dimanche 17 juin 2018

Georges Sand Histoire de ma vie



« Certes alors c'est l'âme la plus éprouvé qui a le plus de pouvoir sur l'autre . Dans l'émotion , nous ne cherchons guère l'appui du sceptique railleur ou superbe. C'est vers un malheureux de notre espèce, souvent même vers un plus malheureux que nous, que nous tournons nos regards et que nous tendons nos mains. Si nous le surprenons dans un moment de détresse, il connaîtra la pitié et pleurera avec nous. Si nous l'invoquons lorsqu'il est dans l’exercice de sa force et de sa raison, il nous instruira et nous sauvera peut-être ; mais à coup sûr il n'aura d'action sur nous qu'autant qu'il nous comprendra , et , pour qu'il nous comprenne, il faut qu'il ait à nous faire une confidence en retour de la nôtre. »

« Elle échoua, cette philosophie, devant les expiations révolutionnaires , et les heureux du passé n'en gardèrent que l'art de savoir monter avec grâce sur l'échafaud, ce qui est beaucoup, j'en conviens ; mais ce qui les aida à montrer cette dernière vaillance , ce fût le profond dégoût d'une vie où ils ne voyaient plus le moyen de s'amuser, et l'effroi d'un état social où il fallait admettre , au moins en principe, le droit de tous au bien-être et au loisir. »

« A mes yeux, la révolution est une des phases active de la vie évangélique . Vie tumultueuse , sanglante, terrible à certaines heures, pleine de convulsions, de délires, et de sanglots. C'est la lutte violente du principe de l'égalité prêché par Jésus, et passant, tantôt comme un flambeau radieux, tantôt comme une torche ardente, de main en main, jusqu'à nos jours, contre le vieux monde païen qui n'est pas détruit, qui ne le sera pas de longtemps, malgré la mission du christ et tant d'autres missions divines, malgré tant de bûchers d'échafauds et de martyres.

Mais l’histoire du genre humain se complique de tant d’événements imprévus, bizarres, mystérieux, ; les voies de la vérité s'embranchent à tant de chemins étranges et abrupts, les ténèbres se répandent si fréquentes et si épaisses sur ce pèlerinage éternel, l'orage y bouleverse si obstinément les jalons de la route, depuis l'inscription laissée sur le sable jusqu'aux pyramides ; tant de sinistres dispersent et fourvoient les pâles voyageurs, qu'il n'est pas étonnant que nous n'ayons encore eu d'histoire vraie bien accréditée, et que nous flottions dans un labyrinthe d'erreurs.

Les événements d'hier sont aussi obscurs pour nous que les épopées des temps fabuleux, et c'est d'aujourd'hui seulement que des études sérieuses font pénétrer quelque lumière dans ce chaos.

Alors, quoi d'étonnant dans le vertige qui s'empara de tous les esprits à l'heure de cette inextricable mêlée où la France se précipité en 93 ? Lorsque tout alla par représailles, que chacun fut, de fait ou d'intention, tour à tour victime ou bourreau, et qu'entre l'oppression subie et l'oppression exercée il n'y eut pas le temps de la réflexion ou la liberté du choix, comment la passion eut-elle pu s' abstraire dans l'action, et l'impartialité dicter des arrêts tranquilles ? Des âmes passionnées furent jugées par des âmes passionnées, et le genre humain s'écria comme au temps des vieux hussites : « c'est aujourd'hui le temps du deuil, du zèle et de la fureur. » quelle foi eut-il donc fallu pour se résoudre joyeusement à être, soit à tort, soit à raison, le martyr du principe ? L'être à tort, par suite d'une de ces fatales méprises que la tourmente rend inévitables, était encore le plus difficile à accepter ; car la foi manquait de lumière suffisante et l'atmosphère sociale était trop troublée pour que le soleil s'y montrât à la conscience individuelle. Toutes les classes de la société étaient pourtant éclairées de ce soleil révolutionnaire jusqu'aux jours des états généraux. »

« Dans cette épopée sanglante, où chaque parti revendique pour lui-même les honneurs et les mérites du martyre, uil faut bien reconnaître qu'il y eut, en effet, des martyrs dans les deux camps. Les uns souffrirent pour la cause du passé, les autres pour celle de l'avenir ; d'autres encore, placés à la limite de ces deux principes, souffrirent sans comprendre ce qu'on châtiait en eux. Que la réaction du passé se fût faite, ils eussent été persécutés par les hommes du passé, comme ils le furent par les hommes de l'avenir. »

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