samedi 2 juin 2018

CÉLIBAT Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure





S’il était une « Vérité », elle serait anarchiste ; et l’on pourrait affirmer a priori que, ce qui nuit à l’État favorisant l’anarchie, l’idéal, résiderait dans le célibat, c’est-à-dire le défaut d’union légale ou non, entre l’homme et la femme. Mais les libertaires n’admettent rien sans discussion et confrontent sans cesse les faits avec les principes.
Dans tous les temps et dans maints pays, les gouvernements ont sévi contre le célibat et infligé des amendes aux réfractaires au joug conjugal. Autrefois les Grecs et les Romains considéraient que l’absence de famille et de progéniture portait atteinte au culte des aïeux, menacé de s’éteindre faute de postérité déférente, et à la prospérité de l’État, compromise par la diminution des effectifs militaires et de la masse taillable et corvéable à merci.
Les monarchies et républiques contemporaines, la France entre autres, suivent la même ligne de conduite et frappent d’une peine pécuniaire leurs ressortissants non mariés. Cependant les motifs ne sont pas tout à fait les mêmes ; le culte des dieux lares, la nécessité de perpétuer le foyer ancestral n’inquiètent guère le législateur moderne, plus prosaïque, surtout soucieux de remplir son coffre-fort et de pourvoir les casernes de chair à canon. L’État n’exige ni encens, ni prières, mais de l’argent pour alimenter ses privilèges et des soldats pour les défendre.
A la réflexion, la loi contre le célibat se montre arbitraire et particulièrement odieuse de nos jours. Car, maintenant, bien des gens ne se marient pas par impossibilité de fait et non par aversion pour le mariage ; ils voudraient, ne trouvent pas, ne peuvent pas. Depuis que, dans une crise de stupide fureur anti-populaire, les gouvernements ont volontairement déchaîné la guerre et fusillé par millions leurs sujets mâles, beaucoup de femmes soupirent en vain après une union légale. Les maîtres perçoivent un impôt sur les défaillants à un hymen impossible, mais oublient hypocritement d’autoriser la polygamie et de l’encourager par des exonérations fiscales. Ils veulent des enfants légitimes ou illégitimes, mais sans les payer.
Suivant en apparence une autre voie que les puissances temporelles, le christianisme, à son origine, marqua à ses adeptes son éloignement pour le mariage où il voyait une atteinte dangereuse au culte exclusif de Dieu. « Celui qui n’est point marié s’occupe des choses du Seigneur, cherchant à plaire au Seigneur , mais celui qui est marié s’occupe des choses du monde, cherchant à plaire à sa femme (St-Paul, « lre Epître aux Corinthiens ») ». C’est que, au début, la religion nouvelle était surtout une morale, une discipline de perfectionnement intérieur, ne visait pas à la domination matérielle, ne prévoyait ni finances ni armée. Malgré les séductions de la vertu, les premiers catéchumènes ne purent se résoudre à la continence ; les prêtres et évêques eux-mêmes continuèrent à vivre en union légitime ou en concubinage jusqu’au XIe siècle, où, par la force, le pape Grégoire VII imposa, le célibat aux ecclésiastiques, en invoquant que « l’Église ne peut se libérer de la domination des laïques si les clercs ne se délivrent pas de leurs épouses ».
L’humble christianisme primitif, devenu le catholicisme triomphant, ambitionnait le pouvoir intégral, la primauté universelle. Afin de l’obtenir, il décrétait la chasteté pour son clergé militant auquel la pureté assurerait vigueur physique et force morale ; mais il préconisait les conjonctions prolifiques pour les simples fidèles dont la masse grandissante apporterait un copieux tribut. Et aujourd’hui on voit les prêtres de toutes les confessions se faire les complices des gouvernements meurtriers et pousser leurs ouailles à repeupler à outrance les champs de bataille.
