La
célèbre proposition de Carl Vogt : « Le cerveau secrète la pensée
comme le rein secrète l'urine », soulève à peine aujourd'hui la
surprise par la trivialité de sa comparaison et de fortes réserves
sur son exactitude physiologique. Naguère, il y a quelque cinquante
ans, elle provoqua un véritable scandale et ameuta la science
officielle contre son auteur. Si l'on tenait pour à peu près
indiscutable que le cerveau fût le siège, le substratum, le soutien
de la pensée, il apparaissait sacrilège d'attribuer à cet organe
matériel l'élaboration de principes subtils et immatériels comme
l'intelligence, l'esprit, l'âme. Les animaux ont un système
cérébro-spinal parfois très développé et cependant ne possèdent
pas cette faculté d'abstraction, d'évocation, de création, que
Dieu a réservée à son oeuvre de prédilection, l'homme. L'âme
émanait du souffle divin. Un illustre parrainage couvrait les
pontifes du XIXe siècle ; et, longtemps avant eux, un des plus
grands philosophes de l'antiquité, Aristote, allait jusqu'à renier
au cerveau tout rôle dans la vie intellectuelle, plaçait dans le
coeur le centre de la pensée ! La doctrine aristotélicienne, si
puissante au moyen-âge, paralysa
presque
entièrement l'esprit de recherche et le goût de l'expérimentation
; on croyait à la parole du maître. Pourtant, Galien reconnut les
principales fonctions cérébrales, et Hérophile et Erasistrate, de
l'École d'Alexandrie, les avaient étudiées « sur des condamnés à
mort qu'ils ouvraient tout vivants pendant qu'ils respiraient encore.
(Celse, cité par Lhermitte). » En réaction contre l'enseignement
d'Aristote, Descartes soutint la conception mécaniste de la
physiologie humaine, l'appliqua au système nerveux, établit le
premier la réalité de l'are réflexe et localisa l'âme dans la
glande pinéale. Puis Willis, et ensuite Gall et Spurzheim étudièrent
la structure de la matière cérébrale, précisèrent son agencement
et sa répartition, tentèrent les premières localisations
fonctionnelles que les savants contemporains ont enfin déterminées.
Dès lors quelles sont, à l'heure actuelle, les connaissances les
plus précises, les plus valables concernant le système nerveux ? Et
les conditions aujourd'hui connues de son fonctionnement
permettent-elles de le regarder comme une manifestation étroitement
spécialisée des phénomènes physicochimiques qui dominent toute la
biologie ?
L'anatomie
macroscopique, l'exploration à l'oeil nu font pressentir du premier
coup la haute noblesse, la puissante différenciation de l'axe
cérébro-spinal. Chez l'homme, le cerveau se présente comme
l'organe le plus volumineux, après le foie, et le plus riche en
vaisseaux sanguins. Son poids atteint la cinquantième partie de
celui du corps entier. Chez les individus et dans les races, son
développement, ainsi que celui des circonvolutions dont il est
sculpté, répondent au degré d'évolution intellectuelle : plus
grands dans les hommes et les groupes ethniques et d'éducation
supérieure ; moindres chez les ignorants et les peuplades arriérées.
Dans la série animale, la même gradation marque le passage d'une
classe à l'autre, d'un embranchement inférieur à un supérieur. Le
poids relatif du cerveau va du cinquantième chez l'homme au cinq
centième chez l'éléphant ; au trois millième chez la baleine.
L'indice pondéraI, calculé sur 10.000, monte de 1,8 chez les
poissons, à 7,8 chez les reptiles ; 42,2 chez les oiseaux ; 53,8
chez les mammifères ; 277,8 chez l'homme. L'observateur libertaire
verra là une nouvelle confirmation de cette loi d'ontogenèse
générale : la fonction modelant l'organe. Et, en regard, combien
s'avère encore une fois puérile et inféconde la conception
théologique d'un Créateur façonnant les êtres selon les caprices
de sa bonne ou de sa mauvaise humeur !
La
section longitudinale ou transversale du cerveau le révèle composé
d'une masse molle, où l'oeil distingue déjà une substance grise et
une substance blanche non mélangées au hasard d'une mosaïque
irrégulière mais disposées en conglomérats de forme et de volume
bien tranchés, dont la configuration générale se retrouve à peu
près identique chez tous les animaux suffisamment évolués. Ainsi,
la partie la plus externe du cerveau est formée par une couche
régulière et continue de substance grise appelée « manteau », «
pallium » ou « écorce ». Des ilots ou bandes de substance blanche
séparent le pallium de noyaux de substance grise situés à la base
du cerveau et dont les plus importants sont la « couche optique »
ou « thalamus », le « corps strié » ou « noyau caudé », le «
bulbe olfactif ». L'étendue et l'épaisseur du manteau croissent au
fur et à mesure qu'on s'élève sur l'échelle zoologique : chez
l'amphibie, la pallium est plus petit que le corps strié, tandis que
chez l'homme l'écorce comporte une masse bien supérieure aux autres
formations grises qu'elle recouvre d'ailleurs presque complètement.
À I'opposité, le bulbe olfactif, si développé chez les reptiles,
subit une régression marquée chez les mammifères et surtout, parmi
ceux-ci, chez les Primates. Grâce à l'histologie, ou anatomie
microscopique, il a été possible de pénétrer la structure intime
du système cérébro-spinal, formé presque en entier par deux
éléments très caractéristiques et tout à fait particuliers : la
cellule nerveuse ou « neurone » et la fibre nerveuse. ― Au nombre
de près d'un milliard rien que dans l'écorce grise, les neurones
présentent une texture spécifique adéquate à leur fonction
différenciée dans l'organisme, et leur protoplasma renferme des
formations qui leur sont propres : neuro-fibrilles, canaux de
Holmgren corpuscules chromophiles. Leur taille varie de cinquante
millièmes de millimètre à cent quarante millièmes de millimètre
(moelle de boeuf) ; ces dernières sont visibles à l'oeil nu. ―
Enfin, caractère hautement distinctif, les neurones rayonnent autour
d'eux des prolongements filamenteux plus ou moins nombreux que
l'étude histophysiologique
a
divisés en deux sortes : les uns, très ramifiés, à surface
rugueuse, au nombre de cinq à six, s'appellent « prolongements
protoplasmiques » ou « dendrites » et conduisent les excitations
de toute nature vers la cellule (conduction cellulipète) ; les
autres, au nombre d'un par cellule, sont lisses, plus ténus, moins
ramifiés et transmettent les impulsions issues du neurone
(conduction cellulifuge) ; on les nomme « cylindre axe » ou «
axone ». - Dendrites et axones peuvent atteindre un mètre de
longueur : tels ceux qui relient les cellules nerveuses de la moelle
épinière à l'extrémité du membre inférieur. Les fibres
nerveuses constituent purement et simplement la suite ininterrompue
des dendrites et axones ; et les nerfs sont le prolongement
périphérique du neurone. À une certaine distance de sa cellule
d'origine, la fibre nerveuse se recouvre d'une substance
particulière, la « myéline », constituée en partie par des
filaments spiralés dont l'ordonnance rappelle celle des
condensateurs électriques. Avec son corps cellulaire et sa double
catégorie de prolongements, le neurone apparait comme une unité
anatomique et physiologique, et se montre en effet tel dans toute la
série animale. Mais, dans cet appareil, quelle formation spéciale
conditionne l'élaboration de l'activité nerveuse si différente des
autres fonctions organiques ? Aucune ; la diversité des phénomènes
vitaux n'est qu'apparence due à la multiplicité des formes
engendrées par les éléments cellulaires types dans leur adaptation
plus étroite à un travail déterminé. Comme le neurone, tous les
protoplasmas possèdent l'« irritabilité », c'est-à-dire la
propriété générale d'être impressionnés par une excitation
extérieure (température, lumière, électricité, contact) et de
réagir par une manifestation d'activité ordonnée. Celle-ci, minime
et microscopique chez une infusoire, amplifiée chez l'homme jusqu'à
l'évidence grossière, traduit les modifications physicochimiques se
produisant, sous l'influence de causes Internes ou externes, dans
l'intimité de la matière vivante en état perpétuel de gravitation
(voir article : « biologie »). « Dans les organismes inférieurs,
tous les éléments anatomiques accomplissent au même degré la
totalité des fonctions physiologiques. Tous sont identiques entre
eux et, par suite, ils peuvent être séparés les uns des autres
sans que leur existence soit compromise. C'est ce qui a lieu chez les
Protozoaires en colonies. Au contraire, dans les organismes plus
élevés, chaque élément choisit pour son compte, dans le travail
physiologique total, une fonction déterminée et se cantonne
exclusivement dans cette fonction : il s'y adapte pleinement et la
remplit avec d'autant plus de perfection qu'aucun autre soin ne l'en
détourne. Certains éléments anatomiques s'adaptent à la digestion
des aliments, d'autres conservent en propre l'irritabilité ;
d'autres sont spécialement contractiles, tandis que cette propriété
disparaît plus ou moins dans les autres cellules. Mais, par contre,
la division du travail fait naître entre les divers éléments une
solidarité plus grande, car chacun est utile à la vie de tous, et
de même la réunion des éléments associés réalise un ensemble de
conditions tel, que chacun ne peut être séparé sans être exposé
à mourir. (Rémy Perrier, « Zoologie »). » Manifestation de
l'énergie cosmique, activité, spécialisée issue des phénomènes
intra-cellulaires d'ionisation et de diastase, l'irritabilité se
traduit, en fonction différenciée, par l'élaboration et la
circulation de l'« influx nerveux », de cette force coordonnée
qui, déclenchée par une excitation périphérique ou une impulsion
centrale, aboutit à une contraction musculaire, une sécrétion, ou
une pensée. L'étude expérimentale de l'influx nerveux a déjà
donné des précisions fort intéressantes et l'a montré soumis aux
lois générales de la matière. Ainsi, depuis Du Bois-Reymond, on
savait déjà qu'un courant électrique appelé « courant de
démarcation ou de lésion », sensible au galvanomètre, existait
entre la surface d'un nerf et la tranche découverte par une section.
