On
appelle Code le corps des lois qui régissent les sujets d'un même
État.
Les
Codes se différencient suivant les matières qu'ils condensent dans
leur système impératif.
De
grandes sociétés ont pour leur action interurbaine ou
internationale des règlements homogènes qu'on appelle Codes par
assimilation et par métaphore : on dit le Code des Courses.
Enfin,
on donne le nom de Codes : 1° à des tables de signaux ; 2° à des
vocabulaires composés de mots abréviatifs ou de termes
conventionnels, pour assurer le secret d'un texte transmis ou en
simplifier la teneur. Nous ne nous occuperons que des Codes créés
par le travail législatif.
I
La
France a cinq Codes fondamentaux.
On
place en tête du Code civil les lois organiques, celles qui
déterminent la forme de la constitution et qui en réglementent le
jeu.
CODE
CIVIL. ― Le Code civil se divise en livres, les livres en titres,
les titres en chapitres, les chapitres en articles.
Le
premier livre, est relatif à l'état des personnes et le second à
la condition des biens.
Pour
les personnes, le Code règle la jouissance et la privation des
droits civils ; le mariage et le divorce ; la paternité et la
filiation ; la puissance paternelle, la minorité, la tutelle et
l'émancipation ; la majorité, l'interdiction et le Conseil
judiciaire.
Pour
les biens, le Code détermine la distinction entre les immeubles et
les meubles, le droit de jouir et de disposer que confère la
propriété, la manière légale dont elle s'accroît par
l'accession, les démembrements qu'elle subit par l'usufruit, l'usage
et l'habitation, les restrictions que lui imposent les servitudes. Le
troisième livre comprend les différentes manières dont on acquiert
la propriété : successions, donations, contrats ; la vente,
l'échange, le louage, le prêt sont les principales obligations
conventionnelles qui transmettent la propriété ou la possession.
Des titres spéciaux déterminent les différents régimes du contrat
de mariage et les droits respectifs des époux sur leurs biens
propres ou communs ; d'autres titres réglementent le dépôt, le
mandat, le cautionnement, le nantissement ; d'autres enfin les
privilèges et les hypothèques, pour terminer par cette consécration
artificielle de la propriété ou cette décharge légale de
l'obligation qui s'appelle la prescription.
CODE
DE PROCÉDURE CIVILE. ― Le Code de procédure civile trace et
jalonne la route qui conduit les parties à l'audience et,
défaillante ou non, les achemine vers le jugement.
Il
leur donne accès aux justices de paix, aux tribunaux inférieurs et,
si le taux du litige le comporte, aux tribunaux d'appel. Il règle la
tenue des audiences, leur publicité et leur police, il distingue
entre les différentes sortes de jugements suivant qu'ils préparent
ou contiennent la décision fiscale ; il assigne à la compétence du
juge ses limites, à l'extension de son examen et de sa sentence des
frontières ; il organise le recours aux mesures d'instruction
préalables (vérifications d'écritures ou enquêtes), et aux
mesures d'exécution subséquentes (notamment les saisies).
Il
consacre deux livres dans sa seconde partie, à certaines procédures
particulières ; parmi celles qui ne dérivent pas du décès, nous
citerons les plus usuelles, celles qui tendent à la séparation de
biens, à la séparation de corps, à l'interdiction ; les plus
spéciales concernent les appositions et levées de scellés, les
opérations d'inventaire, les renonciations de femmes mariées ou
d'héritiers.
Le
dernier livre traite des arbitrages.
Le
Code de Procédure civile a mauvaise réputation dans le monde
profane. L'expression : « se jeter dans le maquis de la procédure »
a fait fortune. Cette formule pittoresque doit son succès à son
auteur : le bâtonnier Labori ; elle eût paru plaisante ou piquante
en lui rappelant les coutumes corses familières à l'architecte du
Code Napoléon. Nous croyons devoir mettre en garde les
simplificateurs à outrance contre le danger des arasements.
Le
Code de procédure est parti d'un principe qui intéresse la liberté.
Nul homme ne doit être jugé par surprise, sans avoir été entendu
ou dûment appelé, sans avoir eu loisir, licence et faculté de se
justifier. La demande formée contre lui doit être déterminée et
délimitée avant les débats. Vous ne pouvez m'attirer devant un
juge pour me réclamer le prix d'un boeuf, et le juge me condamner,
de complicité avec vous, pour menées anarchistes.
De
là les précautions strictes prises par la loi pour que Ia citation
soit régulière, pour que le jour d'audience ne soit pas
arbitrairement ni clandestinement fixé, pour que les écritures qui
précisent la demande et la défense soient respectivement échangées,
pour que les adversaires sachent sur quel terrain ils combattent et
que le juge ne puisse ni l'étendre ni l'excéder, pour que le
défendeur défaillant soit admis à faire tomber un jugement qu'il a
pu ignorer et pour que la condamnation civile soit exécutée quand
celui qu'entame le glaive justicier a pu opposer tous les boucliers
licites à toutes les entailles légitimes. La loi suisse, dans ce
souci de prudence et de préservation est encore plus exigeante et
meilleure que la nôtre. Elle impose au demandeur, à l'appui de sa
citation, la désignation de toutes les pièces dont il entend se
servir.
Les
dérogations au formalisme, quand ce formalisme est rationnel,
dégénèrent facilement en abus. Nous avons vu récemment, dans une
Cour d'appel du Sud-Ouest, un intime faire passer au juge vingt pages
de conclusions qui développaient une argumentation sur laquelle
s'est fondé l'arrêt, et qui était restée confidentielle faute
d'avoir été signifiée, conformément à l'arrêt. Devant les
Tribunaux de Commerce où la procédure est rudimentaire, afin d'être
expéditive, il se produit chaque jour des courts-circuits fâcheux.
Les juges, chargés du délibéré, reçoivent des dossiers
contenant, outre les pièces, des notes qui constituent une
plaidoirie écrite, soustraite à la vue de l'adversaire, et des
jugements sont rendus sur des moyens non discutés, non prévus.
La
Procédure n'est pas si dédaléenne, si tortueuse, si compliquée,
si imbriquée, si byzantine, ni si casuiste qu'aiment à le croire
les défricheurs. Arrachons ses broussailles, disent ils, et nous
aurons devant nous la plaine ; qu'ils prennent garde à la forêt de
Bondy ! Les vagues se heurtent ; le conflit des intérêts ne se
résout pas tout seul dans l'amplitude rythmée des ondes que les
vents capitalistes poussent vers le rivage. Il faut plaider et les
plaideurs sont trop. L'étroitesse des portes les retarde plus que
les degrés de l'escalier. Il y a, au Palais, des rôles encombrés,
comme il y a, dans Paris, des carrefours embouteillés.
LE
CODE PÉNAL. ― énumère les actes qu'il proclame coupables et
punissables ; il les distribue en trois catégories : les
contraventions, les délits et les crimes. Il leur assigne des peines
proportionnées à leur gravité théorique ; il laisse aux juges le
soin de se mouvoir suivant les espèces, mais en observant le tarif
du catalogue, entre un maximum et un minimum applicable à la classe
de l'infraction commise ou du forfait soit tenté soit accompli. Il
va de l'amende à la peine de mort, et les plus généreuses
protestations n'ont pu encore arracher la guillotine à ses dalles
juridiques et judiciaires.
Deux
lois salutaires et humaines ont tempéré la rigueur des textes
primitifs : l'une fort ancienne, qui a permis l'admission des
circonstances atténuantes, l'autre déjà vieille mais qu'ont
souhaitée d'abord, qu'ont vu naître ensuite des juristes à barbe
blanche : la loi sur la suspension des peines dite « loi Béranger
».
La
sévérité des peines qui frappaient l'infanticide a été atténuée
par des dispositions plus récentes encore ; les filles mères
délaissées dont là faute et l'égarement attestaient l'égoïsme
du mâle ont fait fléchir la sollicitude du législateur pour son
protégé d'ordre public : l'enfant.
LE
CODE D'INSTRUCTION CRIMINELLE. ― Le Code d'instruction criminelle
institue la poursuite et la répression. « La procédure criminelle,
dit avec beaucoup de précision et de netteté, le répertoire
juridique de Dalloz, présente trois périodes distinctes : « dans
la première, elle recherche les traces du crime ou du délit et
s'efforce d'en découvrir les auteurs ; dans la seconde, elle
apprécie le caractère légal du fait et, après en avoir rassemblé
les preuves, elle détermine, s'il y a lieu, le tribunal compétent
pour en connaître ; dans la troisième enfin elle amène le prévenu
devant ce tribunal, soumet l'accusation et la défense à des règles
nécessaires, destinées à protéger leurs droits respectifs, et
entoure le jugement des formes les plus propres à en assurer la
maturité et la sagesse. »
Nous
n'avons pas voulu tronquer cette citation orthodoxe ; nous voulons
bien considérer que cet équilibre impartial entre l'accusation et
la défense garantit la maturité et procure la sagesse des jugements
: tel est du moins le voeu de la loi.
La
loi n'est pas moins prudente quand elle tente de garantir les
innocents ou les simples suspects contre les arrestations
arbitraires, les détenus contre l'indifférence ou l'oubli qui les
laisseraient macérer dans les geôles ; le droit essentiel, droit
primordial de l'homme et son droit à la liberté. Mais, ayant
satisfait à cette prudence préliminaire, le Code d'instruction
criminelle ouvre au magistrat instructeur un crédit illimité.
Un
professeur de droit, un savant criminaliste dont la Faculté de Paris
a conservé avec estime le souvenir, aimait à poser, comme
examinateur, une question qui prenait au piège l'étudiant
irrégulier, celui qui n'avait pas suivi les cours du maître : ―Quel
est, en France, le magistrat qui jouit du pouvoir le plus étendu ?
―Le Président de la République, répondait le candidat. ― , le
juge d'instruction. Ce pouvoir absolu a d'abord été mitigé dans la
pratique par la collaboration et la surveillance du Parquet dont le
juge ne saurait dépendre, mais dont il accepte l'autorité. La loi a
tempéré elle-même l'autocratie d'un régime qui est en
communication constante avec le régime cellulaire. Elle a rendu
l'instruction contradictoire. Il faut entendre par là que l'inculpé
ne peut être interrogé ni confronté sans l'assistance de son
avocat, et que le défenseur est appelé à prendre connaissance,
vingt-quatre heures avant ces actes judiciaires, des pièces réunies
par l'information.
Le
juge dicte au greffier la rédaction des témoignages reçus et des
déclarations recueillies : le progrès des appareils qui inscrivent
là parole permet de prévoir que des disques, pièces accessoires de
conviction, enregistreront les paroles mêmes des comparants.
Quoique
modérée, l'autonomie du magistrat instructeur reste encore
autocratique. Par des enquêtes officieuses, il peut tenir en échec
le contrôle de l'instruction contradictoire ; par la détention
préventive, par les commissions rogatoires données en France ou à
l'étranger pour auditions de témoins ou vérifications de mandats,
par les perquisitions, par les saisies et notamment celle de la
correspondance, il peut ruiner le crédit ou la réputation d'un
prévenu, il peut faire d'un justiciable un cadavre effectif, avant
qu'il ne soit un condamné étiqueté ou un condamné à dommage
irréparable. C'est dans la conscience du juge que se trouve le
régulateur de cette puissance inexorable ; il faut à cette
conscience tant de sagacité, tant de perspicacité, une vigilance si
persévérante qu'on aimerait à voir la loi française faire
quelques emprunts à la législation anglaise et s'inspirer des
principes que consacre l'« habeas corpus ». Il n'est pas téméraire
de penser que tout prévenu, dont la détention préventive aurait
dépassé deux mois, devrait être déféré à un jury qui,
connaissance prise des charges relevées et des présomptions
acquises, statuerait, par un avis motivé, sur la mise en liberté
provisoire. L'avis motivé pourrait tenir la malignité publique en
suspens.
Le
Code d'instruction criminelle attribue au juge de paix, tenant
l'audience de simple police, la connaissance des contraventions, sauf
appel quand la condamnation dépasse un taux assez faible d'amende ou
de réparations civiles. Nous n'entrons pas dans le détail de
certaines extensions qui modifient cette compétence, notamment en
matière d'injures ou de diffamations non publiques. Les délits
contraventions et les délits, à charge d'appel dans tous les cas,
sont déférés aux magistrats ordinaires qui forment le Tribunal
correctionnel. Expliquons cette expression : magistrats ordinaires.
Le
magistrat français a l'omniscience. Il s'adapte, sans préparation,
à toutes les causes : le divorce ou l'hypothèque, la contrefaçon
ou le louage d'industrie, la quotité disponible ou le dédit
théâtral. Il ne naît pas civiliste ou criminaliste, il le devient,
que ses aptitudes comportent ou non ce savoir et cet instinct qui
préparent à la déduction ou à l'induction. S'il est nommé juge
d'instruction, il s'en réjouit pour la facilité de sa carrière ;
s'il est envoyé à une Chambre correctionnelle, il subit cette
disgrâce passagère, car le droit criminel est le parent pauvre du
droit civil. Il intéresse la liberté, l'honneur, l'avenir, la vie
des citoyens. Peu importe. Vous serez jugés doctement si votre
cheminée enfume le voisin ; vous serez jugés avec résignation et
par complaisance si vos proches anxieux, vos ennemis vigilants, vos
concurrents hostiles attendent que la justice vous ayant reçu pâle
et blême vous renvoie blanc ou noir.
L'attention
du public se porte surtout vers la Cour d'assises et nous devons
rendre cet hommage au peuple que le jury est chez nous une
institution populaire ; Elle ne s'est pas implantée sans résistance
dans l'arène qui rappelle parfois encore au philosophe les combats
de gladiateurs. Au début, le législateur qui toléra le Jury, et
qui sanctionna son concours, voulut que les jurés fussent appelés à
se prononcer sur la culpabilité ou la non culpabilité de l'accusé.
Ils ne devaient pas se préoccuper des conséquences pénales
qu'entraînait leur verdict. Cette barrière paradoxale et d un
équilibre instable n'est plus qu'une fiction. Il faudra toutefois
une réforme législative pour qu'elle soit anéantie.
Plusieurs
projets et notamment celui qui a pour auteur un ancien ministre, M.
André Hesse, proposent de remettre au jury l'application de la peine
; les magistratscomposant la Cour ne seraient plus que des directeurs
de débats, des juges d'incidents, des prononciateurs d'arrêts. Il
semble qu'on puisse arriver à une conciliation. Un ancien député
de Paris, M. Alfred Martineau l'a tenté, dans un projet de loi
déposé, il y a plus de vingt ans, devant la Chambre des députés.
M. Alfred Naquet, le père de la loi sur le divorce, a dit de ce
projet qu'il était la première pierre d'une grande réforme. Dans
toutes les affaires soumises à la Cour d'assises, la question posée
au jury en cas de réponse affirmative serait ainsi formulée : « À
quel degré l'accusé est-il coupable ? » Le premier degré
comporterait la peine de mort puisque, hélas ! elle existe encore ;
le second degré les travaux forcés à perpétuité ; le troisième
degré les travaux forcés à temps ; le quatrième degré
l'emprisonnement au-dessus de cinq ans ; le cinquième degré
l'emprisonnement au-dessus d'un an ; le sixième degré
l'emprisonnement moindre ; le septième degré l'amende de 1.000
francs à 20.000 francs. Pour les crimes qui n'emportent pas, selon
les dispositions actuelles du Code, la peine capitale ou la peine des
travaux forcés perpétuels, les deux premiers degrés seraient
enlevés de l'échelle soumise au jury ; dans tous les cas, il
pourrait, selon la scélératesse du coupable ou l'indulgence que
mériterait son acte, délimiter la peine que la Cour fixerait,
désigner le casier où le juge pourrait puiser. Cette notion du
degré de culpabilité implique en effet une grande réforme, ―une
réforme morale. Le Code a trouvé suffisante son admission des
circonstances atténuantes et a déterminé les peines en fonction du
délit, grammaticalement défini. Une saine justice veut que la peine
soit déterminée par mensuration sur le coupable. D'où vient cet
homme ? Quelles tares héréditaires ont affecté l'intégrité de sa
conscience ? Quelle éducation, quelle instruction a-t-il reçues ?
Que lui a donné la vie ? A-t-il eu le secours que lui devait la
solidarité, le bonheur que lui devait l'égalité ? Quelle nécessité
l'a courbé vers le mal ? Quel emportement l'y a entraîné ?
Le
juge se prétend lié par la loi. Sans doute, la loi doit, dans
certains cas, sacrifier l'intérêt particulier qui est contingent à
l'intérêt public qui est permanent. Il est scandaleux qu'un père,
s'il n'est pas dans les conditions où le Code permet le désaveu,
élève, subisse le fils d'un amant et donne son nom à cet intrus
qui n'en peut mais. La paix sociale exige néanmoins que les justes
noces créent une présomption légale et que les berceaux ne soient
pas exposés au péril des contestations infâmes. Mais les règles
doivent tendre à s'assouplir pour mesurer les cas différents et les
Codes se réduire de plus en plus au respect de cette maxime : « il
n'y a pas de droit contre l'équité ».
CODE
DE COMMERCE. ― Le Code de Commerce définit la profession de
commerçant, ses obligations pour la tenue des livres de commerce ;
parti d'un texte rudimentaire auquel se sont successivement
incorporées, depuis la loi fondamentale du 24 juillet 1867, les lois
les plus importantes, il règle la constitution des Sociétés ; il
établit le statut des Bourses de Commerce, assigne leur rôle aux
agents de change, aux courtiers, aux commissionnaires, statue sur le
gage, consacre et réglemente la circulation des effets de commerce.
Son
second livre est un véritable Code de commerce maritime : hypothèque
maritime, saisie et vente des navires, obligations du capitaine, sa
responsabilité, engagements des matelots, fret, assurances. Son
troisième livre embrasse l'importante matière des faillites et des
banqueroutes auxquelles se trouve adjointe, depuis la loi du 4 mars
1889, la liquidation judiciaire. Le quatrième livre est relatif à
l'organisation et à la compétence des tribunaux de commerce.
CODE
FORESTIER. ― Le Code forestier n'appartient pas au groupe de Codes
que nous a donné le Gouvernement consulaire d'abord, impérial
ensuite. Publié en 1827, ce Code n'intéresse guère que l'État,
certaines municipalités ou communautés, certains usagers et des
propriétaires de moins en moins nombreux.
Il
distingue entre les forêts qui appartiennent au domaine de l'État,
au domaine de la couronne, aux communes et aux établissements
publics ; il édicte des restrictions au droit de propriété pour
les bois appartenant aux particuliers. Certaines de ses dispositions
sont désuètes. Les Français moyens ignorent qu'ils sont passibles
d'une amende de 10 francs s'ils sont trouvés dans les bois, hors des
routes et chemins ordinaires, porteurs de serpes, de haches et de
cognées.
Sous
peine d'une amende de 20 fr. à 100 fr. il est interdit de porter ou
allumer du feu dans l'intérieur et à une distance de 200 mètres
des bois et forêts. Si cette prescription avait été plus
rigoureusement observée, les sites de Franchard et d'Apremont
n'auraient peut-être pas été dévorés par l'incendie.