A la fin de sa pièce « L’Ennemi du Peuple », Ibsen, conclut : « L’homme vraiment puissant est l’homme seul ». Il signifiait par là que société, parents, amis, influencent et diminuent la personnalité de l’individu, l’entravent dans son développement propre ; la vie sociale et familiale oblige à des concessions constantes, souvent si étendues qu’elles entraînent le caractère le plus droit à s’exprimer et à agir contre son sentiment, contre sa volonté. Le grand dramaturge voyait juste ; chaque jour permet de vérifier comment le souci de ménager l’opinion publique, la crainte de nuire aux intérêts des siens, le désir d’éviter de la douleur aux êtres aimés, amènent le militant le mieux doué à de puériles capitulations, à de tristes renoncements, à de funestes défaillances, parfois à l’avilissement et la trahison. L’homme réellement libre, l’homme véritablement fort, c’est l’homme
seul. Mais à quoi lui servirait sa liberté s’il ne pouvait l’aliéner au service des esclaves incapables de se libérer seuls ? Quel usage ferait-i1 de sa puissance, s’il ne l’exerçait pour le bonheur de ceux à qui leur faiblesse ne permet pas de vivre seuls ? Au contact de la société, dans la famille, ce surhomme devient un être humain, simplement. Que le plus pur des anarchistes lui jette la première pierre, s’il l’ose ! Il n’y a pas sur un arbre deux feuilles pareilles, ni dans le monde deux personnes identiques. Pure chimère que la recherche d’un autre soi-même pensant et agissant dans une étroite communion, sous une impulsion analogue. Néanmoins cette recherche devient passionnante parce qu’elle conduit à d’étonnantes découvertes. En un perpétuel et stérile narcissisme, l’homme se poursuit en vain dans le regard de ses semblables ; il saisit dans le miroir des yeux une vivante et singulière lueur et non un pâle reflet, une fière solitude et non une banale sujétion. Nul ne rencontre l’âme-soeur, ni la femme faite à son image. Chaque être reste seul, éternellement. Unir deux solitudes, c’est créer de la douleur, et aussi des joies. La souffrance, plus que l’amour, anime l’esprit, élève la pensée, exalte le poète ; ou plutôt l’amour est souffrance. Et l’homme ne peut échapper à l’amour Comment le solitaire, l’anarchiste aura-t-il l’amour ? Tout dans la nature, végétaux et animaux, se pare pour la recherche sexuelle, fleurit, embaume, roucoule, fait la roue, courtise. La véritable possession ne réside pas en un viol,, mais en un choix, parfois rapide, parfois différé, toujours consenti. Il y a consentement, il y a union : passagère, temporaire, durable ou définitive. L’amour n’existe pas sans union. Peut-être dans la vie des troupeaux, la fécondation se fait-elle d’autorité, sans dilection ? Apparence ; l’union devient plurale, persiste sous la superficielle passivité. D’ailleurs le libertaire se targue de ne pas vivre selon le monde grégaire. Ni chef, ni sujet. En amour, il ne prend, ni n’impose ; n’achète, ni ne se vend ; ne débauche, ni ne se prostitue. Il demande et il s’offre. Il ne fornique pas, il aime. Aimer c’est unir deux corps, deux tendresses, deux souffles, deux existences. Union d’un jour, union d’un ,an, union à vie ? Nul ne sait dès l’abord combien resteront unis ceux qui se sont joints une fois ; ni si leurs affinités et leurs dissemblances ne les sépareront pas, ou si elles les fixeront. Pour échapper à l’étreinte de deux bras blancs, à l’emprise d’un regard énigmatique et charmeur, pour s’assurer un destin libre de toute contrainte morale et affermi contre la moindre compromission, l’anarchiste, le militant, l’apôtre se dévouera au célibat absolu, à la continence complète. Il ne connaîtra ni épouse, ni compagne, ni camarade, ni passante, nulle femme. Ses nuits seront sans caresses, ses jours sans abandons. Il ira beau, puissant, sublime, mais seul. Bien peu changeront la faiblesse de leur union contre la force de cette solitude.


Dr ELOSU.


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