«
Établissements dans lesquels on place les enfants pervertis, mauvais
ayant ou non commis un délit ― et ayant pour but la rééducation
morale de l'enfance », telle est la définition bourgeoise et
officielle de ces maisons.
En
vérité, il y a loin de cette définition à la réalité et le but
recherché n'est jamais atteint car, d'après les statistiques on
peut se rendre compte que les 99 % des gosses qui ont séjourné dans
les maisons de correction en sortent tout à fait dépravés.
On
peut dire, sans s'exposer à être taxé d'exagération, que les
maisons de correction sont les plus grands fournisseurs de
contingents du bagne, des prisons, de Biribi et de la guillotine.
L'idée de ces établissements revient aux religieux et date de la
révocation de l'Édit de Nantes (1685).
Lorsque,
sous l'influence des Jésuites, Louis XIV enjoignit aux protestants
de se convertir au catholicisme sous peine des galères et de « mort
civile », les prêtres s'inquiétèrent tout de suite des enfants de
ceux qui ne voudraient pas abjurer leur confession religieuse et une
ordonnance royale les autorisa à se saisir des gosses des deux sexes
pour « les rééduquer religieusement ». Les premiers temps on
enlevait les enfants et on les plaçait dans les couvents pour en
faire soit des moines, soit des religieuses. Mais certains de ces
fils d'hérétiques ne voulurent point se plier docilement aux ordres
de leurs nouveaux confesseurs ; aussi l'Église, par ordonnance
royale du 19 mai 1692, fut autorisée à ouvrir des maisons de
correction destinées à punir les enfants rebelles et à les ramener
par tous les moyens dans la voie du salut.
Par
la suite, les prêtres ouvrirent des maisons de filles repenties,
destinées à recevoir les jeunes filles arrêtées pour s'être
livrées à la débauche. Et puis, enfin, le cercle des maisons de
correction fut élargi et l'on confia aux pères de l'Église la
tâche de « corriger » les enfants coupables de délits ou de
crimes et que leur jeune âge soustrayait à la justice ordinaire. La
révolution de 1789 abolit ces établissements, mais quand Louis
XVIII monta sur le trône il rétablit, par une ordonnance datée du
27 janvier 1816, tous les édits royaux de Louis XIV et Louis Mieux,
même, il autorisa les bons pères à se saisir des enfants des
républicains et de les « rééduquer religieusement ».
Louis-Philippe restreignit le pouvoir des prêtres et ne leur accorda
plus que les enfants délictueux ou les filles se livrant à la
débauche.
La
révolution de 1848 abolit cela, mais Napoléon III rétablit ce
privilège. Toutefois, il créa des maisons de correction dépendant
directement de l'administration pénitentiaire, dans lesquelles les
prêtres et les religieux faisaient office de gardiens. Puis en 1863,
un décret plaça les maisons de correction religieuses sous le
contrôle du président de la Cour d'appel du ressort. Enfin, le 14
décembre 1905, à la suite de la loi sur la séparation des églises
et de l'État, un décret d'administration publique plaçait toutes
les maisons de correction dans les mains de l'administration
pénitentiaire.
Il
y a actuellement treize maisons de correction en France. Dix dites
colonies d'éducation pénitentiaire pour les garçons :
Aniane (Hérault) ; Auberives (Haute-Marne) ;
Belle-Isle (Morbihan) ; Les Douaires (Eure) ; Eysses
(Lot-et-Garonne) ; Sacuny (à Brignais, Rhône) ;
Saint-Hilaire (Vienne) ; Saint-Maurice (Loir-et-Cher) ;
Le Val d'Yèvre (Cher) ; Gaillon et trois colonies
de préservation pour jeunes filles : Cadillac (Gironde) ;
Clermont (Oise) et Doullens (Somme).
Les
maisons de Clermont pour les filles et de Gaillon et
Eysses pour les garçons, ont un règlement plus rigide, car
elles sont des colonies correctionnelles destinées à
recevoir les « incorrigibles » des autres maisons.
