mardi 5 juin 2018

Lignes N°55 Alain Hobé : Quel nous est-on


Lignes N°55

Alain Hobé : Quel nous est-on


« Quel nous est-on quand règne en instant l'effroi gagnant qui que ce soit. Ses contempteurs compris. Ses promoteurs compris. Qui que ce soit repris, rattrapé, dépêché, rameuté, agité, travaillé, captivé, pour tout dire inspiré par l'effroi. L'effroi dans les conversations, dans les conduites et les aspirations. Plus que la peur, qui est toujours la peur sempiternelle de mourir un jour, quel jour, ; l’inénarrable effroi de mourir à tout moment, déjà. Partout. Du monde, des autres et de soi. Du monde des autres, du monde à soi. L'inénarrable effroi de mourir sansz répit. L'inénarrable effroi de s'être abandonné. De n'avoir pas veillé continûment. De s'être imaginé patient. D'avoir déjà perdu son temps. De n'avoir pas encore assez d'argent. L’inénarrable effroi du manque et du besoin de manque à rassasier. Qui mobilise à chaque instant, à chaque pas. Quel nous est-on quand on est cet effroi. Quand ce qui prédispose au nous prédispose à l'effroi. Quand ce qui prédispose au nous prédispose à l'effroi devant lui. Devant le nous de la commune étrangeté qu'on est. »

« Quand réunit l'effroi de la commune humanité des marches blanches, où se voit être en son miroir un peuple alors que s'organise à ses frontières le tri mortel des gueux venus d'ailleurs. »

« Quand l'espérance en elle, l'humanité, tout autant se déduit de l'effroi de ne pas y suffire et d'en manquer toujours. Quand c'est de lui, l'effroi, que se déduit le commun espéré des rencontres et des vœux collectifs. Et que tient lieu de seul commun possible l'effroi constant, l'effroi fidèle, l'effroi sauveur, l'effroi qui tient debout, sur le qui-vive : un vif effroi garant de toute intégrité. »

« Quel nous est-on devant ce que l'effroi aura été.
Personne. Et cependant. Nous n'est personne, on n'y est rien, hormis ce que l'effroi ne vainc nullement, ni ne convainc de la nécessité de s'en tenir à lui. De s'en tenir à son pouvoir. A son empire. A sa subornation. Dans la mesure où cet effroi ne vainc que ce qui le croit tel. Dans la mesure où ce que tant d'effroi convaincd n'est que ce qui veut croire en lui. Ce qui régresse. Ce qui se plie. Qui se replie depuis qu'il entend dire et répéter partout que de partout vient le danger. Que le monde est partout le monde de la menace. Et qu'il en vient à se menacer lui, le monde de la menace envers le monde, à lui-même un danger, à lui sa propre perte. Au nom de quoi s'est établie l'égalité du monde et du péril. Et de nous, dès lors qu'on est dedans. Le nous qu'on est, fautif et déficient, comptable de ses manquements. Pressé de s'amender. Œuvrant à sa réparation. Le nous depuis toujours soucieux de sa reconnaissance entendu qu'il ne sait comment être. Il ne sait comment vivre. Il ne sait s'accomplir, hors l'effroi. »

« Quand non content de gentiment s'acclimater aux inégalités les plus cruelles,n et non content d'aller jusqu'à les louer, jusqu'à s'en éblouir, chacun doit s'incliner à naturaliser les injustices. A naturaliser la convoitise. A naturaliser l'effroi. Qui voudrait qu'on en ait de la honte. Honte d'être nous. D'être aussi peu que ça. Honte d'être aussi bas si peu ouvert aux autres, honte d'être à ce point obscur au milieu du grand nombre. Et du malin plaisir. Du plaisir à l'effroi de s'y trouver semblable, insignifiant comme anonyme, et de l'effroi qui vient à trouver son bien-être en s'y comptant. D'une coupable innocence. Sans avoir su comment se vendre afin de fuir sa finitude. Son invendable finitude. Aberration de nous quand tout ce qui domine ne vainc qu'à ce degré de confusion. »



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