« Il était donc nécessaire de montrer comment le
système actuel l'a façonnée , et comment la masse des indifférents
et des neutres est devenue progressivement une immense armée de
mécontents, prête à obéir à toutes les suggestions des utopistes
et des rhéteurs. C'est à l'école que se forment aujourd'hui les
socialistes et les anarchistes et que se préparent pour les peuples
latins les heures prochaines de décadence ».
« La puissances des mots est liée aux images
qu'ils évoquent et tout à fait indépendante de leur signification
réelle. Ce sont parfois ceux dont le sens est le plus mal défini
qui possèdent le plus d'action. Tels par exemple, les termes :
démocratie, socialisme, égalité, liberté etc,...dont le sens est
si vague que de gros volumes ne suffisent pas à le préciser.Et
pourtant il est certain qu'une puissance vraiment magique s'attache à
leurs brèves syllabes, comme si elles contenaient la solution de
tous les problèmes. Ils synthétisent les aspirations inconscientes
les plus diverses et l'espoir de leur réalisation.
La raison et les arguments ne sauraient lutter contre
certains mots et certaines formules. On les prononce avec
recueillement devant les foules ; et, dès qu'ils ont été
prononcés, les visages deviennent respectueux et les fronts
s'inclinent. Beaucoup les considèrent comme des forces de la nature,
des puissances surnaturelles. Ils évoquent dans les âmes des images
grandioses et vagues, mais le vague même qui les estompe augmente
leur mystérieuse puissance. Ils sont les divinités mystérieuses
cachées derrière le tabernacle et dont le dévot ne s'approche
qu'en tremblant. »
« Les mots n'ont donc que des significations
mobiles et transitoires, changeantes d'âge en âge et de peuple à
peuple ; et, quand nous voulons agir par eux, sur la foule, ce
qu'il faut savoir, c'est le sens qu'ils ont pour elle à un moment
donné , et non celui qu'ils eurent jadis et qu'ils peuvent avoir
pour des individus de constitution mentale différente ».
« Si l'on détruisait, dans les musées et les
bibliothèques, et que l'on fit écrouler , sur les dalles des
parvis , toutes les œuvres et tous les monuments d'art qu'ont
inspirés les religions, que resterait-il des grands rêves humains ?
Donner aux hommes la part d'espoir et d'illusion sans laquelle ils ne
peuvent exister , telle est la raison d'être des dieux, des héros
et des poètes. Pendant cinquante ans , le science parut assumer
cette tâche. Mais ce qui l'a compromise dans les cœurs affamés
d'idéal, c'est qu'elle n'ose plus assez promettre et qu'elle ne sait
pas assez mentir ».
« Le grand facteur de l'évolution des peuples n'a
jamais été la vérité, mais bien l'erreur. Et si le socialisme est
si puissant aujourd'hui, c'est qu'il constitue la seule illusion qui
soit vivante encore. Malgré toutes les démonstrations
scierntifiques, il continue à grandir. Sa principale force est
d'être défendu par des esprits ignorant assez les réalités des
choses pour oser promettre hardiment à l'homme le bonheur.
L'illusion sociale règne aujourd'hui sur toutes les ruines
amoncelées du passé, et l'avenir lui appartient. Les foules n'ont
jamais eu soif des vérités. Devant les évidences qui leur
déplaisent, elles se détournent, préférant déifier l'erreur, si
l'erreur les séduit. Qui sait les illusionner est aisément leur
maître, qui tente de les désillusionner est toujours leur
victime ».
«
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