Ces
établissements dépendent du ministère de la Justice et sont
administrés tout à fait
comme
les prisons : à la tête de chacun, sont : un directeur, un gardien
gardiens et un contrôleur du ministère, chargé « en principe »
de veiller aux intérêts des colons ―
mais
en réalité qui joue uniquement, comme, du reste, dans les prisons,
le rôle de sous-directeur. En plus des gardiens ordinaires, le
Gouvernement adjoint encore un détachement de soldats dont le nombre
va de vingt jusqu'à cent vingt (comme à Clermont et à Eysses). Il
doit y avoir en outre, un instituteur, mais dans certaines maisons
cela a été jugé superflu et c'est un gardien qui remplit cet
office.
Le
règlement est très sévère et identique à celui des Maisons
Centrales d'adultes. Une
discipline
des plus féroces doit régner et les enfants sont à la merci des
gardiens. Chaque manquement au règlement équivaut à une punition
qui s'aggrave chaque fois. Les colons délinquants sont amenés au «
Prétoire », audience que donne le directeur aux gardiens qui ont à
se plaindre ou à signaler des contraventions au règlement.
Le
gosse comparaît devant le directeur ― ou, à son défaut, le
gardien-chef ― et ne peut fournir aucune explication. Sitôt que le
gardien s'est expliqué, le gosse s'entend condamner à l'une des
sanctions prévues par le règlement. Ces sanctions sont ainsi
échelonnées : 1° Pain sec ; allant de quatre à quinze
jours (qui peut être renouvelée incessamment) ; pendant tout le
temps de sa punition le gosse reçoit chaque jour une ration de pain,
et tous les quatre jours une gamelle de bouillon le matin et une
gamelle de légumes le soir ; 2° Cachot ; de huit jours à un
mois (en principe, pour toute peine de cachot dépassant un mois, le
directeur doit se faire approuver par le ministère, mais on a trouvé
le moyen de tourner la difficulté : quand le gosse a fini sa peine
d'un mois, on le fait de nouveau comparaître au prétoire où il se
voit renouveler sa punition) ― même régime alimentaire que le
pain sec, avec, en plus, la détention dans un cachot sans air et
sans lumière ; 3° Salle de discipline ; de huit jours à un
mois et demi. Un des plus terribles supplices que l'on puisse
endurer.
La
« salle » est une pièce d'à peu près quinze mètres de long sur
trois de large. Au milieu est tracée une piste circulaire de 0 m. 40
de largeur. Les gosses doivent marcher sur cette piste au pas cadencé
de six heures du matin à huit heures du soir (un quart d'heure de
marche alternant avec un quart d'heure de repos) ; les pieds nus dans
des sabots sans bride et non appropriés à la pointure (ce qui fait
que les punis ont les pieds en sang au bout de la journée). Ils
doivent marcher les bras croisés sur la poitrine et touchant le dos
de celui qui les précède. Inutile d'ajouter que tous,
indistinctement, sortent de la « salle » pour aller à
l'infirmerie. Mais si le gosse tombe malade avant l'expiration de sa
punition, il doit, en sortant de l'infirmerie, retourner à la «
salle » pour accomplir la fin de sa peine. 4° Les fers ;
allant de 4 jours à un mois. C'est la peine du cachot avec cette
aggravation que le gosse a les pieds enfermés dans des pedottes et
les mains dans des menottes. Quelquefois, même, on applique la
crapaudine, c'est-à-dire que l'on attache les mains et les pieds
derrière le dos et que l'on fait rejoindre l'extrémité de ses
membres par une corde solidement serrée. L'enfant doit boire, manger
et même faire ses besoins dans cette position. Ce qui fait qu'au
bout de deux ou trois jours le gosse, mis dans l'impossibilité de se
dévêtir, fait ses besoins dans son pantalon et reste dans ses
excréments jusqu'à l'expiration de sa punition. Enfin, à la
colonie d'Eysses, on a ajouté à cela la basse fosse.
