« Certes alors c'est l'âme la plus éprouvé qui
a le plus de pouvoir sur l'autre . Dans l'émotion , nous ne
cherchons guère l'appui du sceptique railleur ou superbe. C'est vers
un malheureux de notre espèce, souvent même vers un plus malheureux
que nous, que nous tournons nos regards et que nous tendons nos
mains. Si nous le surprenons dans un moment de détresse, il
connaîtra la pitié et pleurera avec nous. Si nous l'invoquons
lorsqu'il est dans l’exercice de sa force et de sa raison, il nous
instruira et nous sauvera peut-être ; mais à coup sûr il
n'aura d'action sur nous qu'autant qu'il nous comprendra , et , pour
qu'il nous comprenne, il faut qu'il ait à nous faire une confidence
en retour de la nôtre. »
« Elle échoua, cette philosophie, devant les
expiations révolutionnaires , et les heureux du passé n'en
gardèrent que l'art de savoir monter avec grâce sur l'échafaud, ce
qui est beaucoup, j'en conviens ; mais ce qui les aida à
montrer cette dernière vaillance , ce fût le profond dégoût d'une
vie où ils ne voyaient plus le moyen de s'amuser, et l'effroi d'un
état social où il fallait admettre , au moins en principe, le
droit de tous au bien-être et au loisir. »
« A mes yeux, la révolution est une des phases
active de la vie évangélique . Vie tumultueuse , sanglante,
terrible à certaines heures, pleine de convulsions, de délires, et
de sanglots. C'est la lutte violente du principe de l'égalité
prêché par Jésus, et passant, tantôt comme un flambeau radieux,
tantôt comme une torche ardente, de main en main, jusqu'à nos
jours, contre le vieux monde païen qui n'est pas détruit, qui ne le
sera pas de longtemps, malgré la mission du christ et tant d'autres
missions divines, malgré tant de bûchers d'échafauds et de
martyres.
Mais l’histoire du genre humain se complique de tant
d’événements imprévus, bizarres, mystérieux, ; les voies
de la vérité s'embranchent à tant de chemins étranges et abrupts,
les ténèbres se répandent si fréquentes et si épaisses sur ce
pèlerinage éternel, l'orage y bouleverse si obstinément les jalons
de la route, depuis l'inscription laissée sur le sable jusqu'aux
pyramides ; tant de sinistres dispersent et fourvoient les pâles
voyageurs, qu'il n'est pas étonnant que nous n'ayons encore eu
d'histoire vraie bien accréditée, et que nous flottions dans un
labyrinthe d'erreurs.
Les événements d'hier sont aussi obscurs pour nous que
les épopées des temps fabuleux, et c'est d'aujourd'hui seulement
que des études sérieuses font pénétrer quelque lumière dans ce
chaos.
Alors, quoi d'étonnant dans le vertige qui s'empara de
tous les esprits à l'heure de cette inextricable mêlée où la
France se précipité en 93 ? Lorsque tout alla par
représailles, que chacun fut, de fait ou d'intention, tour à tour
victime ou bourreau, et qu'entre l'oppression subie et l'oppression
exercée il n'y eut pas le temps de la réflexion ou la liberté du
choix, comment la passion eut-elle pu s' abstraire dans l'action, et
l'impartialité dicter des arrêts tranquilles ? Des âmes
passionnées furent jugées par des âmes passionnées, et le genre
humain s'écria comme au temps des vieux hussites : « c'est
aujourd'hui le temps du deuil, du zèle et de la fureur. »
quelle foi eut-il donc fallu pour se résoudre joyeusement à être,
soit à tort, soit à raison, le martyr du principe ? L'être à
tort, par suite d'une de ces fatales méprises que la tourmente rend
inévitables, était encore le plus difficile à accepter ; car
la foi manquait de lumière suffisante et l'atmosphère sociale était
trop troublée pour que le soleil s'y montrât à la conscience
individuelle. Toutes les classes de la société étaient pourtant
éclairées de ce soleil révolutionnaire jusqu'aux jours des états
généraux. »
« Dans cette épopée sanglante, où chaque parti
revendique pour lui-même les honneurs et les mérites du martyre,
uil faut bien reconnaître qu'il y eut, en effet, des martyrs dans
les deux camps. Les uns souffrirent pour la cause du passé, les
autres pour celle de l'avenir ; d'autres encore, placés à la
limite de ces deux principes, souffrirent sans comprendre ce qu'on
châtiait en eux. Que la réaction du passé se fût faite, ils
eussent été persécutés par les hommes du passé, comme ils le
furent par les hommes de l'avenir. »
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