Lignes
N°55
Alain
Hobé : Quel nous
est-on
« Quel nous est-on quand
règne en instant l'effroi gagnant qui que ce soit. Ses contempteurs
compris. Ses promoteurs compris. Qui que ce soit repris, rattrapé,
dépêché, rameuté, agité, travaillé, captivé, pour tout dire
inspiré par l'effroi. L'effroi dans les conversations, dans les
conduites et les aspirations. Plus que la peur, qui est toujours la
peur sempiternelle de mourir un jour, quel jour, ; l’inénarrable
effroi de mourir à tout moment, déjà. Partout. Du monde, des
autres et de soi. Du monde des autres, du monde à soi. L'inénarrable
effroi de mourir sansz répit. L'inénarrable effroi de s'être
abandonné. De n'avoir pas veillé continûment. De s'être imaginé
patient. D'avoir déjà perdu son temps. De n'avoir pas encore assez
d'argent. L’inénarrable effroi du manque et du besoin de manque à
rassasier. Qui mobilise à chaque instant, à chaque pas. Quel nous
est-on quand on est cet effroi. Quand ce qui prédispose au nous
prédispose à l'effroi. Quand ce qui prédispose au nous prédispose
à l'effroi devant lui. Devant le nous de la commune étrangeté
qu'on est. »
« Quand réunit l'effroi
de la commune humanité des marches blanches, où se voit être en
son miroir un peuple alors que s'organise à ses frontières le tri
mortel des gueux venus d'ailleurs. »
« Quand l'espérance en
elle, l'humanité, tout autant se déduit de l'effroi de ne pas y
suffire et d'en manquer toujours. Quand c'est de lui, l'effroi, que
se déduit le commun espéré des rencontres et des vœux collectifs.
Et que tient lieu de seul commun possible l'effroi constant, l'effroi
fidèle, l'effroi sauveur, l'effroi qui tient debout, sur le
qui-vive : un vif effroi garant de toute intégrité. »
« Quel nous est-on devant
ce que l'effroi aura été.
Personne.
Et cependant. Nous n'est personne, on n'y est rien, hormis ce que
l'effroi ne vainc nullement, ni ne convainc de la nécessité de s'en
tenir à lui. De s'en tenir à son pouvoir. A son empire. A sa
subornation. Dans la mesure où cet effroi ne vainc que ce qui le
croit tel. Dans la mesure où ce que tant d'effroi convaincd n'est
que ce qui veut croire en lui. Ce qui régresse. Ce qui se plie. Qui
se replie depuis qu'il entend dire et répéter partout que de
partout vient le danger. Que le monde est partout le monde de la
menace. Et qu'il en vient à se menacer lui, le monde de la menace
envers le monde, à lui-même un danger, à lui sa propre perte. Au
nom de quoi s'est établie l'égalité du monde et du péril. Et de
nous, dès lors qu'on est dedans. Le nous qu'on est, fautif et
déficient, comptable de ses manquements. Pressé de s'amender.
Œuvrant à sa réparation. Le nous depuis toujours soucieux de sa
reconnaissance entendu qu'il ne sait comment être. Il ne sait
comment vivre. Il ne sait s'accomplir, hors l'effroi. »
« Quand non content de
gentiment s'acclimater aux inégalités les plus cruelles,n et non
content d'aller jusqu'à les louer, jusqu'à s'en éblouir, chacun
doit s'incliner à naturaliser les injustices. A naturaliser la
convoitise. A naturaliser l'effroi. Qui voudrait qu'on en ait de la
honte. Honte d'être nous. D'être aussi peu que ça. Honte d'être
aussi bas si peu ouvert aux autres, honte d'être à ce point obscur
au milieu du grand nombre. Et du malin plaisir. Du plaisir à
l'effroi de s'y trouver semblable, insignifiant comme anonyme, et de
l'effroi qui vient à trouver son bien-être en s'y comptant. D'une
coupable innocence. Sans avoir su comment se vendre afin de fuir sa
finitude. Son invendable finitude. Aberration de nous quand tout ce
qui domine ne vainc qu'à ce degré de confusion. »
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