Cependant cette réaction n'avait rien de spécifique et appartenait
à maint autre tissu ou corps matériel. Mais elle permit d'en
provoquer une nouvelle plus démonstrative : le courant de lésion se
trouvait modifié et réduit lorsqu'on portait sur le
nerf, bien au-dessus du point de section, une excitation chimique,
mécanique, thermique ou électrique. Cette variation
négative
du courant de lésion révélait le passage d'un « courant
d'action » apparemment identique à l'influx nerveux, puisque les
mêmes excitations de nature diverse, appliquées soit sur les nerfs,
soit sur les centres nerveux eux-mêmes, faisaient agir muscles et
glandes de l'organisme aussi bien qu'elles provoquaient une variation
négative, contrôlable, sur le courant électrique d'un nerf
sectionné. ― Il fut aussi établi que toutes les conditions qui
influencent la rapidité ou la force de l'influx nerveux affectent de
la même manière l'intensité et la vitesse du courant d'action
(Lhermitte). Quelle que soit l'intensité de l'excitation, la vitesse
de l'influx nerveux atteint 28 à 30 m. par seconde chez la
grenouille : 117 m. à 125 m. chez l'homme. Elle s'élève avec la
température et diminue par la réfrigération ; se trouve
proportionnelle à la surface de section de la fibre nerveuse, plus
rapide dans les gros conducteurs que dans les petits. ― L'intensité
de l'influx nerveux varie évidemment selon la force, la fréquence,
le rythme, la nature du stimulant initial. Mais pour une excitation
identique, elle augmente ou s'amoindrit suivant le nombre des fibres
contenues dans le conducteur. C'est ainsi que les appareils
physiologiques les plus actifs, les plus sensibles, les plus
délicats, les plus adaptés à leur fonction reçoivent le plus
grand nombre de fibres leur apportant quantité d'influx nerveux :
80.000 fibres pour le membre supérieur contre 39.000 pour le membre
inférieur ; 25.000 fibres pour le seul muscle droit externe de
l'oeil.
De
quelle nature est cet influx nerveux mesurable dans sa vitesse et son
intensité ? Certains caractères le classent parmi les phénomènes
chimiques : par exemple, durant son travail, la fibre nerveuse
s'échauffe, consomme de l'oxygène, élimine dé l'acide carbonique,
voit grandir sa vitesse d'influx du double pour chaque 10 degrés de
température en plus, en conformité avec la loi de Van't Hoff sur
les réactions chimiques. Mais d'autre part, la quasi infatigabilité
du conducteur nerveux, la présence d'un courant électrique entre sa
surface et sa tranche de section en font un phénomène physique. Dès
lors une conclusion s'impose : comme la vie elle même, l'influx
nerveux s'avère d'essence chimique et physique à la fois, apparaît
comme une modalité particulière de l'énergie universelle.
Voilà
donc maintenant connue l'unité fondamentale du système nerveux :
une cellule différenciée et adaptée, le neurone, recevant par son
ou ses prolongements protoplasmiques, ou dendrites, les impressions
périphériques ou internes qu'elle transmet par son cylindre-axe
unique soit directement aux organes de mouvement ou de sécrétion
chez les êtres de structure rudimentaire, soit aux dendrites
d'autres neurones interposés dans les formes plus évoluées. Fibres
réceptrices, ou dendrites, cellule nerveuse et fibres effectrices,
ou cylindre-axes, sont parcourues par l'influx nerveux, issu des
réactions propres du neurone spécialisé aux excitations de toutes
sortes provenant du milieu extérieur ou intérieur. Avec une netteté
saisissante, l'anatomie comparée permet de suivre, dans toute la
série zoologique, l'apparition et le développement du système
nerveux, c'est à dire la multiplicité croissante la complexité
progressive de groupement et d'agencement des neurones, depuis la
méduse avec sa couronne ombrellaire de cellules nerveuses
déclenchant une mobilité fruste et limitée, jusqu'à l'homme avec
son cerveau à texture compliquée, propre à toutes les opérations
de l'intelligence, forme extrême de l'irritabilité primordiale du
protoplasma vivant. Au début, l'arc réflexe, ou passage de l'influx
nerveux du point d'excitation au lieu de la réponse motrice ou
sécrétoire, s'inscrit tout entier dans une seule et même cellule
nerveuse chargée à la fois de la mission réceptrice et émettrice
du système. Puis, résultat d'une adaptation plus parfaite, un
second neurone s'intercale dans le circuit réflexe, laissant au
premier sa fonction de récepteur sensitif, prenant pour lui le rôle
effecteur ou moteur. Ce nouvel élément ajusteur « non
seulement proportionne, régularise, suspend ou décuple les
réponses, mais encore garde le souvenir des influx qu'il a transmis.
Et il n'est probablement pas excessif de voir poindre en cet élément
le rudiment de la conscience organique. (Lhermitte). » Sous
l'influence des modifications incessantes de l'ambiance, de ses
sollicitations constantes et toujours plus précises, l'organisme
animal acquiert une structure encore davantage complexe. Entre le
neurone récepteur et le neurone moteur, un troisième prend place,
en charge d'association mieux établie et de renforcement d'activité,
pour réagir à des excitations fortes, diverses, variables par une
action ample, adéquate, extensive. Ainsi se constitue un centre
nerveux des réflexe « inter-segmentaires » ; car, à ce
stade de développement, l'être vivant se trouve en état de
segmentation définie et de différenciation fonctionnelle (vers). À
un degré supérieur d'évolution somatique correspond une
disposition nouvelle des cellules nerveuses. Une solidarité générale
s'établit qui nécessite un appareillage spécial. Les réflexes
inter-segmentaires, issus de l'état parcellaire, sont conditionnés
par des neurones « supra-segmentaires » qui n'ont de lien direct ni
avec la cellule sensitive, ou réceptrice ni avec la cellule motrice
mais seulement avec le neurone d'association des réflexes
inter-segmentaires. Cet appareil suprasegmentaire ne se contente plus
de transmettre l'influx nerveux, d'associer, d'amplifier, de
diversifier les réflexes ; il présente la propriété de les
suspendre, les inhiber, de les refouler pour les mieux adapter. Son
activité n'est plus mécanique ; elle est presque réfléchie,
psychique. Le groupement des neurones suprasegmentaires constitue
l'ébauche du cerveau (arthropodes). Jusqu'ici, et par conséquent
chez les invertébrés, l'étude du développement du système
nerveux repose sur les constatations anatomiques et histologiques et
sur les données fournies par l'observation de la manière d'être
des animaux lorsqu'on modifie les conditions habituelles de leur
activité. Les fourmis, devant un obstacle à leur cheminement
processionnaire, hésitent d'abord, se reprennent ensuite, et
finissent par tourner ou supprimer la difficulté. Elles sont munies
d'un centre suprasegmentaire, d'un cerveau déjà grand par rapport à
leur taille et peuvent ainsi donner preuve d'intelligence en adaptant
leur réponse réflexe à la diversité des excitations extérieures.