***
Aux
Codes anciens se sont adjoint de nouveaux Codes. Les lois sur la
Presse, qui assurent sa liberté et en conditionnent l'exercice, qui
répriment ses abus, qui définissent la publicité et ses moyens,
qui punissent l'outrage, l'injure et la diffamation, ont formé le
Code de la Presse. Les lois sur la réglementation du travail,
sur le travail des enfants dans les manufactures, sur les conseils de
prud'hommes, sur les corps et conseils du travail, sur les accidents
du travail, sur les bureaux de placement, ont formé le Code du
Travail.
Les
lois qui réglementent la circulation urbaine et routière ont formé
le Code de la Route.
Les
lois et arrêtés concernant les Douanes ont été réunis et ont
donné le « Code des Douanes » ; de même, les lois et arrêtés
concernant l'Enregistrement le « Code de l'Enregistrement », mais
ces deux recueils doivent surtout leurs titres à leurs éditeurs.
L'unification
de la justice nous semble la plus désirable des réformes. C'est
avec tristesse que nous réservons ici sa place au Code le plus
spécial de tous : le Code de Justice militaire. Il excède le
droit commun, il excède le droit humain. Il a mérité son châtiment
; qu'il soit exposé au pilori d'abord, qu'il soit ensuite condamné
au bûcher. Ces supplices de l'ancien droit sont bien dus à son
archaïsme.
Édicté
en 1857, il a été modifié par la loi du 18 mai 1875. Il n'en reste
pas moins indigne de la nation qui s'astreint au service militaire ou
qui se lève en armes pour la défense de ses foyers. Il contient,
pour les délits militaires, un Code pénal effrayant. Les
condamnations à deux ans de prison et aux travaux publics sont sa
monnaie courante et surtout le déboursé courant des juges qui
appliquent ses articles. Pour les délits et les crimes de droit
commun, il se réfère au Code pénal ordinaire. Les tribunaux
militaires sont les Conseils de guerre permanents et les Conseils de
guerre aux armées.
Les
Conseils de révision examinent le recours formé et peuvent annuler
le jugement pour vice de forme, incompétence, ou fausse application
de la peine. Ils ne connaissent pas plus que la Cour de Cassation du
fond de l'affaire. Cette étroite et fragile garantie du recours,
peut être suspendue, et le cas s'est produit pendant la guerre, pour
les Conseils de guerre aux armées.
La
guerre est une mauvaise école de droit international et de droit
naturel. Justice militaire ! que de crimes ont été commis en ton
nom. Il n'y a pas à proprement parler un Code maritimeni un
Code de justice maritime. La marine militaire et la marine
marchande ont été organisées par des dispositions nombreuses et
diverses. La police de la navigation a été assurée par le
règlement fondamental du 7 novembre 1866.
La
justice criminelle maritime a été réglementée par la loi du 4
juin 1858 pour la marine militaire et par le décret-loi du 24 mars
1852 pour la marine marchande.
Les
crimes et délits sont jugés soit par des Conseils de guerre
permanents, soit par des Conseils de guerre à bord.
Il
existe des Conseils de guerre permanents dans chaque arrondissement
maritime ; leur ressort qui s'étend à toute l'étendue du
territoire de la République a été récemment déterminé à
nouveau par un décret du 23 janvier 1889. Les Conseils de guerre à
bord sont constitués spécialement pour juger un crime ou un délit
occurrents ; ils se dissolvent aussitôt après.
Les
Conseils de justice constituent une juridiction disciplinaire. Il y a
des Conseils de révision permanents et des Conseils de révision à
bord. En ce qui concerne la marine marchande, les peines
disciplinaires sont prononcées par les commissaires de l'inscription
militaire, les Consuls de France, les commandants des bâtiments de
l'État, ou les capitaines de navires, sous certaines conditions. Les
délits maritimes sont déférés à des tribunaux maritimes
commerciaux, les crimes sont jugés par les Cours d'assises. Parmi
les Codes éphémères et de circonstance, nous citerons seulement le
Code noir promulgué en 1685, l'année où fut révoqué
l'Édit de Nantes. Il
réglementait
le sort des esclaves et des affranchis dans les colonies.
II
Aucun
Code, à aucune époque, n'a été fabriqué de prime saut et de
toutes pièces. Les moeurs créent les lois qui modèlent ensuite les
moeurs mais qui ont bien de la peine à les discipliner. Dans son
cours de politique constitutionnelle, Benjamin Constant fait observer
que les constitutions s'introduisent graduellement et d'une manière
insensible ; Montesquieu a, d'un mot, résumé le rapport des lois et
des moeurs en intitulant son célèbre ouvrage : « l'Esprit des lois
».
Il
y a eu, dans des circonstances exceptionnelles, des constitutions
artificielles et contingentes. Ainsi celle que Locke confectionna ―il
n'y a pas d'autre mot ―pour la Caroline, et qui était une copie de
la constitution anglaise. C'était un article d'exportation. Le
résultat ne se fit pas attendre. L'arbre implanté, le sol se
bouleversa sous son couvert, mais il fallut vingt-trois ans pour
démolir cet essai.
Les
lois peuvent surgir sous la pression des événements, les
constitutions ont besoin de calcul et des Codes de symétrie. Le plus
méritoire des législateurs fut Solon. Sa patrie se mourait. Dracon
l'avait enfermée, au profit de l'aristocratie, dans une de ces cages
de fer que les dompteurs ont inventées, mais que leur ont empruntées
les tyrans. Athènes tourna ses regards vers Solon. SoIon était
archonte ; quelques-uns, dit Plutarque, lui offrirent d'être roi ;
il refusa.
Il
rompit avec la tradition et les enseignements des philosophes. Il
commença par soulager le peuple et la cité de leurs dettes ; il les
diminua par une réduction proportionnelle. Que n'étudions-nous
davantage l'histoire grecque ! Il mâta les nobles, il adoucit le
sort des esclaves et interdit de les frapper ; l'oisiveté, dans les
lois de Dracon, était punie de mort ; il supprima le châtiment
suprême pour les oisifs, mais continua de les tenir pour des
délinquants qui étaient déférés à l'aréopage et condamnés,
Plutarque ne nous dit pas comment. Les pères qui n'avaient pas
appris un métier à leurs enfants ne pouvaient exiger d'eux des
aliments. Les assemblées du peuple furent réglementées. Les
étrangers en furent exclus, l'âge fut fixé où le citoyen avait le
droit de suffrage ; un Conseil de quatre cents membres préparait les
lois soumises à la délibération du peuple, divisé en quatre
tribus. C'est ainsi que Solon, dans la république athénienne,
donnait à la liberté mieux qu'un temple : une citadelle et fondait
la démocratie. Un si brusque changement de régime étonna ceux qui
en devaient éprouver le bienfait et suscita des mécontentements.
Tes lois te paraissent bonnes ? dit un rhéteur au dictateur. Solon
répondit doucement : les meilleures que les Athéniens puissent
recevoir. Et il continua son oeuvre.
Législateur,
il avait à capter l'âme athénienne, mobile, ondoyante et vive,
dansante comme une flamme, toujours prête à consumer son trépied.
Il avait à redouter les factions, et elles s'organisèrent, et elles
s'appelèrent à Athènes la montagne, la plaine et la côte, ―ne
croirait-on pas que la Convention s'est inspirée de l'histoire
ancienne ― et quand il mourut, il put se demander avec mélancolie
si un factieux avide, audacieux, passionné, n'allait pas ruiner et
confisquer à son profit la révolution si sagement consommée.
Xénophon
nous a laissé un livre dans lequel il critique les lois de Solon,
mais Xénophon prêche pour son maître. Xénophon est un disciple
élégant et médiocre de Platon ; et Platon avait composé une
République, République cérébrale et Irréalisable. Elle ressemble
beaucoup à ces corbeilles dont parle le biographe d'Esope, ces
corbeilles que des aigles soutenaient dans les airs et d'où
émergeaient des enfants munis de truelles, prêts à construire un
palais sans assises, pourvu qu'on leur envoyât du mortier.
***
Lycurgue
eut moins de peine pour établir sur le roc Spartiate sa législation
; mais il l'avait longuement préparée. Dix ans, il avait voyagé,
surtout en Égypte, voulant voir comme dit le poète, les moeurs de
beaucoup d'hommes et leurs villes. C'est à la Crête qu'il fit son
plus large emprunt. Le pouvoir appartint aux rois dont le nombre
était augmenté en cas de guerre. C'est d'abord et avant tout en vue
de la guerre que Lacédémone fut organisée. Les femmes recevaient
la même éducation que les hommes et principalement l'éducation
guerrière. Mais le pouvoir des rois était subordonné à l'autorité
du Sénat ; les sénateurs étaient choisis par le peuple et désignés
par ses acclamations. L'intensité des clameurs était notée par des
témoins auditifs, que l'on empêchait d'être oculaires en les
enfermant ; les plus bruyamment accueillis parmi les candidats que
l'on faisait défiler étaient élus. Lycurgue tendit surtout à
l'égalité des biens et, pour la maintenir, il défendit, après
avoir divisé les terres en trente-neuf mille parts, qu'aucun
partageant n'aliénât de son lot, ni qu'il osât le cultiver. Les
îlots étaient chargés de la culture. La seule monnaie permise
était la monnaie de fer, son poids limitait la richesse.
Ces
lois, qui, au dire de Plutarque, faisaient ressembler Lacédémone à
un camp, où tout était commun, même les femmes avec leur
assentiment bénévole, et où les enfants étaient à la patrie sans
qu'elle se souciât de leur filiation régulière, peuvent bien
s'être inspirées de Minos : il y avait une grande affinité entre
les Crétois et les Spartiates, ―à la bonne foi près, ―mais on
comprend que Lycurgue n'ait pas été admis comme Minos et comme
Solon au nombre des sept sages ; imitateur, il ne pouvait prétendre
à ce brevet, et créateur de servitude à ce diplôme.