Cet établissement est un ancien couvent de dominicains et il y a (à
titre historique, dit-on) une ancienne oubliette dans laquelle les
bons pères devaient plonger les moines hétérodoxes. On envoie,
maintenant, pour une période de un à quatre jours les délinquants
trop « terribles ».
Attachés
aux pieds et aux mains, les gosses sont descendus au bout d'une
corde. L'atmosphère est nocive et, sans air, envahi par l'humidité,
le malheureux risque l'asphyxie. Tous les huit heures il est remonté
au bout de la corde et examiné par un docteur qui n'a qu'un seul
devoir : déterminer si le gosse peut supporter encore huit heures de
supplice. Il est arrivé que le docteur se trompe... alors à la
huitième heure on remonta un cadavre ! Nourriture. ― La
nourriture est à peu près la même qu'en prison ; matin : bouillon
; soir : soupe et légumes (oh ! si peu). Jeudis et dimanches une
petite et très mince tranche de matière caoutchouteuse qu'on
dénomme viande par euphémisme. Les gosses non punis ont du pain à
volonté ― mais il y en a très peu qui profitent longtemps de cet
avantage. Autrement ils ont à peu près la ration que l'on accorde
dans les prisons.
Travail.
― Tout détenu est astreint au travail. Dans les colonies possédant
assez de terrain, les gosses sont pour la plupart employés aux
travaux agricoles. Dans les autres et dans les maisons de filles, ils
sont alors, comme dans presque toutes les prisons, exploités d'une
manière féroce.
Des
« entrepreneurs » du dehors ont obtenu la concession des travaux.
Les gosses fabriquent un peu de tout pour le bénéfice du
concessionnaire. Ils sont alors sous la surveillance non seulement de
leurs gardiens mais encore d'un contremaitre civil n'appartenant pas
à l'administration et salarié par l'entrepreneur pour « diriger »
la production.
Comme
de bien entendu, les gosses ne touchent pas un sou de leur labeur ―
sauf de rares exceptions ― et ils sont « tâchés » ;
c'est-à-dire qu'ils doivent accomplir une quantité déterminée de
travail. La « tâche » n'est pas conditionnée à la capacité
productrice de chaque gosse ― elle est déterminée arbitrairement
par le directeur.
Si
le colon est malhabile ou malade et qu'il ne fasse pas la production
déterminée, il est alors conduit au prétoire et se voit appliquer
pour « défaut de tâche » les mêmes punitions, énumérées plus
haut, que pour les infractions au règlement.
Comme
on peut s'en rendre compte par la description ci-dessus, les enfants
sont traités aussi durement (quelquefois davantage) que les adultes.
Des
faits scandaleux se sont produits, des gosses ont été torturés et
même assassinés dans ces maisons ― des enquêtes furent faites
depuis 1905 par des hommes de différentes tendances et toutes ont
dévoilé des faits horrifiants. Mais nous ne les relèverons pas en
cette étude. Notre but étant d'étudier l'institution et non les
faits ; d'autre part nous ne voulons donner nulle place au sentiment
― ce qui ne serait pourtant pas hors de propos. Il y a d'autres
sortes de maisons de correction :
Les
maisons de préservation, les patronages de l'enfance, les oeuvres de
relèvement moral et les patronages religieux.
Les
maisons de préservation peuvent être divisées en deux
catégories : les prisons et
maisons
d'enfants. Elles ne sont point destinées à recevoir des enfants
délictueux. C'est seulement à la demande des parents que les
enfants sont détenus dans ces établissements. Quand des parents ne
sont pas contents ou veulent pour de motifs mesquins se débarrasser
de leurs enfants, ils vont au commissariat de police et, moyennant un
versement de tant par jour (les sommes varient suivant la richesse
des parents) ils font appréhender leurs gosses qui sont mis dans ces
maisons jusqu'à ce que les parents les réclament ou cessent de
payer la redevance. Dans le deuxième cas, si les parents déclarent
se désintéresser de leur progéniture (il se trouve, hélas ! des
pères et des mères assez dénaturés pour faire cela), les gosses
sont placés dans les patronages. Patronages religieux. ―
Les prêtres, ces gens qui, à leurs dires, prêchent la loi d'amour,
jouent un rôle prépondérant dans la répression de l'enfance.