― Chez les vertébrés, les proportions plus grandes de leurs
organes permettent en outre l'expérimentation physiologique : la
pratique des ablations partielles ou totales du cerveau occasionne
dans le comportement réflexe et instinctif ou adapté et individuel,
des déficits proportionnels à l'importance du segment enlevé.
Ainsi
chez les poissons, la décérébration du pallium ou manteau comporte
peu de troubles apparents. Car leur activité se règle surtout par
les centres segmentaires et inter-segmentaires. L'ablation du cerveau
au-dessus du thalamus ne diminue chez la grenouille que son habileté
à la capture de la proie et laisse intactes toutes les autres
fonctions. La décérébration sous-thalamique rend la bête inerte ;
celle-ci flotte et ne nage plus. De même les reptiles souffrent peu
de la suppression du pallium. Amputé du cerveau, le pigeon
s'alimente et se meut à peu près normalement. Mais il a perdu la
faculté de reconnaitre les objets, le sentiment de ses besoins
sexuels, le discernement du danger.
Un
chien, auquel Nothmann extirpa le cerveau, vécut trois ans ; Il
était aveugle, mais non sourd, buvait, mangeait et digérait, se
mouvait, ne reconnaissait personne et n'avait pas de désirs sexuels,
se montrait incapable d'éducation. L'expérimentation physiologique
corrobore donc les conclusions de l'anatomie. Plus un animal comporte
un cerveau développé, plus ses actions cessent d'être
automatiques, pour devenir réflexes et instinctives d'abord, puis
individuelles à un degré élevé d'évolution. De même l'ablation
du cerveau, à peu près indifférente pour le comportement des
vertébrés inférieurs, devient très nocive pour celui des
vertébrés supérieurs. En une série d'actions et de réactions
entre l'animal et le milieu, d'une part le système nerveux se
complique et perfectionne son agencement pour mieux répondre aux
sollicitations de l'ambiance ; d'autre part, la complexité
structurale et la haute précision de son fonctionnement confèrent
au système nerveux la faculté d'agir sur l'ambiance et de la
modifier au gré de ses besoins nouveaux.
Splendide
épanouissement de l'appareil supra-segmentaire, le cerveau humain
porte à la dernière puissance les possibilités d'intégration,
d'adaptation, de transformation des excitations périphériques ou
des impulsions internes. Dans ses manifestations psychiques les plus
élevées, il se montre l'aboutissant de la longue évolution
multi-séculaire durant laquelle, en une série de phases bien
déterminées, l'espèce s'achemina de l'état protoplasmique
uni-cellulaire, avec son irritabilité fruste et globale, jusqu'à la
forme achevée de Primate intelligent avec un système nerveux d'une
sensibilité exquise et d'un fonctionnement étroitement différencié.
Cette lente ascension de l'obscure impression élémentaire à la
clairvoyante pensée apparaît en un raccourci saisissant dans le
développement du cerveau chez le foetus et chez l'enfant. Dans
l'embryon, le système segmentaire (moelle, bulbe, protubérance) se
forme le premier, bien avant l'appareil supra-segmentaire qui,
pendant les quatre premiers mois de la vie intra-utérine, présente
une structure très rudimentaire. Les mouvements foetaux commencent
au deuxième mois ; deviennent perceptibles vers le cinquième ;
peuvent être provoqués, chez un fœtus prématurément expulsé,
par des excitations de la peau et des tendons. Même la succion et la
déglutition se produisent dans la matrice bien avant la naissance.
Mais
toute
cette activité foetale est seulement réflexe, comme lé prouvent,
d'un côté l'inexcitabilité du cerveau et l'excitabilité de la
moelle, et d'un autre côté la possibilité de ces mouvements même
après une section du cerveau du foetus au dessous du thalamus. Et
l'inexcitabilité du manteau ou pallium persiste jusqu'à la
naissance. « Le foetus humain, jusqu'à son expulsion à terme, est
plongé dans un sommeil sans rêves ».
Le
nouveau-né présente un cerveau très différent de l'adulte et dont
le développement se fera graduellement suivant un rythme identique à
celui de la formation progressive du système nerveux dans la série
animale. Il agit d'abord d'une façon réflexe comme les êtres à
centres neuroniques inter-segmentaires dépourvus d'écorce
cérébrale. « Sourd, aveugle, anosmique, l'enfant à sa naissance
ne présente qu'un comportement automatico réflexe auquel
s'associent quelques réactions bien imparfaites de caractère
instinctif. (Lhermitte). » À six semaines seulement le nourrisson
suit les objets du regard, et vers le quatrième mois sourit en «
voyant » sa mère. L'odorat et le goût s'affirment plus rapidement.
