dimanche 10 juin 2018

Hermann Hesse Le Loup des Steppes



« Non, dis-je, j'y suis habitué. J'ai exprimé plusieurs fois l 'opinion que chaque peuple et même chaque homme en particulier, au lieu de se bercer par des « questions de culpabilité » politiques, hypocrites et faussées, devrait s'examiner lui-même pour savoir dans quelle mesure , par ses manquements, par ses omissions, ses mauvaises habitudes, il est responsable de la guerre et de toute la misère du monde ; j'ai dit que c'était le seul moyen d'éviter peut-être une guerre prochaine. C'est cela qu'ils ne me pardonnent pas, car, bien entendu, ils sont tous innocents : le Kaiser, les généraux, les grands industriels, les politiciens, les journaux, nul n'a rien à se reprocher, ce n'est la faute de personne. On croirait que tout va on ne peut mieux dans le monde ; seulement, voilà, il y a une douzaine de millions d'hommes assassinés. Et, vois-tu, Hermine, même si ces insultes ne peuvent plus m'agacer , quelquefois, tout de même, elles m'attristent. Deux tiers de mes compatriotes lisent cette espèce de journaux, entendent ces chansons matin et soir ; de jour en jour, on les travaille, on les serine, on les traque, on les rend furieux et mécontents ; et le but et la fin de tout est encore la guerre, une guerre prochaine, probablement encore plus hideuse que celle-ci. Tout cela est simple te limpide, chacun pourrait le comprendre, s'il il se donnait la peine d'y penser une heure. Mais personne ne le veut, personne ne désire échapper, ni pour lui ni pour ses enfants, à une nouvelle boucherie, s'il ne peut le faire qu'à ce prix. Réfléchir une heure, rentrer en soi un instant et se demander combien on est responsable soi-même du désordre et de la méchanceté dans le monde, cela, nul n'y consent. »

Hermann Hesse fait parler le « vieux » Goethe :

« Mon petit, tu prends le vieux Goethe trop au sérieux. Prendre trop au sérieux les vieilles gens qui sont mortes, c'est leur faire du tort. Nous autres immortels, nous n'aimons pas cela, nous préférons la plaisanterie. Le sérieux naît, mon petit, je veux bien te révéler cela , d'une surestimation du temps. Moi aussi, jadis, j'ai surestimé la valeur du temps, c'est pourquoi je tenais à atteindre l'âge de cent ans. Mais, vois-tu, dans l'éternité, le temps n'existe pas, l'éternité n'est qu'un seul instant, juste assez pour une plaisanterie. »


Aucun commentaire: