux pas. Vous voulez aller où?
-Je dois me rendre à l'hôpital.
-Il y a l'arrêt du bus un peu plus loin. Il va jusqu'à l'hôpital. Ça vous coûtera moins cher.
-Ça vous gênerait d'être aimable. »

Elle rattrapa sa carte que l'homme lui avait presque jetée au visage. Elle ramassa son sac. Elle s'arrêta quand même sur le seuil de la porte. Le vent balayait le quai. La brume l'enveloppait et la pluie lui fouettait les jambes. Elle s'avança non sans regarder autour d'elle comme pour se remémorer tous les instants qu'elle avait passée dans cette ville. Elle ne s'étonna pas outre mesure de le voir assis derrière la glace du café, comme si il n'avait pas bougé depuis 6 ans.

« Tu te rends compte que tu m'as laissé tomber sans rien me dire Marylise.
-Je ne pouvais pas t'avouer que je ne t'aimais plus. Il a fallu que je joue la disparue pour te faire comprendre la fuite.
-Pourquoi?
-Mais parce que je ne t'aimais pas. Je ne t'ai jamais aimé d'ailleurs. C'est toi qui t'ai accroché à moi et qui t'es joué la maladie d'amour. Il fallait que tu la vives cette sordide histoire d'amour mais je t'avais prévenue. Je ne t'aimais pas.
-Alors pourquoi es-tu revenue?
-Je suis revenue pour aller voir ma mère qui est à l'hôpital et qui va mourir. Je ne suis pas là pour toi.
-Oh, je suis navré...
-Merci...Peux-tu m'amener à l'hôpital, ça m'éviterait de m'ennuyer avec un bus ou un taxi?
-Oui, bien sûr...Bien sûr... »

Ils se levèrent. Ils disparurent dans la bruine en direction de la voiture. La pluie semblait avoir redoublée.
« Écoutez, prenez ma carte et payez vous, je dois repartir.
-D'accord madame.
-Le premier train qui part d'ici est à quelle heure?
-Je ne suis pas un guichet SNCF!
-Ça vous gênerait d'être aimable. »

Elle rattrapa sa carte que l'homme lui avait presque jetée au visage. Elle ramassa son sac. Elle s'arrêta sur le seuil de la porte. Le vent balayait le quai. La brume l'enveloppait et la pluie lui fouettait les jambes. Elle s'élança non sans regarder autour d'elle si quelque chose pouvait la menacer.

« Qu'est ce que vous regardez comme ça?
-Rien de spécial...Juste les femmes qui sortent comme ça avec un petit sac de voyage...qui bravent le temps et les intempéries, qui semblent ne pouvoir être arrêtée par rien...Aucun obstacle ne peut les empêcher d'aller où elles veulent..Elles ont si longtemps été prisonnières...
-J'ai pris 4 ans pour m'être défendue lorsque mon mari m'a agressée...Malheureusement, il est tombé et il est mort...Je ne voulais pas mais bon, je n'ai rien pu faire...J'ai appelé la police et j'ai expliqué...J'ai pris 4 ans comme pour signifier qu'une femme n'a pas à tuer un homme sous aucun prétexte, même pas celui de la légitime défense car une femme vaut moins d'un homme. Pouvez vous me conduire au train que je puisse échapper à cette ville, à cette prison, à cette vie...Je dois rencontrer autre chose...
-Bien sûr que je peux vous conduire...Je n'ai que ça à faire aujourd'hui... »


Ils se levèrent. Ils disparurent dans la bruine en direction de la voiture. La pluie semblait avoir redoublé.

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