« Dès les premiers mois, l'enfant reconnaît sa mère à l'odeur de
son lait, et, dès la naissance l'odeur désagréable de l'« asa
foetida » provoque une expression de dégoût. (Kussmaul). » Les
mouvements, les cris, les sanglots, les vomissements du nouveau-né
sont réflexes puisqu'ils existent aussi nets chez les enfants
dépourvus d'hémisphères cérébraux, les « anencéphales ».
Ceux-ci ne vivent qu'un ou deux jours ; mais ils sucent, avalent,
crient, remuent les membres. Par conséquent ces fonctions
élémentaires sont indépendantes du cerveau. Au fur et à mesure
que les neurones se multiplient dans les noyaux gris (thalamus ou
couche optique, corps strié) d'abord, dans l'écorce grise ensuite,
les manifestations instinctives apparaissent ; l'enfant réagit,
quoique maladroitement, aux pressions, pincements, variations de
température. Enfin l'entrée en jeu du manteau cérébral fait
apparaître les actes imitatifs ou expressifs, sous leur caractère
individuel : le sourire, le baiser, les pleurs, les câlinements
(Lhermitte). Ainsi, l'étude anatomique et histologique du cerveau du
foetus et du nouveau né, l'observation des agissements des enfants
normaux et des anencéphales montrent d'une façon surprenante
comment la complexité des organes se produit et s'élève avec le
perfectionnement des fonctions, et combien l'individu se développe
avec précision selon le plan même de l'espèce.
L'élaboration
foetale et post-natale de l'appareil supra-segmentaire conditionnant
la vie psychique aboutit chez l'homme adulte à la constitution de
deux groupes neuroniques superposés : l'un, inférieur, comprenant
les corps opto-striés (thalamus ou couche optique et corps strié) ;
l'autre, supérieur, replié en nombreuses circonvolutions, modelant
l'écorce cérébrale ou manteau. Pour leur étude, aux recherches
normales d'anatomie macroscopique et microscopique, s'ajoutent les
données fournies par les lésions consécutives aux maladies et les
résultats obtenus par une expérimentation prudente et inoffensive
effectuée dans quelques cas favorables sur des trépanés pour
blessures ou maladies du crâne et de l'encéphale. Par ces moyens,
la physiologie est parvenue à établir la localisation anatomique,
matérielle d'un certain nombre d'importantes fonctions
intellectuelles et continue la poursuite de découvertes nouvelles
afin d'arriver à une connaissance de plus en plus complète de la
bio-psychologie humaine.
Les
corps opto-striés jouent un rôle très important dans les
opérations sensitives et motrices du cerveau. Ainsi, le thalamus ou
couche optique reçoit les faisceaux collecteurs de la sensibilité
du corps tout entier, arrête les impressions reçues pour les
transmettre soit directement au corps strié, centre moteur de
l'activité automatique, soit à l'écorce, centre de l'activité
consciente. Une lésion du thalamus entraîne d'abord
l'insensibilité, puis au bout d'un temps variable, des impressions
de douleur, même après la plus légère excitation superficielle. ―
Le corps strié préside à l'activité motrice spontanée
(déglutition, insalivation, phonation, mimique faciale), règle la
vitesse et la précision des mouvements volontaires. Le malade
atteint d'une lésion de ce groupe neuronique avale et parle avec
difficulté, présente un masque rigide, figé, marche avec raideur
et hésitation, perd en partie ses forces musculaires. ― Les corps
opto-striés forment donc la première réalisation de l'appareil
supra-segmentaire, élèvent les réflexes à l'état d'automatisme
instinctif ; le thalamus accuse une obscure conscience sensible,
origine de ses douleurs lésionnelles ; le corps strié commande
l'automatisme moteur élémentaire, l'automatisme alimentaire et
enfin l'automatisme mimique et expressif. « Ce serait donc une
grande méprise que de refuser l'intégration des corps optostriés à
la base de la vie psychologique et de ne pas y voir vraiment les
humbles serviteurs de la pensée (Lhermitte) ». Plissée en
multiples circonvolutions, creusée de sillons profonds, l'écorce ou
manteau se présente comme une gaîne continue de substance grise
enveloppant les deux hémisphères et composée de six couches
d'innombrables cellules nerveuses superposées et disposées en
strates parallèles de la superficie à la profondeur. Les rangées
neuroniques sont parcourues à diverses hauteurs par des faisceaux de
fibres nerveuses qui se réunissent en stries parallèles ou
perpendiculaires à la surface. Cette multitude série de formations
cellulaires et fasciculaires ne se trouve pas répandue dans toute
l'écorce d'une façon uniforme ; elle se divise au contraire en
groupes bien tranchés, d'architecture anatomique et histologique
particulière à chacun d'eux. Il a été possible d'identifier un
grand nombre de ces territoires corticaux, que l'on a relevés
en une véritable carte du manteau cérébral. Et l'expérimentation
physiologique a précisé la fonction spéciale afférente à chaque
territoire cortical. Pour y parvenir, elle emploie deux méthodes :
l'excitation artificielle des territoires délimités par l'anatomie
microscopique chez l'homme et les animaux ; l'étude des troubles
consécutifs aux lésions spontanées chez les hommes et les animaux,
et aux lésions provoquées chez les animaux. Ainsi a été
découverte une zone corticale sensible aux courants électriques,
I'« aire précentrale », formée par une série de foyers bien
distincts dont l'excitation électrique suscite des mouvements
séparés non seulement pour les membres, la face et le tronc, mais
encore pour chaque segment de ces organes et même, affirme Forster,
