vendredi 22 juin 2018

Lignes N°55




Juan Branco : Le corps de l'indigné


« L'indignation est donc une affaire de mondes, de faire mondes, et donc une affaire de mots. C'est pourquoi elle entretient un rapport étroit avec la philosophie, et c'est pourquoi elle est si facilement manipulable. Car nous ne sommes pas égaux face aux mots. C'est pourquoi nous avons institué ce que nous nommons des représentants, c'est-à-dire des intermédiaires chargés de porter notre parole, de la formuler, et de l'interpréter : de nous délivrer de ces sentiments et de nous protéger de notre impuissance potentielle à leur égard. C'est pourquoi enfin nous sommes si tributaires, si dépendants, si obsessionnellement attachés, à cette chose qure l'on appelle politique, alors que nous en percevons tous – et en particulier ceux qui ont eu le privilège de développer un rapport à chaque fois plus personnel, plus intime et donc propre au langage – la vacuité et le faux-semblant. »

« Un déversoir en somme que ces révoltes non-nées que furent les mouvements indignés, où l'anesthésie serait le seul résultat possible, une anesthésie collective où l'on recréa de façon éphémère un sentiment d'appartenance permettant de calmer la brûlure suscitée par l'indignation, en lui retirant l'aspiration d'effectuation qu'elle avait toujours suscitée, c'est-à-dire d'aspiration à une transformation effective et non simulacre du monde, et à son investissement dans les seuls devenirs potentiels qui pouvaient rendre ce sentiment à sa dimension politique : la révolution, la révolte, forme inachevée de la révolution, la représentation, forme intermédiaire de la révolution, ou l'intégration, forme contraire de la révolution. »



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