LETTRE
D’ALPHONSE KARR
Extraite
du Saturday Review.
Plus
ça change, plus c’est la même chose ! Voici M. Thiers, chef du
pouvoir exécutif, sous l’autorité de l’Assemblée des
représentants. C’est-à-dire à peu près président de la
République, et peut-être vaut-il autant qu’on ne soit pas plus
président que cela.
L’idée
républicaine a plusieurs griefs contre M. Thiers ; je ne parlerai
que de deux : Son histoire si célèbre, si populaire du Consulat
et de l’Empire a beaucoup contribué à propager cette légende,
cette mythologie napoléonienne qui nous a amené le second Empire.
Au
10 décembre, il a voté, et, qui pis est, a fait voter pour la
présidence du prince Louis, sans laquelle la République eût
peut-être été fondée. Aujourd’hui, élu par 26 départements,
il apporte au service de la France en péril une longue expérience
des affaires et un esprit souple, subtil, très exercé, très
pratique et presque toujours du bon sans, sauf sur quelques questions
où il a conservé certains préjugés. Met-il également ces
facultés, sans arrière-pensée, au service de la République ?
THAT
IS THE QUESTION !…
… Plus
de replâtrages, plus de rhabillages ! On a parlé de réunir tous
les ministères aux Tuileries : très bien. Alors il faut rendre tous
les bâtiments consacrés à ces ministères. Cela fera de l’argent
et empêchera qu’ils ne restent vacants, en attendant, hélas
! QU’UN ROI, sous
un titre quelconque plus ou moins élastique,
élargisse son appartement aux tuileries et renvoie les ministères à
leurs anciens logements. — Alors le président ou le chef du
pouvoir exécutif continuera à demeurer chez lui et tiendra à ses
bureaux ; quand on le changera, il n’y aura pas à le déloger (ce
qui est quelquefois difficile), il n’y aura qu’à rester chez
lui.
Voici
mes propositions :
Aliénation
ou appropriation à des objets d’utilité publique de tous les
palais, châteaux, etc. Qu’il en soit de même des divers bâtiments
assignés aux préfectures. On examinera s’il y a bien besoin de
sous-préfets. Qu’il n’y ait pas en France d’appointements
au-dessous de 1 200 fr. On parle aussi de reconstituer l’armée
; ça, c’est moins bien, — disons notre pensée, — c’est
absurde. Si nous voulons sincèrement la République, IL
FAUT BRÛLER NOS VAISSEAUX.
Il
faut faire aussi de grandes et sérieuses économies pour payer le
tribut exigé par la Prusse, et pour réparer en même temps nos
désastres, et encore pour prendre l’habitude d’une sage
économie. Il faut imiter le négociant malheureux qui veut tout
payer, se réhabiliter et refaire sa fortune avec plus de prudence et
de certitude.
C’est
à ce triple titre que je fais les quelques propositions que voici :
Démolissons ou fermons les niches où nous ne voulons pas mettre de
saints ; Supprimons le tronc avec toute la piaffe et tous les
bibelots de la royauté. Ne nous contentons plus des synonymes avec
lesquels on a si longtemps abusé, mené et égaré la France, quand
on disait : Plus de gendarmes, une garde municipale ! Plus de
conscription, le recrutement ! Plus de royauté, la présidence,
assise sur le même fauteuil que la royauté, avec le même pouvoir
de corrompre !… N’essayons pas de construire une France nouvelle
avec ces vieux matériaux hors de service, ces poutres pourries, ces
pierres délitées des plâtras de démolition. …Enfin, pour en
finir avec les joujoux de la royauté et pour se procurer une grosse,
très grosse somme d’argent, prenez-moi les divers joyaux,
bibelots, etc., connus sous le nom de diamants
de la couronne. Leur
valeur commerciale est importante, mais elle sera centuplée, et
au-delà, si vous les mettez en loterie, — comme
on mit autrefois le lingot d’or ;
— l’appât des lots et la sympathie des peuples (je ne parle pas
des gouvernements de l’Europe et de l’Amérique pour la France),
feront prendre tous les billets de cette loterie.
En
voilà assez pour commencer ; commençons. Situation
du 31 mars : Nous
avions dit que l’Assemblée de Versailles était la promiscuité du
crime et de l’oppression ; que, d’un côté, l’on avait vendu
la France, comme de l’autre, on l’avait achetée ; et qu’en
échange de l’engagement pris, par les uns, de la livrer à
l’Allemagne, les autres avaient pris celui de l’achever si elle
osait se soustraire au joug de ses vendeurs. Les faits précis,
éloquents, terribles, se pressent pour justifier notre dire. Le
comte de Bismarck menace Paris dans l’Assemblée ; et Jules Favre,
à Rouen, ose déclarer qu’il va s’entendre avec le général de
Fabrice pour que Paris soit écrasé. Mais ce n’est pas tout, M.
Jules Favre, fort de l’appui de l’étranger, dont il est devenu
le complice, ne veut déjà plus partager avec personne le mérite
d’être le bourreau de son pays. D’accord
avec une majorité qui veut tout ce que veut la Prusse ; M. Jules
Favre va jeter M. Thiers par-dessus le bord…
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