pour chaque muscle isolé. Cette aire est sensible aussi aux actions
mécaniques et chimiques. Mais le phénol demeure sans effet sur
elle, tandis qu'il déprime l'excitabilité des cellules de la moelle
épinière : preuve de la constitution physiologique différente des
centres moteurs cérébraux et médullaires. ― Chez l'homme la
destruction de l'aire précentrale n'amène pas la perte totale de la
mobilité. « Seuls les mouvements les plus différenciés, les plus
délicats, les plus humains sont atteints ; tandis qu'au contraire
apparaissent exaltés les mouvements automatiques primaires dont les
centres se situent dans les corps striés ». L'« aire précentrale
intermédiaire » ou « psychomotrice » est placée à côté de la
précédente. Non excitable par le courant électrique
d'expérimentation, elle ne commande pas les mouvements mais
détermine leur coordination, leur adaptation à un but donné. La
destruction n'empêche pas le malade de remuer ses membres, tout en
lui enlevant la capacité de les utiliser pour accomplir un acte
précis, volontaire ou commandé. L'« aire postcentrale » a des
fonctions exclusivement sensitives. L'excitation électrique de ses
divers foyers provoque des sensations de choc, de chaleur,
d'engourdissement dans les régions correspondantes des membres. La
destruction abolit la sensibilité. L'« aire postcentrale
intermédiaire » ou « somesthéso-psychique » est à la zone
précédente ce que la zone psycho-motrice est à la zone
électro-motrice : un centre d'intégration supérieure surajouté à
l'autre. La lésion ne supprime pas la sensibilité ; elle la rend
confuse, trouble, erronée. La sensation persiste, mais la perception
fait défaut. Ainsi, les yeux fermés, le malade sent un objet placé
dans sa main, mais il n'en peut apprécier exactement ni le poids, ni
le volume. Il s'apercevra qu'on le touche sans pouvoir déterminer le
lieu de la pression. L'aire somesthésopsychique apparaît vraiment
comme la région de la « pensée sensitive ». Cependant un objet
peut être senti par la main, le poids et le volume en être
appréciés, sans que le malade puisse le reconnaître, l'identifier.
Les sensations sont perçues sans prendre leur signification, sans
former image ; elles ne parviennent plus au seuil de la connaissance
intellectuelle. Cette « agnosie tactile » suit la destruction de
l'« aire pariétale », autre centre anatomique, matériel, spécial
d'une fonction psychique bien déterminée. L'« aire striée » ou «
sensorio-visuelle » élabore les sensations fournies par la rétine.
« L'expérience de la guerre, grâce aux lésions très limitées
que produisent les projectiles, a montré l'exactitude parfaite de la
projection rétinienne sur l'aire corticale visuelle en apportant de
nombreux faits de cécité partielle de la surface de la rétine
correspondant au point cérébral détruit par le projectile (Pierre
Marie et Chatelin) ». Lorsque la destruction porte sur la totalité
des deux aires striées, elle cause une cécité complète souvent
ignorée du blessé lui-même. Contrairement à l'aveugle par lésion
directe des rétines ou des nerfs optiques, l'aveugle par lésion de
l'écorce cérébrale est aveugle pour sa cécité. « Ce fait
s'explique fort bien si l'on se souvient que la vision du noir ne se
confond nullement avec l'absence de sensations visuelles et que la
sensation de noir répond à une clarté moins intense, laquelle
n'apparaît que par contraste. Or, les sujets atteints par une lésion
destructive de l'aire visuelle corticale sont absolument et à jamais
privés de tout élément visuel sensoriel. Au contraire, les malades
dont la cécité est d'origine périphérique gardent indéfiniment
les éléments dont est faite l'activité sensorielle de leur cerveau
et, en conséquence vivent dans la conscience des ténèbres
extérieurs (Lhermitte) ». A côté de cette cécité corticale, il
existe, par lésion de l'« aire occipitale ou visuo-psychique »,
une cécité psychique : le sujet distingue les couleurs et les
formes, mais ne peut identifier les objets. Il y a quelques années,
au début des études crânio cérébrales, les « lobes frontaux »
passaient pour être la partie noble de l'encéphale, le siège de la
plus haute pensée. Les recherches modernes n'ont pas confirmé cette
conclusion exclusive. Chez les blessés de guerre, les mutilations de
la zone frontale causent de la maladresse, de l'incoordination dans
les mouvements, des troubles de l'équilibre et de l'orientation, de
l'apathie et des défaillances de la volonté, de la difficulté à
fixer l'attention volontaire, de la propension aux songes, à la
rêverie. Comme le dit Pierre Janet, les lobes frontaux apparaissent,
à la lumière des faits anatomocliniques, comme un des appareils
essentiels, et peut être le plus important, qui règlent et
soutiennent la tension psychologique. La localisation sur le cerveau
d'une « zone du langage » se montre particulièrement intéressante,
très étudiée et très suggestive. C'est que le langage constitue
la fonction psychique par excellence, celle qui permet d'exprimer ses
sentiments, ses idées et de connaître ceux d'autrui. Les idées
elles-mêmes sont une sorte de « langage intérieur » puisqu'elles
se présentent à l'esprit sous leur forme verbale ; et si la parole
n'est pas toute la pensée, puisqu'on peut penser par images, elle en
apparaît la manifestation la plus importante. Comprenant la parole,
l'écriture, la musique, le langage possède son centre spécial
autour de la Scissure de Sylvius dans une région du cerveau bien
délimitée par l'étude des lésions anatomiques correspondant aux
divers troubles de la fonction du langage appelés « aphasies ».
Chez les adultes, ce centre se situe pour le droitier sur hémisphère
cérébral droit. Chez l'enfant, il n'existe pas avant la neuvième
année, comme le prouve ce fait qu'aucune lésion, même profonde. de
cette région du cerveau n'entraine de trouble du langage. Celui-ci
n'est donc pas inné ; son centre, non préformé, ne se développe
que sous l'influence de l'audition ; les sourds de naissance restent
muets. ― Nouvelle réalisation, après des millions d'autres, de ce
phénomène biologique général : l'organe créé par la fonction,
elle-même déterminée par les interréactions de l'individu et de
l'ambiance. Parmi ces aphasies, l'observation attentive des sujets
atteints a permis de dissocier des modalités caractéristiques et
différenciées répondant chacune à une lésion précise d'une
partie donnée de la zone globale du langage. ― Parmi ces variétés
d'aphasie, il faut distinguer : 1° L'« aphasie de réception » ou
perte absolue ou relative de la compréhension de la parole et de
l'écriture (surdité verbale et cécité verbale). Le malade entend
le son de la voix mais ne reconnaît pas le sens des paroles, voit
les caractères imprimés sans en comprendre la signification. Il
peut luimême parler et écrire, mais d'une manière confuse,
trouble, désordonnée, puisqu'il a oublié la valeur des mots. 2°
L'« aphasie d'expression » ou « aphémie », perte de l'expression
de la pensée verbale. Le malade est incapable de pro grande partie
des paroles et d'écrire aucun mot. 3° L'« aphasie globale »,
combinaison des deux précédentes : le malade ne reconnaît ni les
sons ni les caractères ; ne peut ni parler, ni écrire, même au
hasard. ― Mais la maladie produit parfois des lésions encore plus
limitées et par conséquent des troubles encore plus singuliers : la
« surdité verbale pure », rare d'ailleurs, où le malade lit,
écrit, parle, sans comprendre la signification des mots entendus ;
la « cécité verbale pure », où le sujet saisit le sens des
paroles, parle lui-même, écrit, mais ne lit ni ne se relit ; I'«
aphémie pure », qui supprime la parole, les autres modes
d'expression restant intacts ; l'« agraphie pure », où s'évanouit
le don de l'écriture. Chacune de ces aphasies se superpose à la
lésion d'un centre anatomique exactement localisé à la surface des
hémisphères cérébraux. Tous ces centres constituent donc le
support organique de la pensée verbale. « Reliés et articulés
entre eux, ces différents centres concourent, à l'état
physiologique, par leur harmonieuse synergie, au développement de la
pensée verbale ; et en eux repose le solide fondement sur lequel
s'appuie, pour se développer en d'infinies virtualités,
l'intelligence du langage, support de l'intelligence spéculative
(Lhermitte) ». L'étude des « amusies » ou troubles du langage
musical a révélé l'existence dans le cerveau de centres spéciaux
et distincts de ceux du langage verbal. « Lorsqu'un de ces centres
vient à être altéré, il en résulte non pas la perte complète du
langage des sons, mais l'abolition soit de la compréhension de
l'écriture musicale (cécité ou alexie musicale), soit de la
signification symbolique du rythme des tons et de la mélodie
(surdité musicale), soit enfin de la faculté d'exprimer par le
chant (avocalie) ou les instruments le sentiment musical (amusie
instrumentale). Mais il y a plus, et il existe d'assez nombreux
exemples qui attestent que la surdité musicale peut, elle-même,
être dissociée. Chez tel sujet, la compréhension de la valeur
symbolique des tons et de la mélodie demeure conservée tandis que
la signification du rythme est perdue. Un malade observé par
Forster, prend la marche funèbre de Chopin, dont le rythme est si
expressif, pour une chanson ; un andante pour une valse. Un autre
sujet ne saisit plus le sens du rythme de la valse, mais danse
correctement quand on lui indique de quelle danse il s'agit.
Inversement, la notion du rythme musical peut être intégralement
conservée, tandis que celle des tons de la mélodie s'est effondrée.
Deux sujets observés par Brazier furent pris subitement d'amnésie
mélodique, le premier pendant un chant, le second pendant un
concerto de piano. Il est des cas où, malgré la conservation de
l'audition musicale et de la lecture des notes, l'expression musicale
est abolie. Le cas de Charcot est resté célèbre, de cet exécutant
qui capable de lire correctement la musique, était hors d'état de
se servir de son trombone. Une malade, observée par Wurtzen, ne
pouvait jouer à l'aide de la main gauche seulement, bien que les
fonctions de compréhension musicale fussent conservées. Fait plus
curieux encore, un sujet étudié par Finhelburg, capable de jouer du
violon ne pouvait utiliser son piano (Lhermitte) ». Il y a donc un
appareil mécanique et psychique de la fonction musicale, appareil
monté pièce à pièce par l'éducation spéciale et que peut
détruire en un coup un traumatisme ou une maladie frappant son
support cérébral.
