samedi 1 septembre 2018

Journal de la Commune


CHOUANS ET GIRONDINS

Trêve aux discussions philosophiques et sociales ! trêve au travail ! trêve à l’étude !
Le temps hélas ! est à la politique, et, ce qu’il y a de plus triste dans la politique, à la guerre, et, ce qu’il y a de plus horrible dans la guerre, à la guerre civile. Ne vous souvient-il pas, fédérés parisiens, d’une certaine prophétie tombée un jour de la tribune de la Convention ?
La Gironde fut le monstre qui vomit ce nouveau Jonas. C’était à la veille du 31 mai. La Commune venait demander justice à l’Assemblée à propos de l’arrestation de deux de ses membres les plus influents. Isnard, qui présidait, fit à la députation cette mémorable réponse : « Magistrats du peuple, il est urgent que vous entendiez des vérités importantes. Si la représentation nationale était violée par une de ces conspirations dont nous avons été entourés depuis le 10 mars, je déclare au nom de la République, Paris éprouverait la vengeance de la France et serait rayé de la liste des cités. »
Ah ! niez donc l’immutabilité des lois de l’évolution humaine. Comme les situations analogues reproduisent les mêmes scélérats ! Après Isnard menaçant Paris et la Commune de la destruction, écoutez Jules Favre vomissant contre eux tout le venin et le fiel dans sa poitrine de chouan et de girondin.
« Comment appelle-t-on l’état de Paris ? Mais c’est le vol, le pillage organisé… Tenez ! laissez-moi épancher mon coeur ! Quand j’ai été à Versailles pour l’armistice, j’ai lutté trois jours contre le vainqueur pour laisser ses armes à la garde nationale. J’ai eu tort. J’en demande pardon à Dieu et aux hommes !… Non ! pas de faiblesse, pas de conciliation ! Nous sommes décidés à faire justice des misérables qui siègent à l’Hôtel-de-Ville ! »
Citer de pareilles infamies en dit plus que toutes les appréciations. Cette fois, l’entreprise a suivi de près la menace. Mais quoi ! Paris n’est pas si facile à réduire en cendres. En attendant, on se rabat sur un pauvre village. Neuilly saigne encore des blessures faites par la guerre étrangère : les trous de ses toits sont béants, les murs à peine étayés.
Qu’importe aux Jules Favre ! qu’importe aux Thiers et aux Picard ! A nous les zouaves de Mentana ; à nous les assommeurs de Piétri, les chouans de Charrette et de Cathelineau, et tout ce que la France a pu vomir d’égorgeurs et d’assassins y compris les forçats de Brest et de Toulon ! Bombardez, brûlez, mitraillez, sans prévenir, sans crier gare ! — C’est mieux !
Un enfant rit dans les bras de sa mère : tuez-le. Une troupe de jeunes filles sort de l’église : massacrez-les. Comme une grappe d’abeilles qu’on écrase du pied, les voilà broyées à terre. Quel succès ! mes braves, et comme le Dieu des armées doit aspirer avec joie la moite vapeur de cette hécatombe !
Et ces gardes nationaux qui, pendant cinq mois, ont gardé la cité, combattu l’étranger et sauvé l’honneur : canonnez-les ! Faites des veuves et des orphelins ! Les Prussiens et la maladie n’en ont pas assez peuplé la ville ! Les Prussiens ! mais comment donc, illustre Ducrot, valeureux capitaine, jamais vous ne les avez si rudement combattus. Jamais vous n’aviez su diriger contre eux ces canonnades sérieuses dont ils vous avaient cependant enseigné l’efficacité. Vous gardiez cela pour nous autres ! Ah ! malheur aux vaincus !
Mais je m’arrête. La plume a peine à suivre le bouillonnement de la haine et de la colère qui débordent…
A. REGNARD.

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