***
Théodose
II, empereur d'Orient, entreprit d'amalgamer dans la cuve du droit
romain les désirs de l'Orientalisme et les préceptes du
christianisme : le droit romain n'avait connu, n'avait prévu ni les
uns ni les autres. Cent cinquante ans devaient s'écouler entre
l'apparition du Code Théodosien et la prédication de Mahomet ;
Clodion était le chef des Francs, mais cinquante s'écouler jusqu'à
la conversion de Clovis. Il avait fait un rude chemin dans le monde,
l'obscur condamné de Pilate, le supplicié dont le souvenir était
resté si longtemps perdu, et ce Jésus Christ dont Tibère avait
sans doute ignoré le nom et qui devait aux prédications de ses
disciples sa véritable résurrection.
Mais
l'intérêt de l'oeuvre entreprise par Théodose s'efface pour nous
devant l'importance de l'oeuvre accomplie par Justinien :
quatre-vingt-onze ans séparent l'une (438) de l'autre (529). La
résolution, la force, la puissance, le cynisme de Justinien ont
imposé aux siècles futurs, le Digeste et les Institutes.
Les
Francs et les Souverains d'Europe ont exploré ces monuments massifs
; ils y ont cherché les vestiges du droit le plus robuste, le plus
logique, le plus rigoureux dans son souci d'équité pour les
contrats civils, le plus absolu pour la fondation, la permanence et
la continuité de la famille, le plus impérieux pour la soumission
du citoyen à la République : le droit romain. Il fallait bien aller
chercher sa tradition à Byzance.
Justinien-Erostrate,
après avoir fait dépouiller par ses jurisconsultes dont le plus
célèbre est Trébonien, ces auteurs qu'un historien moderne appelle
les grands classiques du droit, avait fait brûler ce qu'il avait
rebuté et ce qu'il avait accaparé, ce qu'il avait réformé et ce
qu'il avait démarqué. Ainsi périrent Gaïus, Papinien, Paul,
Ulpien. C'est dans les édifices, construits en pierre et en brique
par ce féroce compilateur que nos étudiants, aujourd'hui encore,
retrouvent l'architecture du droit romain ; leurs maîtres ont sondé
les murs et les caves de cette adaptation pour reconstituer les
origines lointaines du droit français. Féroce, imposant et fourbe,
casuiste fervent, croyant tourmenté, obsédé par la thèse,
assailli par le scrupule, autocrate et pusillanime, dialecticien,
théologien, despote, cynique comme Néron, et parfois réformateur
comme Antonin, défendant la doctrine contre un essaim d'hérésies,
tremblant pour sa vie que mettaient en péril les séditions, en
lutte contre les Ariens, en guerre contre les Vandales, créant l'art
chrétien, étendant son empire sur les côtes de la Méditerranée,
Justinien ne fut pas un grand législateur, mais un grand pétrisseur
de lois. Il atteste qu'il faut comparer, confronter et condenser
quand on légifère. La loi doit être une statue de bronze. Nos lois
actuelles, nos lois journalières coulent comme de la fonte en
fusion. Comment se sont formés nos Codes ? Pour cette étude
importante, il nous faut remonter le cours des siècles.
III
La
plus grande brisure qui ait divisé jusque dans ses fondations le
monde civilisé s'est produite en 395 à la mort de Théodose, quand
l'Orient et l'Occident ont formé deux empires. Lointaine rivale de
Rome, la Ville éternelle, Constantinople s'apprêtait à dresser ses
minarets sous un soleil nouveau. La civilisation avait changé de
versant. Balayés par l'invasion des barbares, les champs de la
culture latine avaient été envahis par la sauvagerie germanique. La
race mérovingienne disparut sans éclat avec Childéric III que fit
déposer Pépin le Bref.
Lorsque
Charlemagne, vainqueur à Roncevaux, fut proclamé à Rome empereur
d'Occident, il parut qu'une grande puissance territoriale et morale
se reformait. Devant son épée « suspendue aux épaules par un
baudrier de cuir », sous sa main qui tenait le globe d'or, ce chef
des Francs, qu'il se tournât vers l'Ebre ou vers l'Elbe, vers le
sanctuaire détruit de I'Irminsul, élevé jadis à la gloire d'Odin,
ou vers le temple de Jupiter que baigne encore l'Arno, vit s'étendre
des domaines immenses et des multitudes que dominait sa majesté. Il
assura la renaissance intellectuelle ; il appela auprès de lui les
savants, il ouvrait l'École du Palais ; ignorant, il institua le
culte des lettres ; mais il eut de mauvaises finances et ne veilla
pas aux fondations de son trône. Il était sous le dais de l'Église,
il contemplait son empire et ne vit pas qu'il perdait son royaume ;
il émiettait son autorité et ses terres aux mains de ces compagnons
d'armes, de ces leudes qui se multipliaient et qui grandissaient
auprès de lui. Louis le Débonnaire vit ses propres fils Lothaire,
Louis et Pépin se révolter contre lui, Charles le Chauve soutint
une guerre fratricide qui lui laissa la France, qui donna l'Allemagne
à Louis le Germanique, la Lorraine et l'Italie à Lothaire. Et ce
fut, par le traité de Verdun, le démembrement du royaume.
L'ambition et le pouvoir des seigneurs, propriétaires terriens,
grandissait.En 861, Robert le Fort demanda et obtint le duché de
France à titre héréditaire. Cet exemple ne fut pas perdu.
En
877, un événement capital se produisit. Charles le Chauve se laissa
arracher la capitulation de Kiersy sur Oise qui consacrait l'hérédité
des fiefs. Il était à la merci des nobles, ayant eu besoin de leur
appui pour se faire sacrer deux ans plus tôt empereur d'Occident. Le
système féodal s'est créé au cours de la lutte engagée par
Charles le Chauve contre ses frères. Le système féodal a été
consacré par la capitulation de Kiersy. On parle beaucoup de la
féodalité. Il convient de la définir comme état politique et
comme système économique. La féodalité consiste essentiellement
dans l'asservissement de l'homme à la terre, dans la dépendance
dans laquelle l'homme est placé par rapport au domaine sur lequel il
vit. Ce domaine est un fief et ce fief a un maître : le seigneur.
La
formule « le serf est attaché à la glèbe » n'est pas une
locution imagée. Les serfs sont un cheptel de fer attaché comme les
animaux au service du fonds. Les êtres humains qui vivent sur le
fonds sont assujettis à la loi du fonds. Et le fonds ne leur rendra
pas un espoir de liberté plus grande en se morcelant. Grâce à la
capitulation de Kersy, le fief restera intégral ; il est
héréditaire, c'est-à-dire qu'il passe à l'aîné. Le roi de
France, et cette conception s'accuse sous Hugues Capet, est le
premier des seigneurs féodaux, mais il n'a droit de souveraineté
que, comme les autres, sur les terres de son fief. Entre les
seigneurs féodaux, une alliance et une hiérarchie va s'établir,
grâce à leur enchâssement dans l'Ordre de la Chevalerie qui leur
impose ses lois quant au culte de l'honneur, ses lois quant à
l'observation de leur dépendance mutuelle. Car la Chevalerie n'est
pas une institution forcée, c'est un Ordre où l'on postule pour
être admis : on naît noble ; on devient chevalier. Le vassal est le
possesseur de fief qui, désirant s'annexer parce qu'il ne trouve pas
ses forces suffisantes ―telle est la raison la plus fréquente ―se
met sous la dépendance d'un plus puissant seigneur et le reconnaît
comme Suzerain. Il lui doit la foi et l'hommage ; il lui doit le
service de guerre dit service de l'ost. Le collier magnifique est
bien formé : il est relié par une chaîne d'or : le roi est la
pierre la plus brillante de ce collier, il n'est ni la plus grande,
ni la plus riche. Ce système terrien presque indestructible allait
cependant être déconsolidé. Il fut ébranlé par le plus
incroyable, le plus fabuleux des événements : les Croisades. En
1095, Urbain II prêche la première Croisade aux Conciles de
Plaisance et de Clermont.
Sans
doute la chrétienté souffrait de voir le tombeau du Christ aux
mains des infidèles, sans doute les hommes du moyen-âge étaient
capables de partir comme les bergers de la Palestine pour suivre une
étoile miraculeuse jusqu'à l'étable de Bethléem, mais la Papauté
n'aurait pas encouragé Pierre l'Ermite à élever la voix et à
déchaîner les foules, si elle n'avait eu ses desseins secrets.
Urbain II voulait établir à la face des souverains temporels sa
puissance et leur prouver que son geste spirituel pouvait soulever la
masse de leurs sujets. Et nous ne connaissons rien de plus
passionnant, rien de plus émouvant, ni rien de plus instructif que
la lutte de la Papauté contre l'Empereur, du souverain chimérique
contre le souverain temporel, du prêtre contre l'expansion du
peuple, rien de tragique comme ce conflit qui prend notre race à son
berceau et qui dure encore au nom d'un Messie dont les yeux seraient
épouvantés s'il pouvait voir ce que ses prétendus serviteurs ont
osé faire en abusant de sa doctrine, de sa croix et de son nom. «
Ces deux moitiés de Dieu le pape et l'empereur », a écrit Victor
Hugo.
Les
papes disaient : Il Y a deux astres : le pape est le soleil,
l'empereur est la lune. La lune reçoit sa lumière du soleil.
