samedi 15 septembre 2018

Journal de la Commune


ORDRE

Depuis quelques jours, il règne une grande confusion dans certains arrondissements ; on dirait que des gens payés par Versailles prennent à tâche :
1° de fatiguer la garde nationale ;
2° de la désorganiser.
On fait battre la générale pendant la nuit.
On bat le rappel à tort et à travers. En sorte que personne ne sachant plus auquel entendre, on ne se dérange même plus, et cette puissante institution, cette armée, espoir et salut du peuple, est à la veille de sombrer sous son triomphe. Un tel état de choses ne saurait subsister plus longtemps. En conséquence, j’invite tous les bons citoyens à se pénétrer des instructions suivantes : La générale ne sera battue que sur mon ordre ou celui de la commission exécutive, et dans le cas seul de prise d’armes générale.
Le rappel ne sera battu, dans les arrondissements que par ordre de la place, et pour la réunion d’un certain nombre de bataillons commandés pour un service spécial.
Ce n’est pas tout : malgré mes ordres formels, une canonnade incessante diminue nos provisions, fatigue la population, irrite les esprits et amène d’un côté la fatigue, de l’autre la colère et la passion.
En sorte que cette Révolution si grande, si belle et si pacifique, pourrait devenir violente, c’est-à-dire faible.
Nous sommes forts ; restons calmes ! Cet état de choses est dû en parties à des chefs militaires trop jeunes et surtout faibles pour résister à la pression populaire. L’homme du devoir ne connaît que sa conscience et méprise la popularité. Je réitère l’ordre d’avoir à se tenir sur la plus stricte défensive, et à ne pas jouer le jeu de nos adversaires, en gaspillant et nos munitions et nos forces, et surtout la vie de ces grands citoyens, enfants du peuple, qui ont fait la Révolution actuelle.
Quand le bruit aura cessé, que le calme de la rue aura passé dans les esprits, nous serons beaucoup plus aptes à perfectionner notre organisation, d’où dépend notre avenir.
En attendant, citoyens, laissons de côté ces petites rivalités, toutes ces personnalités mesquines, qui tendent à désunir ce magnifique faisceau populaire formé par la communauté de la souffrance. Si nous voulons vaincre, il faut être unis. Et quel plus beau, plus simple et plus noble lien que celui de la fraternité des armes au service de la justice !
Formez vite vos compagnies de guerre, ou plutôt complétez-les, car elles existent déjà.
De dix-sept à dix-neuf ans, le service est facultatif ; de dix-neuf à quarante ans, il est obligatoire, marié ou non. Faites entre vous la police patriotique, forcez les lâches à marcher sous votre oeil vigilant.
Aussitôt que quater compagnies, formant au minimum un effectif de 500 hommes, seront constituées, que son chef de bataillon demande à la place un casernement. En caserne ou au camp, son organisation s’achèvera rapidement, et alors tout ce trouble, toute cette confusion s’évanouiront au souffle puissant de la victoire.
Danton demandait à nos pères de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ; je vous demande de l’ordre, de la discipline, du calme et de la patience : l’audace alors sera facile. En ce moment, elle est coupable et ridicule.
Paris, le 8 avril 1871.
Le délégué à la guerre,
E. CLUSERET

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