À
côté de leurs maisons de correction, ils avaient imaginé une
combinaison très lucrative. Quand un enfant échappé de ses parents
était arrêté en état dit de « vagabondage » les prêtres
demandaient au magistrat de leur confier l'enfant jusqu'à sa
majorité, soi-disant pour lui apprendre un métier et pour le
relever moralement. Et ils avaient monté de vastes établissements
agricoles, en province, dans lesquelles ils exploitaient d'une façon
atroce les petits malheureux qui leur étaient imprudemment confiés.
Des scandales éclatèrent qui firent fermer bon nombre
d'établissements, et depuis 1905 l'État ne leur confie plus de
gosses. Alors ils trouvèrent autre chose, ils allèrent chez les
parents pauvres et chargés de marmaille ou bien chez ceux qui
étaient mécontents de leur enfant et ils leur demandèrent des
gosses. Les garçons sont pour la plupart employés à l'agriculture,
les filles dans les ouvroirs, et ce, jusqu'à leur majorité. La vie
y est aussi infernale que dans les maisons de correction de l'État.
Patronages
de l'enfance. ― Ceux-là sont l'invention de grands «
philanthropes ». Au fur et à mesure que les scandales éclataient
dans les patronages religieux, les soi-disant démocrates
approfondirent le problème de l'enfance. Se servant d'appuis
politiques, ils ne tardèrent pas à se voir autoriser à monter des
oeuvres similaires aux patronages cléricaux. Associés, ils créèrent
des « oeuvres pour le relèvement moral de l'enfance ». Puis une
législation fut mise au point, qui créait les tribunaux pour
enfants. Alors ce fut et c'est demeuré l'âge d'or pour ces
individus. Tous les délits, contraventions et crimes commis par des
mineurs âgés de moins de seize ans (depuis on a étendu à dix-huit
ans la limite), sont soumis à la juridiction spéciale du tribunal
d'enfants.
Ce tribunal est composé d'un président et de deux juges assesseurs.
Un substitut représente le Gouvernement. L'accusé a le droit de se
faire défendre par un avocat ― mais en plus du tribunal
correctionnel ordinaire, un sixième personnage entre officiellement
en scène. C'est un avocat ou un représentant d'un patronage ou
d'une oeuvre de relèvement. Après la plaidoirie et le réquisitoire,
ce représentant se lève et demande (ce qui est toujours accordé
sauf dans les cas graves) qu'on lui confie l'enfant jusqu'à sa
majorité. Et le tribunal pour enfants de la Seine est même présidé
par M. Rollet qui est en même temps fondateur-président d'une
oeuvre qui porte son nom : le patronage Rollet. En outre des enfants
« confiés » par le tribunal, ces patronages acceptent aussi les
gosses amenés par les parents.
Une
fois l'enfant dans leurs mains, ils le laissent quelque temps dans la
« maison mère » où ils font des travaux pour le compte
d'entrepreneurs civils. Si l'enfant travaille bien, qu'il est un peu
malingre, ils le gardent là jusqu'à sa sortie. Il aura à subir le
même régime que dans les maisons de correction de l'État, les
mêmes punitions (moins la salle de discipline) et le même
traitement alimentaire. Seulement, une fois par mois (s'il est sage)
il pourra voir ses parents au parloir. Il gagnera environ quatre ou
cinq sous par jour pour un labeur exténuant et malsain. Autrement il
sera placé chez des cultivateurs, dans une bourgade lointaine de
province. Là, il devra travailler dur et, sans souci de ses
possibilités physiques, il devra exécuter du petit jour à la
tombée de la nuit, les travaux les plus pénibles et les plus
répugnants ; il subira toutes les vexations et même les mauvais
traitements de maîtres qui n'ont nul besoin de se gêner ― il y a
bien un inspecteur qui passe ou devrait passer tous les ans, mais si
le gosse réclame il est considéré comme mauvaise tête et, en fin
de compte c'est toujours lui qui aura tort. Certes il pourra écrire
à ses parents, mais le paysan lira les lettres avant de les envoyer.