Lorsque les Barbares eurent dévasté l'Europe, l'Église fut
inquiète ; elle pouvait se trouver dans la sujétion de
Constantinople ; elle cherchait un pouvoir temporel qui offrit, pour
le moins, un port à la barque de Saint Pierre. Elle
s'accommoda
des faibles Mérovingiens ; elle prit avec faveur Charlemagne sous sa
tutelle dissimulée. Le fractionnement de l'empire carolingien et
surtout la formation de la féodalité la mirent en grave péril.
Elle ne mordait plus sur ces possesseurs de fiefs qui ressemblaient à
un champ de lances aux pointes hérissées. Il lui fallait un maître
qui la protégeât d'abord et qu'elle dominât ensuite. Elle jeta son
dévolu sur Otton 1er, le jour où, ayant restauré la couronne des
rois lombards, il la prit, puis la changea pour la couronne
impériale. L'Église encouragea les destinées du Saint-Empire
germanique. Elle menaçait d'être sa vassale, le pape Grégoire VII
surgit ! Cette locution « aller à Canossa » est à la mode chez
les érudits que sont nos parlementaires ; on la répète depuis
surtout que M. de Monzie l'a donnée pour titre à une de ses
brochures. On comprendra mieux le retournement que consacre cette
humiliation célèbre, si l'on veut bien résumer en quelques lignes
deux siècles d'histoire.
Au
lendemain de « l'an mil », le pape, pour emprunter à M. Driault
une expression heureuse, semble être devenu le chapelain de
l'empereur. En 1059, le concile de Latran confie l'élection des
papes aux prêtres de Rome et aux cardinaux, en dehors de l'ingérence
étrangère ; la querelle des investitures commencera quinze ans plus
tard pour la collation des grades aux ecclésiastiques. Henri IV,
empereur d'Allemagne, dépose le pape, Grégoire VII ; le pape
Grégoire VII dépose l'empereur. Le souverain humilié se rend en
Toscane, à Canossa ; il se prosterne en costume de pénitent devant
le Pontife et, après trois jours de supplications, se voit rendre
dédaigneusement son sceptre. Le pape avait vaincu ; Grégoire VII
pouvait mourir. L'empereur tenait sa couronne de Notre Saint Père le
Pape ; Frédéric Barberousse essuya l'affront de cette déclaration
insolente le jour où un légat bien stylé vint le saluer à
Besançon, porteur des lettres papales où l'empire était déclaré
un « bénéfice » accordé par le Saint-Siège.
Urbain
II, avant même l'avènement de Frédéric Barberousse, mais après
le triomphe de Canossa, lançait sur les routes inconnues de la Syrie
les féodaux et leurs milices, au lendemain du jour où l'Église
venait d'excommunier le roi de France, Philippe 1er.
Les
seigneurs qui prirent la croix, qui se « croisèrent » à l'appel
de Pierre l'Ermite, ou à la voix de Saint Bernard, cinquante ans
plus tard, connurent des fortunes diverses : quelques-uns
s'enrichirent d'un butin opulent, mais combien périrent et combien
se ruinèrent ! Les fiefs en souffrirent ; il fallut pourvoir à la
succession des seigneurs qui n'avaient pas d'héritiers directs ; la
bienveillance du roi fut nécessaire pour trancher bien des cas
épineux ; la souveraineté royale se trouva renforcée.
Les
huit Croisades, ―accès de cette folie ont duré en tout cent
soixante quinze ans et ont déterminé huit expéditions,
―constituent la série d'événements qui a le plus contribué à
désagréger la féodalité. Mais, parallèlement une révolution se
produisait. L'orgueilleux isolement du fief n'avait pu empêcher la
ville de naître. Cette ville, bâtie sur la terre du fief,
n'échappait pas à la loi du fief, mais elle avait une population ;
ses artisans, par leur travail, arrivaient à l'aisance. Le jour vint
où entre les habitants d'une ville l'idée de solidarité naquit. La
ville comprit qu'elle pouvait former une commune. La commune était
essentiellement une fédération municipale constituée par une
association mutuelle sous la foi du serment. L'acte fondamental de la
commune était le pacte d'assistance réciproque, assistance jurée.
La cohésion une fois obtenue, la commune dressait ses cahiers de
revendication contre les tailles injustes et les exactions. Elle
pouvait alors négocier avec son seigneur suzerain. Elle lui offrait
d'acheter l'indépendance au prix de redevances fixées ou de
services déterminés.
Les
communes qui se heurtèrent à un refus conquirent leur liberté les
armes à la main. Les communes, aussitôt qu'elles étaient
soustraites à la suzeraineté seigneuriale, se plaçaient sous la
protection du roi. La royauté vit le parti qu'elle pouvait tirer de
cette émancipation pour l'extension de l'autorité royale.
Rapidement, à cet avantage, le roi ajouta un profit : les sommes
annuelles que les communes s'engagèrent à lui payer pour prix de sa
protection.
Ce
grand mouvement de l'affranchissement des Communes semble être parti
des Flandres et il est certain qu'il parvint sous Louis le Gros à
son apogée magnifique. Louis le Gros le favorisa. Mais nous notons,
dès 1073, trente-cinq ans avant son avènement, l'établissement
d'une commune au Mans ; celles de Laon et d'Amiens se sont créées
en 1111.
Nous
avons vu combien Rome était hostile à la féodalité. Les prêtres
entrèrent avec ardeur dans la croisade civique pour
l'affranchissement des communes. Sous le régime féodal, il n'y
avait que des nobles ou des gens d'Église ; se sont les communes
affranchies qui ont donné la bourgeoisie et formé le Tiers État.
La
Féodalité avait divisé le pays en duchés, comtés, vicomtés,
marquisats. Le front bourré de ruse sous son chapeau retroussé, le
sourire enduit de fiel et de miel, dangereux compère, politique
cauteleux et sans foi, Louis XI a comprimé la féodalité et
l'Église dans sa main sournoise, pétrissante : il a fait l'oeuvre
d'un grand roi. Il avait senti que, pour tenir tête au pouvoir
ecclésiastique, un souverain temporel devait s'attribuer le plus
grand nombre possible de nominations ecclésiastiques, et il le fit.
Pour réduire la féodalité, il trancha dans les prérogatives
féodales et il les raccourcit, notamment le droit de justice. Il
confia des emplois enviés à des gens sans naissance. Il servait sa
rancune, à vrai dire.
Dans
le début du règne, les Seigneurs avaient formé contre lui la «
Ligue du Bien public » qui fut l'Union sacrée des féodaux. Les
intérêts de caste ou de parti prennent volontiers les couleurs et
la devise du Bien public. Mais le joueur madré qui avait échappé à
la souricière de Péronne, regardait plus loin que sa vengeance : on
ne peut lui contester des vues profondes sur le présent, et des vues
larges vers l'avenir. La carcasse du dévot tremblait ; le despote la
menait loin. Il y avait, au surplus, bien de la grimace dans la
superstition de ce pêcheur impénitent, dans sa façon de toucher,
sous son vêtement, des médailles, d'apaiser les saints par de
riches offrandes, d'implorer et de quereller la vierge pour obtenir
la faveur ou le pardon du ciel.
Opiniâtre,
malgré ses prétendus remords, il se défiait même des compagnons
qu'il s'était donnés, mais il surveillait ses ennemis. Lorsque
Charles le Téméraire alla briser son étincelante armure contre les
suisses de Morat, le roi de France, en chaussures de feutre, dans son
château de Plessis-les-Tours, médita de déposséder les princes
qui ne songeaient qu'à se partager le territoire. Quand la mort se
présenta, effrayé par ses approches, le geôlier du cardinal la
Balue ― cardinal conspirateur « auquel il ne manqua, en fait de
vices, que l'hypocrisie », ―fit venir d'Italie Saint-François de
Paule pour lui demander le miracle de vivre. Le sceptre échappa de
la main qui voulait le tenir encore, mais à ce sceptre Louis XI
avait conquis la royauté.
Mais,
malgré le système féodal, autour des villes, s'organisa lentement
la province. Gratien avait divisé la Gaule en 17 provinces d'après
ses populations différentes ; la féodalité avait voulu effacer ces
démarcations ; elles reparurent, profondément incrustées dans le
sol. La configuration géographique des contrées, la particularité
des moeurs, de la langue et des patois, l'affinité intérieure des
coutumes et des habitudes, la spécialité de la culture ou du
commerce font la province. Louis XIV savait bien ce qu'il faisait
lorsque, voulant effacer des frontières intérieures, mais n'osant
toucher aux provinces, il les remaniait cependant et les distribuait
en quatre-vingt gouvernements.
Le
morcellement de la France semblait devoir être éternel. Il a fallu
la guerre de Cent ans, l'occupation étrangère, Paris au pouvoir des
Anglais, la communauté du péril et de l'angoisse, pour révéler
aux Français leur confraternité de race.
Historiquement,
le sacre de Charles VII à Reims a été le baptême de la patrie. Le
moyen-âge finit, la féodalité succombe, les temps nouveaux sont
commencés ; rien ne s'oppose à l'organisation de la royauté, et la
royauté assume le devoir d'organiser la France : telle est la
mission à laquelle elle a failli.
L'avènement
d'un huguenot, apostat par intérêt : Henri IV et l'inertie ennuyée
de Louis XIII rendront quelque espoir aux féodaux impénitents, mais
Richelieu a compris le danger. Il abat les châteaux forts ; il veut
empêcher les seigneurs de restaurer cette puissance qu'on nomme
réellepar opposition à personnelle, qui est assise
sur la terre, sur le fief. Le supplice de Saint Mars justifie la
parole du cardinal « grand français » : je fauche tout et je
couvre tout de mon manteau rouge. Louis XIV va pouvoir aménager
Marly et créer ce fastueux jardin d'acclimatation : Versailles.
C'est là que la noblesse apprivoisée sera réunie pour étaler le
luxe chatoyant de ses plumes et pour prendre, sous l'oeil du maître,
ses dociles ébats.
