Ne
vous trompez pas de cible ! Octobre 2009
Le
Suicide, publié par Emile Durkheim en 1897, passe à juste titre
pour un classique de la littérature sociologique. Durkheim y
démontre en effet que ce qui passe encore couramment pour un acte
purement individuel, relevant de l’intimité du sujet dans sa
composante la plus irrationnelle, constitue un fait social au sens
plein. Cela l’amène notamment à envisager que le suicide est la
manifestation d’états pathologiques non pas tant de l’individu
que du lien social, dans sa double dimension d’intégration et de
réglementation. Ainsi est-il conduit à distinguer quatre types de
suicide, dont l’un, qu’il appelle fataliste, dû à un excès de
réglementation et de contrôle social qui ne laisse plus à
l’individu d’autre échappatoire que la mort. Mais, pensant que
ce type de suicide était devenu marginal dans les sociétés
occidentales contemporaines, Durkheim n’en avait pas mené l’étude.
Il
semblerait qu’il se soit trompé au moins sur ce point, à en juger
par l’allongement constant de la série des suicides de salariés
sur leur travail au cours de ces dernières années. France Telecom,
après Peugeot et Renault, parmi d’autres entreprises moins
visibles, vient en effet de montrer que, dès qu’elle est soumise à
la logique implacable de la valorisation du capital, une entreprise
se transforme inéluctablement en une machine à broyer les salariés
non seulement physiquement mais encore et de plus en plus
psychologiquement. Le mécanisme en est bien connu, qui consiste à
gérer le personnel par la peur (du chômage) et le stress (la
multiplication et le durcissement des exigences en matière de
productivité et de qualité) – en un mot, précisément, un niveau
de plus en plus élevé de réglementation et de contrôle au sein
des tâches productives, y compris dans leurs implications
émotionnelles les plus profondes, développant chez les salariés
insomnies, recours aux anxiolytiques et aux drogues divers, maladies
par somatisation, démission et, en définitive, suicide. Sous le
couvert et les couleurs du management par objectifs, l’entreprise
capitaliste est en train de se transformer en une institution
totalitaire qui, pour extorquer sans cesse plus de travail, cherche à
s’approprier (en la réglementant) de plus en plus non seulement
l’activité mais encore l’intimité de ses salariés, créant
ainsi une situation propre à générer des suicides fatalistes.
Dans
ces conditions, il faut souhaiter que certains de ses salariés
trouvent la lucidité et le courage pour retourner contre leurs
auteurs et agents la violence dont ils sont actuellement les
victimes. Car ce n’est que lorsque quelques «petits chefs», DRH
ou autres responsables de service ou d’établissement auront
commencé à payer, sur leur propre personne, le prix fort de la
maltraitance de leurs soi-disant «collaborateurs» et que
cette réplique salutaire aura, elle aussi, fait «contagion»
parmi les salariés que ceux-ci pourront espérer connaître d’autres
conditions de travail.
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