Naturellement il sera aussi mal, sinon plus, que le sont d'ordinaire
les petits valets de ferme. Il touche un salaire de 100 francs par
an, mais dessus il lui est retenu 60 % pour ses vêtements et sa
nourriture.
S'il
réussit à s'évader et s'il est repris, on l'envoie directement en
colonie pénitentiaire ― quelles que soient les raisons qu'il
puisse donner.
Cependant
que les patronages touchent une redevance de l'État, plus une
redevance du paysan.
Certaines
de ces oeuvres ― comme le patronage Julien ― sont montées par
actions et distribuent en fin d'année des dividendes à leurs
sociétaires.
OEuvres
de relèvement moral de jeunes filles. ― Ces oeuvres
fonctionnent à peu près comme les patronages, à cette exception
qu'elles ne placent pas chez des particuliers.
Montées
de la même façon que les patronages, elles reçoivent leurs
contingents des
tribunaux
d'enfants. Seulement elles ont encore une « clientèle » spéciale
― mais ici il faut expliquer une monstruosité de la loi sur la
répression de l'enfance.
En
principe une jeune fille a le droit de quitter ses parents à quinze
ans, à condition qu'elle mène une « existence sans reproche » et
qu'elle puisse prouver qu'elle peut vivre de son propre travail.
Il
en est toutefois autrement en vertu d'une « loi sur la protection de
l'enfance » votée en 1912.
Une
jeune fille quitte-t-elle ses parents sans les prévenir et ceux-ci,
désolés et inquiets de ne la point voir revenir, vont-ils au
commissariat faire part de leurs inquiétudes ? ― Si la jeune fille
est retrouvée, on l'arrête et, sans prévenir les parents, on la
fait comparaitre devant le tribunal d'enfants qui la confie à une
oeuvre de relèvement jusqu'à sa majorité. Les parents
protestent-ils ? On leur dit que leur démarche auprès du
commissaire a été considérée comme un dépôt de leur enfant.
Veulent-ils faire appel du jugement ? qu'ils sont incapables de
surveiller « dignement ». Le procureur de la République leur
apprendra que ce n'est pas un jugement mais une « décision » qui a
été prise par le tribunal et qu'en conséquence leur instance en
appel est irrecevable en droit. J'ai eu, malheureusement, trop de
preuves de cela apportées, alors que je faisais une enquête dans le
Libertaire, par des parents indignés et désolés, mais
impuissants, qui demandaient depuis de longs mois qu'on leur rendit
leur fille sans qu'ils pussent obtenir gain de cause. Les fillettes
sont enfermées comme dans les prisons de femmes. Elles travaillent
dans la journée dans des ouvroirs, ne gagnent rien ou dix sous par
jour, suivant les maisons ; ont le même régime que dans les
prisons, tant au point de vue discipline, punitions, hygiène et
régime alimentaire. Elles peuvent voir une fois par mois (à
condition de ne pas avoir été punies dans le mois) leurs parents au
parloir en présence d'une surveillante. Et, comme pour les
patronages, certaines « oeuvres de relèvement » sont constituées
par actions et distribuent des dividendes annuels. But recherché
par le législateur. ― Admettons pour un instant la sincérité
de ceux qui ont combiné le système des maisons de correction. Quel
était le but qu'ils se proposaient d'atteindre ? Quelles sont les
raisons données pour le maintien d'un pareil état de choses ? Voici
comment parlent les « protecteurs » de l'enfance : « Soit par de
mauvaises fréquentations, soit par manque de surveillance des
parents, soit encore par les mauvais exemples de ceux-ci, il y a des
enfants qui commettent des délits, qui, petit à petit se
pervertissent et qui ne tarderaient pas, si nous n'y mettions bon
ordre, à devenir de dangereux bandits.
La
plupart du temps, nous voulons bien l'admettre, l'enfant agit plutôt
par inconséquence, mais le vice devient vite une habitude.
Il
faut donc soustraire l'enfant qui a des tendances au vice, à
l'ambiance dans laquelle il vit. Il faut le placer dans des lieux où
il apprendra la force de la vertu, où il sera rééduqué totalement
et d'où il sortira homme sain physiquement et moralement, ayant
appris la vertu du Travail.
Au
reste, ce ne sont pas des maisons de répression, mais uniquement,
comme leur titre l'indique, des maisons de « correction morale » ou
si vous aimez mieux, des espèces de sanatoria moraux que nous
établissons. Si au début il y a la pénitence, c'est uniquement
pour leur faire comprendre qu'ils ont fauté et que toute faute doit
avoir sa punition. » Causes du mal. ― On pourrait répliquer
à ces « bonnes âmes » beaucoup de choses. Quelles sont, en effet,
les causes de la perversion de l'enfance ?
Le
mauvais exemple ? ― eh, oui ! Mais pas celui des parents : celui
que leur donne la
société
par sa composition et son essence même. Quels sont, pour la presque
totalité, les enfants « pervertis » ? Des enfants pauvres, de
familles nombreuses.
En
effet prenez les statistiques et dénombrez les enfants. 98% sont ou
des gosses de familles nombreuses, ou des gosses de veuves, ou de
filles-mères, ou des orphelins. Or, promenez-vous un instant dans
les rues des villes. Qu'y voyez-vous ? De grands magasins ayant des
étalages somptueux, des maisons d'alimentation aux vitrines emplies
de toutes sortes de bonnes choses, des pâtisseries étalant des
friandises convoitables, des tailleurs exposant les costumes les plus
divers, des cordonniers montrant des chaussures de toutes formes.
Pénétrez maintenant dans la vie des gosses de pauvres. Que
remarquez-vous ? D'abord leurs parents travaillent toute une longue
journée pour ne ramener qu'un salaire insuffisant à l'aisance de la
famille.
Les
gosses mangent rarement à leur faim, ils ont des habits troués et
rapiécés, des chaussures lamentables ; ils ne connaissent pas la
joie des friandises et d'un bon repas les laissant rassasiés.
Alors
comment voudriez-vous que ces gosses privés de tout, livrés à la
rue pendant que leurs parents s'échinent à l'atelier ― comment
voudriez-vous qu'ils n'eussent pas un regard d'envie devant toutes
les belles choses qu'on met à leur vue dans les devantures ? Comment
n'auraient-ils pas envie de connaître des joies ― en somme toutes
naturelles ― que la misère leur interdit ? Et de l'envie, de la
convoitise, comment ne seraient-ils pas tentés de s'approprier un
peu de cette joie qui, après tout, leur appartient aussi
légitimement qu'aux autres ? Et si, un jour, la tentation étant
trop forte, ils commettent un larcin ; à qui incombera leur faute ?
À eux ? À leurs parents ?
Que
non, pas ! à la société qui permet qu'il y ait trop d'un côté
tandis qu'il y a pénurie ― et pénurie la plus complète d'autre
part.
Mais
laissons ce raisonnement logique de côté. Pour un instant ne
raisonnons plus en
anarchistes
; plaçons-nous du point de vue bourgeois. Admettons (oh ! uniquement
pour la démonstration) que ce ne soit pas la société qui soit
coupable ― que ce soit l'enfant, seul ou avec ses parents, qui
doive supporter la responsabilité de cela.
Les
gens « comme il faut » appliquent-ils une méthode efficace ?
Méthode appliquée et résultats obtenus. ― Donc, c'est
bien cela, par suite de mauvaises fréquentations, de mauvais
exemples ou d'ambiance familiale, l'enfant commence à se pervertir.