IV
L'antiquité
qui a étendu ses rayons sur la Renaissance intellectuelle de la
France nous a fourni la préface du droit. Les origines de la France
nous permettront d'étudier l'origine de notre droit. Divisons notre
analyse en trois paragraphes :
Les
Parlements ;
Les
ordonnances royales ;
Les
États généraux.
I.
Les Parlements. ―Les seigneurs féodaux étaient tenus de
rendre la justice à leurs vassaux et à leurs serfs. L'Assemblée de
prélats et de barons qui composait cette Cour à la fois civile et
criminelle est l'origine du Parlement. Le roi, en tant que seigneur
féodal, avait son parlement auquel il attribua une prépondérance ;
il lui attribua la connaissance de certains cas dits royaux. Le
nombre des causes augmentant, les juges féodaux s'adjoignirent des
clercs pour l'instruction et la préparation des affaires. Quand
survint l'affranchissement des communes, il fallut examiner les
litiges de la bourgeoisie et régler les questions qui intéressaient
les communes.
C'était
beaucoup de travail. Les juges s'en remirent aux clercs et se
désintéressèrent des audiences ; ainsi les clercs se substituèrent
aux juges. La royauté en profita pour transformer les clercs en
juges qu'il nomma. En 1319, Philippe le Bel composant son parlement,
exclut les prélats. Ils sont trop occupés, dit-il avec malice, pour
que je les détourne de leur charge ; il admit un baron ou deux, pure
condescendance à la tradition. Le Parlement de Paris ―nous le
prenons à l'époque où sa constitution est parfaite ― une
juridiction immense, elle s'étendait de l'Ile de France jusqu'à la
Picardie, jusqu'au Lyonnais, jusqu'au Rochelois. Elle couvrait toutes
les provinces du Centre. Le Parlement connaissait, comme juridiction
exceptionnelle de toutes les affaires qui intéressaient le roi ou la
couronne, l'Université de Paris et les établissements hospitaliers.
Le Parlement avait un pouvoir judiciaire, un pouvoir politique et un
pouvoir administratif. Sa Grand' Chambre, sa Chambre criminelle (la
Tournelle), sa Chambre des enquêtes, sa Chambre des requêtes,
embrassaient et se partageaient les causes civiles et les causes
criminelles.
Le
pouvoir politique du Parlement s'exerçait sous trois formes :
1°
Il avait le droit de remontrance, lorsque les actes
législatifs du roi lui paraissaient donner matière à ses
observations ;
2°
Les ordonnances du roi n'étaient légalement exécutoires qu'une
fois enregistrées par le Parlement ; le Parlement pouvait
refuser l'enregistrement ; il fallait des lettres de jussion ou un
lit de justice pour l'y contraindre ;
3°
Le Parlement rendait des arrêts d'édit, ou comme nous
dirions aujourd'hui des arrêts de principe. Réuni en Assemblée
générale, il déclarait sa volonté de juger toujours en un sens
déterminé ; sa loi équivalait ainsi à une loi.
La
royauté devait porter a ce pouvoir de résistance et de contrôle
deux coups funestes :
En
1566, la fameuse ordonnancé de Moulins prescrivit que le Parlement
enregistrerait d'abord les ordonnances, quitte à exercer ensuite son
droit de remontrance.
Au
début de son règne, Louis XIV, jouant le rôle que lui avait
soufflé Mazarin, se rendit dans la Grand'Chambre. Il venait de
chasser à Vincennes. Des éperons aux bottes, le fouet en mains, il
déclara aux Conseillers sa volonté : à l'avenir ils
s'interdiraient de délibérer sur les affaires de l'État.
Mais
le Parlement, quoique soumis, avait conservé sa vitalité. En 1771,
Louis XV l'exila. Sous Louis XVI, ce furent ses protestations
énergiques et son opposition au roi qui déterminèrent la
convocation des États généraux.
Ajoutons
que les Parlements de province avaient tous des pouvoirs identiques,
égaux aux pouvoirs du Parlement de Paris, sauf la restriction des
cas spéciaux. Mais en fait leur juridiction régionale n'avait rien
de politique. Parfois, on leur demandait des services. C'est ainsi
que les « provinciales » de Pascal durent être brûlées sur une
condamnation prononcée par le Parlement d'Aix, mais quand le feu fut
allumé, les fins magistrats provençaux firent livrer aux flammes, à
défaut du précieux libellé, un vieil almanach des Jésuites.
II.
Les ordonnances. ―Les ordonnances des rois émanent de leur
pouvoir souverain. Elles contiennent des dispositions générales et
d'administration ou des dispositions spéciales et de police. Elles
ressemblent beaucoup à nos décrets modernes et très peu aux
ordonnances royales qui, après la Révolution, ont été rendues
pour assurer l'exécution des lois. Elles faisaient loi. Elles sont
le fruit de la volonté du prince. On se tromperait si on les
considérait comme la fleur de son bon plaisir. Pour s'exercer, le
bon plaisir avait mieux que les ordonnances. On comprend que les rois
aient eu le désir de codifier leurs ordonnances, en les
réunissant dans un recueil. Dagobert rassembla celles de Charlemagne
en un volume qui s'appelle les Capitulaires. Charles VII eut
une vue plus haute. Il entreprit de réunir les Coutumes de France.
Henri III eut la même idée, mais il échoua. On le comprend. Quel
intérêt pouvait avoir ce Digeste informe aux yeux de gens qui se
pliaient à une coutume ou, par suite d'un changement dans leur état,
se soumettaient à plusieurs sans espérance de les voir se concilier
ou s'unifier ? C'est ici le lieu de préciser quel était le droit
applicable en France.
À
Rome, on distinguait entre le droit écrit et le droit non écrit. En
France, le droit écrit était le droit romain. Il y avait les pays
de droit écrit, et il y avait les pays de droit coutumier. Les
coutumes différaient suivant les provinces ou les villes. Il y avait
la coutume de Bordeaux, de Paris, de Picardie, de Normandie... On
pouvait se marier d'après l'une, hériter d'après l'autre. Nous
verrons que le triage et la fusion de ces éléments ont formé la
législation à laquelle les Codes ont donné un corps.
Parmi
les ordonnances les plus utiles et les plus sages, il faut citer
celles de Philippe Auguste, de Saint Louis et de Philippe le Bel.
III.
États généraux. ―Les États généraux peuvent être
définis : une Assemblée moitié plébiscitaire, moitié
consultative, ―mais plébiscitaire sans le peuple et nationale avec
trois éléments de la nation, les deux premiers formant la majorité
contre le troisième. Ces trois éléments étaient : le clergé, la
noblesse et le Tiers état, on le sait du reste : le clergé et la
noblesse écoutaient debout la communication du roi, le Tiers État à
genoux.
La
première réunion des États généraux, ―la première tout au
moins dont nous ayons la trace, ―eut lieu en avril 1302 à Paris.
Philippe le Bel consultait les États sur ses démêlés avec
Boniface VIII. Le bon sens « gallican » ―on peut employer le mot
―de ces français bien inspirés leur fit approuver la résistance
du souverain temporel.
En
1308, ils délibèrent à Tours sur l'arrestation des Templiers, en
1317, à Paris, sur la loi salique. Mais, voici la guerre avec les
Anglais ; ils sont appelés à voter les subsides ; ils en profitent
pour réclamer en échange la suppression des gabelles, et la
promesse de ne plus altérer les monnaies. Ils repoussent comme trop
dur le traité conclu par le roi Jean avec les Anglais, et votent la
levée d'une armée. En 1439, à Orléans, ils décident
l'établissement d'impôts perpétuels pour une armée permanente.
Ils reviennent aux délibérations politiques après la bataille de
Castillon qui avait mis fin à la domination anglaise.
Sous
Louis XI, ils décident que la Normandie ne peut être accordée à
Charles, frère du roi. Ils décernent à Louis XII le titre de Père
du peuple et se prononcent pour le mariage de sa fille avec François
1erde préférence à Charles Quint. En 1576, la prépondérance du
clergé et de la noblesse leur fait réclamer la révocation de
l'édit donné par Henri III aux protestants, et en 1588, fidèles à
la même hostilité, mécontents de leur souverain, ils menacent de
transférer la couronne dans la maison de Lorraine. Henri III coupe
court à ces velléités en faisant assassiner le duc de Guise.
Enfin, en 1614, les États, sont appelés à se prononcer sur la
réunion à la France du Béarn et de la Navarre. C'est leur dernière
assemblée, ils ne seront plus convoqués avant 1789.
V
Les
esprits fermentaient, les encyclopédistes travaillaient,
l'incrédulité coulait à pleins bords ; la gloire de Voltaire avait
changé la couleur du soleil ; les œuvres de Rousseau si fausses,
mais si séduisantes, qui semblent salubres et qui sont herbeuses,
avec de grands horizons en trompe-l'oeil, avaient démoli les
charmilles, bouleversé les jardins et les pelouses de le Nôtre, ―
je parle au figuré, ― inspiré aux femmes le désir d'un retour à
la nature et convaincu les hommes que lorsque les idées ont leurs
apôtres, l'heure où les revendications grondent n'est pas éloignée.
La fièvre de la richesse, l'insuccès de Necker, le mauvais état
des finances, l'impopularité des ministres, la haine des jésuites à
peine calmée par l'inutile édit qui les avait supprimés, avaient
en cinquante ans ajouté des rancunes aux colères. Comment Louis
XVI, après l'Assemblée des notables à Paris, se décida-t-il à
convoquer les États généraux dont la France semblait déshabituée
? Obéissance aux injonctions du Parlement, désir de consultation et
de conciliation ? L'une et l'autre hypothèse semblent insuffisantes.