Il
n'est pas jusqu'à la joie et à la tristesse, au rire et aux pleurs
qui, déclenchés dans certaines maladies en dehors de toute cause
adéquate, ne viennent démontrer l'existence « d'un mécanisme
physiologique individualisé des expressions émotionnelles ». Les
malades, lésés dans cet appareil, présentent un rire ou un pleurer
spasmodiques en dehors de tout sujet de gaité ou de désolation : Or
bien, « rire est le propre de l'homme » ; mais la pathologie prouve
qu'il devient acte réflexe, animal, lorsqu'il est troublé dans son
contrôle. Dans la région ventrale du ventricule médian du cerveau
on est parvenu à localiser un centre régulateur du sommeil et de la
veille. Jusqu'alors, une opinion assez unanimement accréditée
attribuait le sommeil à la fatigue et à l'intoxication du système
nerveux. L'observation cependant plaidait contre cette explication,
puis qu'il y a des gens qui peuvent réfréner leur envie de dormir,
que d'autres dorment quand ils veulent, que beaucoup enfin peuvent se
réveiller à une heure déterminée. Ces faits témoignaient déjà
en faveur d'une « fonction du sommeil » en partie soumise à la
volonté. La clinique confirma la réalité de cette fonction en
précisant la zone cérébrale dont la lésion entraîne l'«
hypersomnie », c'est-à-dire le sommeil prolongé, impérieux,
irrésistible. Elle prouva ainsi que ce centre est un « appareil de
veille » maintenu en activité par des stimulations externes ou
internes, détendu sous l'influence de la fatigue, marchant au
ralenti dans le calme de la nuit excité par des impulsions internes,
supprimé par l'effet de certaines maladies génératrices de
léthargie. Le sommeil se définit donc comme le repos du système
nerveux suprasegmentaire exclusivement ; car, pendant sa durée, les
réflexes segmentaires et inter segmentaires continuent à
s'effectuer sans relâche, puisque le dormeur respire, retient
l'urine, les matières et même peut agiter ses membres. Le rêve
marque bien la persistance d'une vie psychique mais confuse,
désordonnée, élémentaire. La pleine conscience exige l'intégrité
et l'activité de tous les centres anatomiques rassemblés dans
l'encéphale. Les physiologistes contemporains ont émis l'opinion
que le cerveau devait posséder, en même temps que le commandement
de l'activité réfléchie, le contrôle des fonctions de la vie
végétative et automatique : digestion, circulation, urination,
défécation. Et en effet, l'expérimentation animale et la clinique
humaine confirment la présence de deux centres distincts pour
l'innervation de la vessie, et un centre pour l'innervation du
rectum. L'excitation de certaines régions de l'écorce provoque des
contractions de l'estomac et de l'intestin, et la destruction de
quelques autres modifie les sécrétions salivaires et sudorales. Là
réside la preuve de l'unité élémentaire, primordiale, du système
nerveux de la vie psychique, l'axe cérébrospinal, et du système
nerveux de la vie organique et végétative, le sympathique. Corps et
âme sont deux expressions consacrées par l'usage et conservées
pour la facilité de l'étude, mais forment un seul organisme
déterminé d'une façon identique dans son apparition, son
développement et ses destinées. Y a-t-il un « centre des centres »
; un « cerveau du cerveau » ; un régulateur des appareils
psychiques intriqués, juxtaposés, superposés dans la masse
encéphalique ; un substratum anatomique de la personnalité avec son
intelligence, son caractère, son tempérament, avec ses réactions
propres ? La logique biologique autorise à le croire et des
recherches récentes tendent à le déterminer. Donnée curieuse et
cependant rationnelle, ce centre ne se trouve pas sur l'écorce, mais
à la base du cerveau, au carrefour où convergent et d'où divergent
les voies issues des centres supra les centres de la vie
organo-végétative. Il est le point de jonction, l'appareil de
liaison entre les faits psychiques purs descendant de l'activité
corticale, et les manifestations instinctives remontant des appareils
inter-segmentaires et segmentaires. Là serait le siège de l'« âme
», pour appeler cette chose par son vieux nom. En effet, une lésion
portant à ce niveau produit des perturbations de l'humeur et de
l'intelligence en même temps que des troubles dans les secrétions
(menstruation, urination, fonction thyroïdienne). Aujourd'hui,
hardiment, on peut conclure. Le cerveau ne sécrète pas la pensée
comme le rein sécrète l'urine, liquide excrémentiel, nocif rejeté
hors de l'organisme. Mais il recueille, intègre, élabore les
impressions venues de l'extérieur ou de l'intérieur pour les
transformer en mouvements, sécrétions ou pensées, comme le tube
digestif saisit, absorbe et assimile les aliments pour les
transformer en travail et en chaleur. La phylogénèse en surprend la
première apparition dans la cellule neuro-épithéIiale des
coeleutérés (hydres et méduses) pour en suivre le développement
progressif jusqu'à l'encéphale des Primates supérieurs, comme elle
laisse voir le cytostome des Infusoires ciliés devenir graduellement
l'estomac des Hominiens. L'ontogénèse montre le système nerveux de
l'homme partir de l'état rudimentaire dans l'embryon, passer par la
phase segmentaire et inter-segmentaire chez le foetus pour s'épanouir
en appareil supra segmentaire chez l'adulte. Organe différencié de
la primitive irritabilité élémentaire, issue elle-même de
l'action de l'énergie cosmique, le cerveau s'avère fonction du
mouvement et facteur de
mouvement.
Il constitue une merveilleuse manifestation de la vie universelle.
Dr
F. ELOSU.
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