« Non, dis-je, j'y suis habitué. J'ai exprimé
plusieurs fois l 'opinion que chaque peuple et même chaque
homme en particulier, au lieu de se bercer par des « questions
de culpabilité » politiques, hypocrites et faussées, devrait
s'examiner lui-même pour savoir dans quelle mesure , par ses
manquements, par ses omissions, ses mauvaises habitudes, il est
responsable de la guerre et de toute la misère du monde ; j'ai
dit que c'était le seul moyen d'éviter peut-être une guerre
prochaine. C'est cela qu'ils ne me pardonnent pas, car, bien entendu,
ils sont tous innocents : le Kaiser, les généraux, les grands
industriels, les politiciens, les journaux, nul n'a rien à se
reprocher, ce n'est la faute de personne. On croirait que tout va on
ne peut mieux dans le monde ; seulement, voilà, il y a une
douzaine de millions d'hommes assassinés. Et, vois-tu, Hermine, même
si ces insultes ne peuvent plus m'agacer , quelquefois, tout de même,
elles m'attristent. Deux tiers de mes compatriotes lisent cette
espèce de journaux, entendent ces chansons matin et soir ; de
jour en jour, on les travaille, on les serine, on les traque, on les
rend furieux et mécontents ; et le but et la fin de tout est
encore la guerre, une guerre prochaine, probablement encore plus
hideuse que celle-ci. Tout cela est simple te limpide, chacun
pourrait le comprendre, s'il il se donnait la peine d'y penser une
heure. Mais personne ne le veut, personne ne désire échapper, ni
pour lui ni pour ses enfants, à une nouvelle boucherie, s'il ne peut
le faire qu'à ce prix. Réfléchir une heure, rentrer en soi un
instant et se demander combien on est responsable soi-même du
désordre et de la méchanceté dans le monde, cela, nul n'y
consent. »
Hermann Hesse fait parler le « vieux »
Goethe :
« Mon petit, tu prends le vieux Goethe trop au
sérieux. Prendre trop au sérieux les vieilles gens qui sont mortes,
c'est leur faire du tort. Nous autres immortels, nous n'aimons pas
cela, nous préférons la plaisanterie. Le sérieux naît, mon petit,
je veux bien te révéler cela , d'une surestimation du temps. Moi
aussi, jadis, j'ai surestimé la valeur du temps, c'est pourquoi je
tenais à atteindre l'âge de cent ans. Mais, vois-tu, dans
l'éternité, le temps n'existe pas, l'éternité n'est qu'un seul
instant, juste assez pour une plaisanterie. »
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