Peut-être espérait-il comprimer son époque frémissante par le
poids dont la noblesse et le clergé pourraient peser sur le Tiers
état.
Un
vote déçut cet espoir s'il le caressa. L'Assemblée décida que la
vérification des pouvoirs, comme nous dirions aujourd'hui,
s'opérerait par tête et non par ordre : la Révolution était
faite. La Révolution a brisé la trilogie artificielle qui
représentait le pouvoir populaire, elle a fait surgir le peuple,
elle a retrouvé le peuple, elle a dégagé le peuple. Elle a rasé,
elle a défriché le champ social. Du peuple conscient il fallait
faire un peuple organisé. Elle avait deux devoirs immenses à
remplir :
Créer
une constitution ;
Créer
une législation.
C'est
alors que jaillit une des plus belles pages qui soit sortie de la
main d'un homme : la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen. Elle a été rédigée par Robespierre qui s'était
inspiré de Condorcet, mais l'éclair efface la lueur et le bond du
héros dépasse la marche didactique du philosophe.
On
voit, si on l'analyse, que la Déclaration est fondée sur la
propriété. L'homme est propriétaire de sa personne, et il lui est
interdit de l'aliéner ; l'égalité est une condition de cette
propriété, la seule qui empêche les empiètements injustes.
L'homme
est propriétaire du fruit de son travail et de son industrie,
propriétaire de ses biens et de ses revenus. La déclaration de
1795, qui ajoute les devoirs aux droits, ne fait que donner une
précision plus incisive à la pensée de la Déclaration maîtresse,
celle qui est la charte de la liberté.
La
proclamation précède la grande oeuvre législative dont elle résume
l'esprit. On écrit communément que le Code civil a été l'oeuvre
du Tribunat : c'est fausser la vérité en la simplifiant. Le 15
prairial an 2 (30 mai 1794), la Convention traçait le programme
suivant :
«
Les divers Comités de la Convention devront se concerter avec les
commissaires pour les changements nécessaires, pour baser les lois
sur les principes de liberté et d'égalité, les compléter et les
rendre concordants. Chaque Code devra être présenté à la
Convention aussitôt qu'il sera achevé. » Les Révolutions
évoluent. La Convention attendait les Codes : ils furent l'oeuvre
auquel Napoléon attacha son nom. On pourrait croire qu'il les
approuva de conscience et les timbra de son sceau sans les lire. Il
prit au contraire comme consul et même comme empereur, une part
active à leur conception. De tous les conquérants, il fut le plus
soucieux du détail ; la quatrième coalition était formée par la
Prusse contre la France ; le vainqueur d'Iéna était aux armées, il
fit remettre sur le chantier le chapitre des faillites : le Tribunal
s'occupait alors du Code de Commerce.
Voici
quelle était la procédure adoptée pour l'élaboration des Codes.
La section législative du Conseil d'État rédigeait un projet
qu'elle soumettait à l'assemblée générale du Conseil d'État. Ce
projet, remis au Corps législatif, était obligatoirement transmis
au Tribunal ou Assemblée des tribuns, et soumis ensuite, avec ses
modifications, au vote du Corps législatif. Après ces
tergiversations qui aboutirent à un retrait, les premiers livres du
Code civil furent enfin présentés au Corps législatif.
«
Législateurs, s'écriait Portalis, dans l'exposé des motifs, le
voeu de la nation, celui des assemblées délibérantes est rempli.
Des lois différentes n'engendrent que le trouble et la confusion...
Désormais, nous ne serons plus Provençaux, Bretons, mais Français
».
Paroles
trop faibles encore pour le grand événement qui s'accomplissait.
Nous avons noté à Reims le premier bégaiement de la patrie. La
patrie, devenue populaire, s'affirmait majeure et trouvait la
conscience de son unité aux pieds de cette statue d'airain qui avait
dominé les peuples antiques et que la France n'avait jamais érigée
: la loi.
L'oeuvre
napoléonienne allait presque aussitôt recevoir un complément et
subir une retouche que la Restauration ne fit pas attendre à
l'usurpateur même avant les Cent Jours. Louis XVIII, le 4 juin 1814,
daignait octroyer à ses sujets la Charte constitutionnelle. Charles
X et Louis Philippe qui s'attaquèrent surtout à la presse,
retranchèrent à l'oeuvre législative des attributs et lui
infligèrent des ornements qui ramenèrent tant bien que mal sa masse
prodigieuse au style de leurs règnes. Les idées de la garde
nationale se trouvèrent mélangés avec les principes de la
Révolution.
VI
Quelle
est l'économie de notre législation ?
La
montagne se modifie chaque jour par les avalanches qui détachent de
ses flancs ou de son sommet des rochers, par les couches nouvelles
qui surchargent ses assises et qui amplifient ses contours. Mais
considérons constituée au début du second empire.
Notre
système législatif qui répond à notre système social, est un
système en pyramide. Le peuple, supporte l'édifice. Sur des pavois
successifs, s'étagent les hommes que leur force, leur ruse, la
courte échelle de la faveur, l'appel du pouvoir et parfois leur
mérite ont élevés aux situations supérieures. Le souverain au
sommet à les épaules libres et laisse sa surveillance descendre
jusqu'à la base. Il n'a qu'une crainte ; qu'un désordre ou un
tremblement dans ces couches humaines successives l'entraîne sa
chute.
La
loi protège d'abord le souverain ; elle édicte des peines sévères
contre quiconque oserait attenter à la vie du prince ou de ses
proches, elle réprime l'outrage de lèse-majesté et pour décourager
les indisciplinés elle protège la construction sociale elle-même,
elle a inventé ce délit admirable : l'outrage à la morale
publique. Comment définir la morale publique quand il est si
difficile de définir la pudeur publique dont les femmes chaque jour
changent les bornes et rétrécissent les frontières ?
Le
maître a le pas sur le serviteur. Il est cru sur son affirmation si
un différend s'élève quant au salaire qui est dû. La femme est
dans la main du mari. Les enfants et leurs biens sont à la merci du
père. Le Code de Napoléon aurait eu mauvaise grâce à ne pas
admettre le divorce dont la vie impériale lui fournissait un
éclatant exemple, mais le divorce a été aboli par le retour des
rois légitimes, descendant des rois très chrétiens. Enfin et
surtout, la loi protège la fortune immobilière qui est la «
propriété » la plus essentielle, les meubles et valeurs mobilières
passant alors pour l'accessoire. Tel est le mont Ararat sur lequel
l'arche est restée longtemps encastrée.
VII
Nous
ne pouvons suivre le lent travail qui a tenté et qui tente tous les
jours d'accommoder le mont aux nécessités de la vie moderne. Sa
pointe est tombée ; plus de prince, comme dit le Code, plus
de lèse-majesté. Plus d'outrage à la morale publique, plus de
présomption légale pour l'affirmation du maître. Un pâle rayon
d'indulgence est descendu sur ceux qui sont tombés au pied de la
montagne, qui sont hors de ses échelons réguliers : les faillis de
la vie, et les faillis du commerce. On a même supprimé la mort
civile. L'excommunié jadis ne pouvait entrer en contact avec un
chrétien et nulle main chrétienne n'était autorisée à lui tendre
les aliments. Le mort civilement était pareillement retranché de la
Société, ― « perinde ac cadaver ». Son mariage était dissous ;
les actes de la vie civile lui étaient interdits, il ne pouvait même
léguer ses hardes à son enfant. Toute indignation rétrospective
serait déplacée, mais l'esprit des lois est si persistant qu'on
retrouve toujours dans le Code même épuré le parfum flottant du
Code oblitéré.
Nous
voudrions indiquer les grandes réformes, celles que nous considérons
comme essentielles, qui ont vraiment entamé, au profit de la vie
moderne, le bloc granitique.
***
La
loi sur les expropriations. ―Ce fut une révolution et une
renaissance. Ceux qui ont vécu au sein des campagnes, qui ont étudié
l'histoire d'une province savent ce qu'était la vie rurale et ce
qu'était la condition des paysans il y a cent ans. Le quart des
terres était inculte, envahi par les joncs ou détrempé. Il était
impossible d'établir un système rationnel ou suffisamment contenu
pour l'irrigation ou pour l'épanchement des eaux. Il aurait fallu
toucher à la propriété du voisin. L'automne venu, les chemins
étaient presque impraticables, coupés par des ravins étroits,
rongés par leurs fossés. Il n'était pas rare qu'un voyageur
téméraire appelé dans un village, vît sa voiture s'embourber, et
qu'il fallût quérir des bœufs dans quelque étable lointaine pour
le tirer du mauvais pas. Le métayer mangeait du pain de seigle et
tuait un cochon dont la chair, salée dans un pot de grès,
fournissait aux festins espacés de la famille. On appelle, dans
certains pays, les beaux habits, les habits de fête, des habits à
manger de la viande, tant ce luxe était rare.
On
a osé toucher à la propriété, pour satisfaire à l'intérêt
public, moyennant une juste et préalable indemnité. Des travaux
d'intérêt public ont pu être entrepris, des routes créées, des
établissements publics édifiés : l'expropriation est devenue
d'usage si courant, quoique son emploi soit prudent, qu'on ne songe
plus à ce que pouvait être la face des régions ou la forme des
villes avant son invention.
Les
lois du travail. ―Les lois sur la réglementation du travail,
sur la limitation de sa durée, sur le repos hebdomadaire, sont une
dérogation évidente mais bienfaisante et légitimeà la
liberté des contrats, dans l'intérêt de la liberté.
La
Déclaration des Droits de l'Homme a proclamé non seulement la
liberté, mais aussi la sûreté, c'est-à-dire l'aide sociale à
laquelle le citoyen doit prétendre pour la sauvegarde de ses droits
reconnus.
