Système
philosophique qui prit corps dans la théorie de l'évolution,
précisée par le célèbre naturaliste anglais Charles Robert Darwin
(1809 son ouvrage sur L'Origine des espèces au moyen de la Sélection
naturelle, Lamarck, le grand naturaliste français (1744-1829) avait
déjà tenté de démontrer qu'il existait entre les diverses espèces
animales et végétales, et entre les individus de ces espèces, une
lutte constante pour la possession des substances ; le système de
Lamarck ne fut pas écouté et lorsqu'en 1830 Etienne Geoffroy Saint
Hilaire s'y rallia, il fut vaincu en Académie des Sciences par les
arguments de Cuvier combattant l'hypothèse de Lamarck. Après
Lamarck, mais avec une somme de matériaux beaucoup plus
considérable, Darwin entreprit de démontrer que dans la bataille
que se livrent les diverses espèces et les individus les composant,
les plus forts, les plus vigoureux, les plus sains triomphent
toujours et que les plus faibles sont éliminés par voie de «
Sélection naturelle ». Il en résulte une transformation
continuelle des espèces et des individus. S'appuyant sur de
multiples observations, Darwin déclare que les espèces et les
individus qui subissent des modifications consécutives à la
bataille pour la vie (struggle for life) sont des éléments
perfectionnés, puisque les autres disparaissent dans la mêlée. «
La lutte constante pour l'existence détermine la conservation des
déviations de structure ou d'instinct qui peuvent être avantageuses
». Si l'on prend au mot et à la lettre les théories issues des
déductions darwiniennes on en arrive à conclure que les espèces et
les individus vont se modifiant, se transformant et s'améliorant
chaque jour. C'est du reste ainsi que conclut Darwin : « Comme
toutes les formes actuelles de la vie descendent en ligne directe de
celles qui vivaient longtemps avant l'époque cambrienne, nous
pouvons être certains que la succession régulière des générations
n'a jamais été interrompue et qu'aucun cataclysme n'a bouleversé
le monde entier. Nous pouvons donc compter avec quelque confiance sur
un avenir d'une incalculable longueur. Or, la Sélection Naturelle
n'agit que pour le bien de chaque individu, toutes les qualités
corporelles et intellectuelles doivent progresser vers la perfection
». Le darwinisme a donné naissance à diverses écoles rivales et
particulièrement à celle des néo-lamarckiens et celle des
néo-darwiniens. Le Dantec (1869-1917), l'éminent biologiste
français, a tenté de concilier ces deux écoles en démontrant que
Lamarck et Darwin n'étaient nullement opposés l'un à l'autre et
que la vie des espèces et des individus était soumise à deux
influences : l'hérédité et l'adaptation. C'est sur ce principe que
repose le transformisme actuel. Bien des individus entraînés dans
la lutte sociale se demandent quel intérêt présente pour les
classes opprimées ces diverses écoles scientifiques, et si ce n'est
pas une simple spéculation philosophique que de rechercher quelles
sont les origines des espèces et la façon dont la vie s'est
transmise à travers les siècles. Le darwinisme a exercé une très
grosse influence non seulement dans le domaine scientifique mais
aussi dans le domaine social, et ce serait une erreur de croire que
la classe ouvrière n'est pas servie par les recherches et les
découvertes des savants.En démontrant que « les êtres ont habité
le globe dès une époque dont l'antiquité est incalculable,
longtemps avant le dépôt des couches les plus anciennes du système
cambrien » (Darwin, l'Origine des Espèces) c'est-à-dire depuis des
centaines de milliers d'années, la science naturaliste a détruit la
légende de la création du monde « puisque la vie ne peut être
engendrée que par la vie ». Sur le terrain social nous ne pouvons
certes pas partager entièrement l'optimisme du darwinisme. S'il est
vrai que pour les espèces végétales et les espèces animales
inférieures, la Sélection naturelle agit avantageusement et que la
lutte pour l'existence élimine les individus tarés pour ne laisser
subsister que les êtres forts ; d'autres facteurs entrent cependant
en jeu surtout lorsqu'il s'agit des espèces supérieures et plus
particulièrement de l'espèce humaine. L'espèce humaine, pas plus
que les autres espèces, n'échappe au « struggle for life » et la
lutte entre les divers individus de l'espèce humaine se poursuit
sans cesse. Cette bataille pour l'existence est la source de
l'évolution continuelle et ininterrompue de la race humaine, mais
les hommes ne peuvent pas attendre simplement de la Sélection
naturelle la perfection de l'espèce et de l'individu. L'homme combat
pour sa vie contre les autres hommes et tous les facteurs qui
déterminent ce combat nous portent à croire que les plus forts
triompheront ; mais les plus forts ne sont pas forcément les
meilleurs. Ce n'est pas physiquement que se manifestent 1a faiblesse
des uns et la supériorité des autres. Les individus qui se trouvent
en haut de l'échelle sociale, éduqués au grand livre de la
science, profitent de tontes les découvertes, étudient tout ce qui
peut être une arme utile dans le combat de géant que se livrent les
individus de l'espèce humaine, tandis que ceux qui sont en bas de
l'échelle sociale sortent à peine de l'ignorance, et subissent
encore l'influence néfaste de leurs sentiments. Ce sont ces
sentiments qu'il faut détruire pour n'être enfin conduit que par 1a
raison. La Sélection naturelle est un cas du problème de
l'Evolution ; elle a consolidé les principes, mais elle n'est pas
tout et il faut tenir compte des autres facteurs. La perfection de
l'homme ne sera réalisée quelorsque l'individu débarrassé de tout
préjugé sera éclairé à la lumière de la science.
«
Le raisonnement » nous dit Le Dantec « nous enseigne que la lutte
est la grande loi, mais le raisonnement scientifique est incomplet ;
il ne tient pas compte des vieilles erreurs qui sont peut-être ce
que nous avons de meilleur en nous ; la dernière lutte dont nous
devrions parler ici est la lutte du sentiment contre la raison » (Le
Dantec, La lutte universelle). Le Dantec a raison il ne faut pas
parler de la lutte du sentiment contre la raison, mais de celle de la
raison contre le sentiment. Ce n'est que par le triomphe de la raison
que l'espèce humaine et l'individu se transformeront, s'amélioreront
et se perfectionneront.
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