Il faut donc l'arracher de son mauvais milieu, détruire en lui le
mauvais germe et le rééduquer totalement.
Il
faudrait logiquement entourer le gosse de personnes saines
moralement, instruites et capables, par leur exemple, d'inculquer la
vertu du travail à ces jeunes cervelles. Il faudrait considérer les
gosses comme des malades moraux et les doter de rééducateurs
paternels qui leur fassent comprendre qu'ils ont commis des fautes
parce qu'ils ne savaient pas et qu'on ne leur garde pas rancune ;
qu'on veut, non pas les punir mais les empêcher de recommencer les
mêmes actes en leur apprenant la beauté d'une existence faite de
labeur et d'honnêteté. (Je tiens à faire remarquer que ce n'est
pas moi, mais le raisonnement bourgeois qui parle ainsi). Or, comment
s'y prend-on pour arriver à ce résultat ? Le personnel employé
dans les maisons de correction est loin, très loin de répondre au
but recherché. Les surveillants (gardiens et gardiennes) sont pris
parmi les paysans pas tout à fait illettrés, mais peu s'en faut,
qui, ayant trouvé que le travail de la terre est par trop fatigant ―
ainsi que tout autre travail ― ont choisi cette place de tout repos
qu'est la « fonction » de gardien de prison. Ont-ils seulement, ces
paysans non cultivés, un sens moral suffisant pour leur tâche
d'éducateurs ? Non ; pour la plupart ― pour ne pas dire la
totalité ― ce sont des brutes méchantes et ne cherchant qu'à
faire du mal à ceux qui sont sous leurs ordres.
Ils
ne voient pas en les colons qu'on leur confie des jeunes êtres
égarés qu'il faut ramener dans le bon chemin ― ils voient en
chaque détenu un bandit, une « forte tête » qu'il faut mâter par
la terreur et la violence. L'ambiance d'une maison de correction
est-elle une ambiance régénératrice ? Allons donc ! Dans les
colonies pénitentiaires, comme dans les patronages, sévissent les
mêmes mœurs que dans les centrales, Biribi ou les bagnes.
L'onanisme, seul ou à deux, est une règle générale. La sodomie
fait aussi de grands ravages. Les grands forcent les petits, les
forts obligent les faibles à subir leurs exigences sexuelles ― et
quelquefois, même, les gardiens s'en mêlent. Les gosses
prennent-ils conscience de la beauté d'une vie de travail ? Non !
Ensemble ils se racontent leurs coups, en combinent d'autres pour le
jour de leur libération et il est commun de voir des gosses qui
seraient devenus de bons et de braves petits gars monter des
associations. Quand ils sortent, pour la plupart ils recommencent en
grand ce qu'ils n'avaient fait qu'en petit et tels qui auraient fait
des hommes courageux, vont inaugurer, dès leur sortie, une vie qui
les conduira de prison en prison, quand ce n'est pas au bagne ou à
l'échafaud. Vous avez pris, ô moralistes, des gosses égarés qui
pouvaient se reprendre et vous en avez fait de la chair à
souffrance, de la chair à prison. Non seulement votre but n'est pas
atteint, mais, au contraire, il est complètement éloigné : vous ne
faites que fournir des contingents aux machines à condamner que sont
les magistrats. Conclusion. ― Même du point de vue
bourgeois, la théorie des maisons de correction ne tient pas devant
les faits. Rien ne peut légitimer, à quelque tendance politique
qu'on appartienne, la survivance des « bagnes d'enfants ». Aussi
devons-nous nous attacher à dénoncer devant l'opinion publique ce
reste de barbarie qu'est l'institution des maisons de correction.
Combattons pour faire supprimer ces lieux où l'on torture l'enfance.
En attendant le jour où nous établirons un milieu social qui,
assurant à chaque individu le droit au bonheur, supprimera la misère
: cause de tous les vices et de tous les crimes.
―
Louis LORÉAL
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