Nos
ancêtres qui ont planté des arbres de la liberté ont entouré
l'arbrisseau d'épines pour le protéger ; leurs descendants doivent
entourer l'arbre d'une grille solide pour le défendre contre ceux
qui voudraient l'ébrancher, le meurtrir ou l'abattre.
Or,
voici le phénomène qui s'est produit :
Les
législateurs anciens ne connaissaient que les formes anciennes de
l'absolutisme et de la tyrannie. Ils ont garanti l'homme contre les
abus et les excès qu'ils ont pu prévoir ; ils ne connaissaient pas
les valeurs financières et ne considéraient pas les quelques
feuilles volantes éparpillées ou collectionnées par le commerce
comme pouvant un jour se transformer, s'amonceler, constituer des
fortunes dont la forme dépasserait celle de la fortune immobilière.
Pour le dire d'un mot, ils n'ont pas prévu ce que nous appelons le
Capital.
Le
Capital, entre les mains de la Finance, du commerce et de l'industrie
a pris la même consistance que la terre entourant le château-fort,
quand elle était la propriété des seigneurs féodaux. L'usine est
un fief, la mine est un fief, la grande maison commerciale est un
fief. Ces fiefs asservissent ceux qui vivent et travaillent sur le
fief. Ceux qui comparent le régime capitaliste à la féodalité ne
savent pas toujours combien ils ont raison, à cette différence près
que le seigneur féodal avait une tête et un visage, que le
capitaliste peut n'en pas avoir. La société anonyme, la société
par actions, la société en commandite même sont des entités, des
personnes surhumaines et masquées ; la cote de mailles qui revêt
ces puissants suzerains est formée de mailles nombreuses et la
visière baissée, ils reluisent de tous les reflets extérieurs du
coffre-fort.
La
liberté des contrats n'existe que là où le consentement est libre
; le voyageur qui part pour une affaire urgente et qui prend son
billet de chemin de fer ne conclut pas avec la compagnie un libre
contrat de transport. Peut-il discuter le prix ?
L'ouvrier
qui loue ses services au maître d'une fabrique, d'un chantier, etc.,
ne conclut pas un libre contrat de louage, alors surtout que, par une
entente commune, les patrons ont unifié les conditions générales
des contrats alors que, pour employer une formule familière mais
énergique, c'est à prendre ou à laisser, alors que l'être humain
qui a des bras mais qui a une bouche et d'autres bouches à nourrir
outre la sienne, doit se soumettre, marcher ou mourir.
***
La
loi sur les accidents du travail a jeté bas une des poutres les plus
robustes de la charpente judiciaire. Il était de doctrine et de
jurisprudence que les dommages-intérêts prenaient leur source dans
une faute commise. Le Code civil contient, même, à cet égard, deux
dispositions caractéristiques du principe. Lorsque des marchandises
arrivent avariées, une présomption de faute pèse sur le
transporteur. La chose inanimée est inconsciente et ne peut fournir
un témoignage. La personne accidentée peut et doit au contraire
prouver la faute du transporteur. Lorsque, emporté dans un express,
vous êtes la victime d'une catastrophe, pourrez ou la défectuosité
de la voie ? La Cour de cassation, par des arrêts qui sont récents,
a imposé au transporteur, dans tous les cas, une présomption de
responsabilité. L'ouvrier blessé devra-t-il aux termes de la loi
prouver la faute du patron ou de ses préposés ? Non ; le travail,
par les risques inhérents à son exercice ou à sa production, est
considéré comme un coupable permanent. L'ouvrier accidenté reçoit
une rente ou une indemnité par le seul fait de sa blessure, de son
impotence ou de son infirmité si elles sont le fait du travail ou si
elles sont survenues à l'occasion du travail.
La
loi, à l'origine, distinguait entre les exploitations. Elle
s'appliquait à celles qui emploient la forme motrice à l'exclusion
des autres.
D'où
cette conséquence bizarre que, si un comptable, dans un bureau, à
Paris, s'entaillait le doigt avec un canif et que si la maison mère
dont dépendait le bureau, avec siège social à Rouen, employait
dans ses ateliers un moteur, le blessé avait droit à une indemnité
; sinon il ne pouvait rien réclamer.
Les
députés qui avaient voté, en fin de législature, cette loi
embryonnaire se séparèrent avec la crainte et le remords d'avoir
ruiné la petite industrie. Ils n'avaient pas songé à cette
institution souple et variée : l'assurance qui s'empressa de se
poser sur les magnifiques territoires annexés soudain au continent
des risques. Aussi, pour la première fois, fût-il donné de voir la
jurisprudence travailler à étendre, au lieu de la restreindre et de
la stériliser, une réforme démocratique. Et des lois postérieures
ont appelé tous les travailleurs manuels au bénéfice de
l'allocation : indemnité de demi l'incapacité absolue et
permanente. Le travailleur reçoit l'indemnité même si l'accident
a été causé par sa faute ; sa faute inexcusable entraîne
seulement une réduction de la rente et il est irrecevable à
réclamer s'il a intentionnellement provoqué l'accident.
Démembrement
du droit de propriété. ― La dévastation produite par la
guerre, l'arrêt qu'elle a infligé à la construction, plus encore
le développement du bien être et la multiplication normale des
habitants ont produit la crise du logement. Le logement est une
nécessité. Le législateur a dû intervenir et faire céder le
droit absolu du propriétaire sur son immeuble. Il a maintenu les
locataires en possession, à condition qu'ils fussent de bonne foi et
pour des périodes différentes fixées par ses dispositions
moratoires. Nous applaudissons à cette expropriation relative. Nous
saluons cette atteinte que subit la propriété destinée à usage de
location et qu'on oblige à subir comme une servitude sa destination
profitable. Le législateur qui a voté la loi du premier avril 1926
ne s'est pas trompé sur la portée de son oeuvre. Il a dit que ses
prescriptions constituaient un démembrement du droit de propriété.
Il affirme son désir de revenir au droit commun : le droit commun
devrait toujours résider dans la subordination de l'intérêt privé
à l'intérêt général ; les lois sur l'habitation contiennent en
germe une révision du droit de propriété. Le législateur sent
bien que des raisons d'équité non moins impérieuses l'obligent à
voter la loi sur la propriété commerciale. Il ne montre aucun
empressement pour hâter l'éclosion de cette loi : il ne sait
comment l'équilibrer avant de lui donner son vol. Pour créer un
fonds de commerce, il faut un local. Le propriétaire, par un congé
intempestif, pourra-t-il reprendre au commerçant le local et ruiner
le commerce, pourra-t-il, par le retrait du contenant, répandre dans
le ruisseau le contenu ? L'avenir répondra : le monde se meurt d'une
propriété immobilière implacable et d'une puissance financière
effrénée.
La
vie nouvelle. ― Les taudis du droit. ― Autour de la
cité juridique, composée de ses bâtiments les plus robustes et les
plus vieux, toute une ville nouvelle s'est construite, notamment par
l'édification des lois sur les sociétés, sur les associations, sur
les syndicats. À côté de l'individu, personne privée, à côté
des villes, mineures administrées, se sont créées des personnes
morales collectives, réglementées et régies par un droit nouveau.
En
revanche, le Droit est encore obligé de s'abriter dans des masures
délabrées et désuètes dont la réfection s'impose. Les malades ne
se doutent pas que le règlement fondamental de la pharmacie est
encore la loi du 21 germinal an II, que toutes les « spécialités
», aujourd'hui innombrables, vendues sous les enveloppes et les
cachets les plus attrayants, sont mises dans le commerce par
tolérance ; que, strictement, tout remède devrait être préparé
par le pharmacien, dans son office, sur ordonnance et pour chaque
commande isolément. M. Aristide Briand, lorsqu'il était simple
député, avait déposé un projet de loi pour réorganiser la
législation en ce qui concerne la pharmacie ; le Parlement n'a pas
trouvé le loisir de discuter le projet. Le Parquet recourt encore à
la vieille loi de 1836 sur les loteries pour arrêter la hardiesse
des dragueurs d'épargne lorsqu'ils réunissent des souscriptions
pour leur affecter globalement le profit des tirages sans leur
conférer la propriété des actions. La loi de 1838 sur les aliénés
est lamentablement rudimentaire et permet les séquestrations
arbitraires : tel fils prudent a fait interner son père pour
l'empêcher de faire un testament valable.
Quels
cahiers les États-généraux des juristes pourraient rédiger !
L'état
des personnes. ―Sont Français plus de sujets d'après leur
lieu de naissance ou la nationalité de leurs auteurs. Le divorce a
été rétabli ; la prohibition du mariage avec le complice a été
supprimée ; la femme peut disposer des salaires qu'elle s'est acquis
par son travail. On peut dire que la puissance paternelle a été
démantelée. Le père tuteur ne peut plus disposer du bien de ses
enfants mineurs : il est soumis au contrôle et à la décision du
Tribunal. Le mariage a été facilité par la simplification de sa
procédure propre ; en outre par la réduction au minimum des
anciennes exigences pour l'autorisation des parents ou pour les
sommations respectueuses. De même, l'adoption a été simplifiée et
cette faveur a produit un curieux abus. On voit des personnes mêmes
âgées se faire adopter pour recueillir un héritage en ligne
directe à titre d'enfant adoptif. L'adopté échappe ainsi au
prélèvement démesuré de l'État sur les successions attribuées
au collatéral ou à l'étranger.
VIII
Nous
venons de voir comment les Codes se sont créés en France. Cet
exposé, pour être complet, devrait rechercher comment ils se sont
créés dans les principaux pays d'Europe.
Il
devrait également traiter du Droit international. Mais ces questions
de droit comparé et de droit, des gens trouveront plus naturellement
leur place au mot LOIS.
Paul
MOREL.
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