On
dit couramment de la chasteté qu'elle est la vertu des personnes
ennemies de tout ce qui offense la pudeur. Cette définition n'est
point entièrement satisfaisante. D'abord parce que les sentiments de
honte, de modestie ou de décence, dont s'inspire la pudeur, ne se
constatent pas seulement à l'occasion de circonstances où sont en
jeu l'amour passionnel et la volupté des sens, tandis que l'état
physique et moral qui nous occupe appartient exclusivement au cadre
de la sexualité. Ensuite parce que la chasteté, lorsqu'elle
n'existe que dans les apparences, c'est-à-dire dans les paroles et
dans la tenue, et s'efforce d'en bannir tout ce qui pourrait
provoquer chez autrui des pensées de luxure, n'à que l'importance
d'une réserve polie, estimable dans une certaine mesure, mais trop
souvent proche de l'hypocrisie pour représenter, dans toute
l'acception du terme, la chasteté. La véritable chasteté n'est pas
seulement, en effet, dans l'expression et dans l'attitude. Elle est
encore et surtout dans la nature de nos pensées. Or, comme il ne
dépend point de la volonté que nous ne soyons brûlés par tous les
feux du désir, lorsque notre organisme réclame l'étreinte qui
perpétue l'espèce, il s'ensuit que la seule véritable chasteté
c'est l'absence de préoccupations sexuelles. Est chaste l'enfant
ignorant de la loi de procréation, dont les organes sont encore sans
exigences, et qui se montre nu sans songer à mal, parce qu'il ne
soupçonne même pas ce que peut être l'obscénité. Est chaste la
jeune fille - en est-il beaucoup? - seulement inquiète de platonique
amour, et qui, songeant à son fiancé, ne s'égare jamais en
imagination jusqu'à évoquer ce que peut être sa nudité au-dessous
de la ceinture, ni des scènes licencieuses dont elle ne saurait, en
public, esquisser la description. Sont chastes encore les époux -
sont-ils très nombreux ? - qui boudent aux mignardises de l'alcôve,
et ne souhaitent les rapprochements charnels que par obéissance au
commandement biblique de croître et de multiplier. S'il est en ceci,
pour les adultes, une vertu, ce ne peut être qu'une vertu
d'anémiques, de précoces vieillards, ou d’amoureux transis. Car
elle n'est que de façade la chasteté telle qu'elle se pratique dans
les sociétés influencées par la religion chrétienne, celle qui
consiste à n'afficher ni maîtresse ni amant, et conserver devant le
monde une retenue sévère à l'égard du culte d'Aphrodite,
cependant que la pensée qui ne s'exprime point garde licence d'errer
dans de suaves jardins secrets, et le sexe faculté de s'assouvir
loin des regards curieux.
On
confond souvent, comme identiques, la chasteté et la continence,
alors qu'il s'agit en vérité de synonymes que séparent des
différences notables. Si la chasteté est l'absence de
préoccupations sexuelles, et le mépris ou l'ignorance du
libertinage, alors même que l'on se soumettrait à des devoirs
conjugaux, la continence est, par contre, l'abstention de tout
rapport comme de tout plaisir sexuel, alors même que l'on
souhaiterait vivement en éprouver la sensation. On peut donc être
continent sans être
chaste,
et la réciproque est vraie. Un prisonnier, répugnant à la sodomie
comme à l'onanisme, et séparé d'une femme passionnément aimée,
peut demeurer continent pendant des mois, tout en se complaisant dans
des rêves dont la chasteté est exclue, tout en étant rendu
demi-fou par des ardeurs dont il n'éprouve nulle honte. A l'opposé,
une personne frigide, instruite dans le fanatisme religieux; et qui
considère comme tentation démoniaque toute invitation au plaisir
des sens, peut, en mariage dit « légitime », cesser d'être
continente, par respect pour les moeurs et pour la loi, tout en
demeurant chaste par principe et par tempérament.
Ajoutons
qu'une telle monstruosité n'est possible que par suite d'anomalies
physiologiques, coïncidant avec une passion de l'irréel proche de
l'aliénation mentale. Les personnes de cette catégorie allient le
plus souvent à un coeur sec et à un esprit étroit, un sang peu
généreux. Cependant je pressens, de la part du lecteur, une
question : Si l'on doit adopter les définitions qui précèdent,
quelle peut être la portée, pratique du voeu de chasteté, que la
religion catholique impose à ses prêtres et à ses religieux? Je
réponds donc avec impartialité : la doctrine catholique exige des
ecclésiastiques qu'à défaut d'une grâce divine leur conférant
une parfaite candeur d'âme, et l'apaisement de la chair, ils luttent
de tout leur pouvoir, avec l'aide des prières et des mortifications,
contre les embûches de la luxure, et se refusent à lui prêter une
oreille complaisante. En cela se limiterait la portée du voeu de
chasteté - qui n'exclurait point les épousailles et la procréation
- si la règle de l'Eglise n'imposait aux ecclésiastiques, par
surcroît, le célibat, c'est-à-dire la continence, l'oeuvre de
chair n'étant autorisée qu'en mariage seulement.
Mais,
si le lecteur curieux désirait savoir dans quelle mesure le clergé
se conforme à des conditions d'existence aussi draconiennes, je me
bornerais à lui répéter fidèlement ce que m'avoua un jour, en
tête-à-tête, un sympathique abbé défroqué, qui, après avoir
été jadis mon contradicteur, devint mon ami : « La plupart des
prêtres ne se privent de rien, mais opèrent avec réserve et
discrétion ; une minorité trouve des compensations dans les
pratiques solitaires ou l'homosexualité; un nombre infime, servi par
l'âge ou l'exaltation mystique, est en mesure de tenir ses
engagements. » Et sa conclusion était : « A force de vouloir faire
l'ange; on finit par faire la bête! ». Cette conclusion fut aussi
la mienne.
Jean
MARESTAN.
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