lundi 11 juin 2018

CHASTETE n. f. I Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




On dit couramment de la chasteté qu'elle est la vertu des personnes ennemies de tout ce qui offense la pudeur. Cette définition n'est point entièrement satisfaisante. D'abord parce que les sentiments de honte, de modestie ou de décence, dont s'inspire la pudeur, ne se constatent pas seulement à l'occasion de circonstances où sont en jeu l'amour passionnel et la volupté des sens, tandis que l'état physique et moral qui nous occupe appartient exclusivement au cadre de la sexualité. Ensuite parce que la chasteté, lorsqu'elle n'existe que dans les apparences, c'est-à-dire dans les paroles et dans la tenue, et s'efforce d'en bannir tout ce qui pourrait provoquer chez autrui des pensées de luxure, n'à que l'importance d'une réserve polie, estimable dans une certaine mesure, mais trop souvent proche de l'hypocrisie pour représenter, dans toute l'acception du terme, la chasteté. La véritable chasteté n'est pas seulement, en effet, dans l'expression et dans l'attitude. Elle est encore et surtout dans la nature de nos pensées. Or, comme il ne dépend point de la volonté que nous ne soyons brûlés par tous les feux du désir, lorsque notre organisme réclame l'étreinte qui perpétue l'espèce, il s'ensuit que la seule véritable chasteté c'est l'absence de préoccupations sexuelles. Est chaste l'enfant ignorant de la loi de procréation, dont les organes sont encore sans exigences, et qui se montre nu sans songer à mal, parce qu'il ne soupçonne même pas ce que peut être l'obscénité. Est chaste la jeune fille - en est-il beaucoup? - seulement inquiète de platonique amour, et qui, songeant à son fiancé, ne s'égare jamais en imagination jusqu'à évoquer ce que peut être sa nudité au-dessous de la ceinture, ni des scènes licencieuses dont elle ne saurait, en public, esquisser la description. Sont chastes encore les époux - sont-ils très nombreux ? - qui boudent aux mignardises de l'alcôve, et ne souhaitent les rapprochements charnels que par obéissance au commandement biblique de croître et de multiplier. S'il est en ceci, pour les adultes, une vertu, ce ne peut être qu'une vertu d'anémiques, de précoces vieillards, ou d’amoureux transis. Car elle n'est que de façade la chasteté telle qu'elle se pratique dans les sociétés influencées par la religion chrétienne, celle qui consiste à n'afficher ni maîtresse ni amant, et conserver devant le monde une retenue sévère à l'égard du culte d'Aphrodite, cependant que la pensée qui ne s'exprime point garde licence d'errer dans de suaves jardins secrets, et le sexe faculté de s'assouvir loin des regards curieux.
On confond souvent, comme identiques, la chasteté et la continence, alors qu'il s'agit en vérité de synonymes que séparent des différences notables. Si la chasteté est l'absence de préoccupations sexuelles, et le mépris ou l'ignorance du libertinage, alors même que l'on se soumettrait à des devoirs conjugaux, la continence est, par contre, l'abstention de tout rapport comme de tout plaisir sexuel, alors même que l'on souhaiterait vivement en éprouver la sensation. On peut donc être continent sans être
chaste, et la réciproque est vraie. Un prisonnier, répugnant à la sodomie comme à l'onanisme, et séparé d'une femme passionnément aimée, peut demeurer continent pendant des mois, tout en se complaisant dans des rêves dont la chasteté est exclue, tout en étant rendu demi-fou par des ardeurs dont il n'éprouve nulle honte. A l'opposé, une personne frigide, instruite dans le fanatisme religieux; et qui considère comme tentation démoniaque toute invitation au plaisir des sens, peut, en mariage dit « légitime », cesser d'être continente, par respect pour les moeurs et pour la loi, tout en demeurant chaste par principe et par tempérament.
Ajoutons qu'une telle monstruosité n'est possible que par suite d'anomalies physiologiques, coïncidant avec une passion de l'irréel proche de l'aliénation mentale. Les personnes de cette catégorie allient le plus souvent à un coeur sec et à un esprit étroit, un sang peu généreux. Cependant je pressens, de la part du lecteur, une question : Si l'on doit adopter les définitions qui précèdent, quelle peut être la portée, pratique du voeu de chasteté, que la religion catholique impose à ses prêtres et à ses religieux? Je réponds donc avec impartialité : la doctrine catholique exige des ecclésiastiques qu'à défaut d'une grâce divine leur conférant une parfaite candeur d'âme, et l'apaisement de la chair, ils luttent de tout leur pouvoir, avec l'aide des prières et des mortifications, contre les embûches de la luxure, et se refusent à lui prêter une oreille complaisante. En cela se limiterait la portée du voeu de chasteté - qui n'exclurait point les épousailles et la procréation - si la règle de l'Eglise n'imposait aux ecclésiastiques, par surcroît, le célibat, c'est-à-dire la continence, l'oeuvre de chair n'étant autorisée qu'en mariage seulement.
Mais, si le lecteur curieux désirait savoir dans quelle mesure le clergé se conforme à des conditions d'existence aussi draconiennes, je me bornerais à lui répéter fidèlement ce que m'avoua un jour, en tête-à-tête, un sympathique abbé défroqué, qui, après avoir été jadis mon contradicteur, devint mon ami : « La plupart des prêtres ne se privent de rien, mais opèrent avec réserve et discrétion ; une minorité trouve des compensations dans les pratiques solitaires ou l'homosexualité; un nombre infime, servi par l'âge ou l'exaltation mystique, est en mesure de tenir ses engagements. » Et sa conclusion était : « A force de vouloir faire l'ange; on finit par faire la bête! ». Cette conclusion fut aussi la mienne.

Jean MARESTAN.


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