« Mais
comment faire ? C'est une vertu affichée qu'il faut soutenir, elles
en gémissent en secret ; toujours tentées, elles se feroient
bientôt un délice de la tentation qui les tourmente si elles
pouvoient être sûres que leurs foiblesses fussent ignorées. Leurs
crieries perpetuelles contre les plaisirs prouvent moins la haine
qu'elles leur portent que le regret qu'elles ont de s'en être
privées par une vanité mal entenduë ; ajoutez à cela qu'il est
rare qu'une jolie femme soit prude, ou qu'une prude soit jolie femme,
ce qui la condamne à se tenir justement à cette vertu que personne
n'ose attaquer et qui est sans cesse chagrine du repos dans lequel on
la laisse languir. −mais pensez−vous, lui dis−je, que toutes
les femmes soient prudes ? −les hommes, répondit−il, seroient
bien malheureux s'il n'y avoit que des femmes de ce caractere.
−cependant, repris−je, ils veulent que nous soyons vertueuses.
−C'est,
dit−il, un rafinement de goût chez eux de devoir à leurs
séductions l'anéantissement d'une chose qui leur a tant couté à
établir dans votre ame, et qui vous sied bien, quoique vous en
disiez. Non cette vertu farouche qui n'en est que la grimace, mais
celle que j'imagine, et que je ne puis vous peindre parce que je n'en
ai point encore trouvé de cette sorte. −qu'est−ce donc, lui
demandai−je, que les hommes appellent vertu ? −la résistance que
vous opposez à leurs desirs, et qui naît de votre attention sur vos
devoirs. −et quels sont−ils, repris−je, ces devoirs ? −Ils
étoient immenses, repliqua−t'il ; mais comme vous les abregez
chaque jour, je crois qu'il ne vous en restera plus à observer ;
aujourd'hui, ils ne consistent plus que dans la bienseance, encore
n'est−elle pas exactement suivie. −ce dérangement durera−t'il
longtems ? Lui demandai−je. −tant, répondit−il, que les femmes
croiront la vertu idéale et le plaisir réel, et je ne vois pas
d'apparence qu'elles changent de façon de penser. D'ailleurs, il n'y
a point de femme qui n'ait quelque foible, et ce foible, quelque bien
déguisé qu'il soit, n'échappe jamais à la recherche opiniâtre de
l'amant. La voluptueuse se rend au plaisir des sens ; la délicate,
au charme de sentir son coeur
occupé
; la curieuse, au désir de s'instruire ; il en couteroit trop à
l'indolente pour refuser ; la vaine perdroit trop si ses appas
étoient ignorés, elle veut lire dans la fureur des desirs d'un
amant l'impression qu'elle peut faire sur les hommes ; l'avare cede
au vil amour des presens ; l'ambitieuse, aux conquêtes éclatantes,
et la coquête à l'habitude de se rendre. »
« Ma
belle comtesse, répondit−il, on dit à une belle qu'elle a des
agrémens, parce qu'en le lui repetant souvent, c'est une façon
polie de l'exhorter à en faire usage ; mais ira−t'on la faire
souvenir de sa vertu quand il est de notre intérêt qu'elle l'oublie
? »
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