La
vie chère est un phénomène d’ordre économique, inhérent à
l’ordre capitaliste, qui est caractérisé par une hausse de toutes
les choses nécessaires à la vie et généralement, par une
diminution de la capacité d’achat du consommateur.
Il
y a le plus souvent à l’origine d’une crise de vie chère
persistante, une guerre, un conflit social important, une situation
économique et financière difficile. Très souvent encore, tous ces
facteurs se trouvent réunis. C’est ce qui donne à la crise toute
son acuité en même temps que la durée s’en trouve prolongée. Il
ne faut pas seulement mesurer l’étendue, la valeur chiffrée de la
vie chère en se basant exclusivement sur le prix des denrées, des
vêtements, du chauffage, etc... Trois facteurs entrent en jeu pour
évaluer la vie chère. Ce sont : le salaire nominal, l’indice du
coût de la vie et le salaire réel. On peut en effet toucher un
salaire nominal très élevé par rapport à l’indice de base
d’avant la crise, exprimé généralement par le chiffre 100, et
n’avoir qu’un salaire réel, c’est-à-dire un pouvoir d’achat,
très limité, si l’indice du coût de la vie est supérieur de
beaucoup à celui du salaire. Nous le verrons tout à l’heure par
des
tableaux
statistiques et des exemples concrets. En période normale, avant la
guerre de 1914/1918, la vie était stabilisée, en raison d’une
longue période de prospérité économique et de paix. Et, à peu
près dans tous les pays, le coût en était identique.
Un
facteur qui, en ce moment, joue un grand rôle, a détruit cet
équilibre : c’est le change. Alors qu’avant guerre la valeur
réelle de l’étalon monétaire était au pair, c’est-à-dire
égale à l’unité de même valeur des autres pays, il n’en est
plus de même aujourd’hui. La fluctuation continue des changes, les
écarts existant entre la valeur réelle et la valeur nominale des
étalons monétaires à rompu l’équilibre d’autrefois.
Immédiatement la dévalorisation de la monnaie à change bas a amené
une augmentation du coût de la vie qui a, surtout au début, porté
sur les produits importés, les denrées coloniales, achetés sur les
marchés des pays à change élevé. Tout naturellement, les produits
indigènes ont suivi la hausse et, insensiblement, ont atteint
les
prix des produits exotiques ou étrangers importés. Parallèlement à
cette crise des changes s’est tout naturellement développée
l’inflation fiduciaire. A mesure que le nombre des billets
croissait, le pouvoir d’achat du consommateur diminuait, parce que
la valeur du salaire réel ne suivait pas la courbe ascendante du
coût de la vie. La vie déjà chère par le prix des denrées, du
chauffage, du vêtement, de l’éclairage, devenait plus chère
encore, parce que le pouvoir d’achat, du consommateur était
diminué, parce que son salaire réel ne correspondait plus au coût
de la vie en constante élévation.
Ce
sont là les causes essentielles de la vie chère. II y en a d’autres
et de nombreuses : la spéculation, la sous-production d’objets
nécessaires, la surproduction des objets dont la fabrication est
supérieure aux besoins, l’impossibilité d’achat à l’étranger
par suite du change déprécié et le remplacement des productions
étrangères par l’installation d’industries non adéquates au
pays qui veut néanmoins se suffire à lui-même, le protectionnisme,
les impôts.
1°
La spéculation. - Au moment des grands conflits armés, des grandes
crises sociales, les spéculateurs, la nuée de leurs courtiers, de
leurs intermédiaires, de leurs raccoleurs, sont à l’affût. Dès
qu’ils sentent de gros besoins, de grosses demandes d’une
marchandise quelconque, ils se dépêchent de la rafler, de la
stocker ou de l’acheter à terme chez le producteur ou le
fabricant. En un clin d’oeil toute la production est achetée et,
généralement, par quelques individus seulement. Ceux-ci ont beau
jeu pour ne la revendre qu’au prix qu’ils veulent et quand ils
veulent. Il va sans dire que, les besoins étant supérieurs aux
offres, le produit ou la marchandise subissent une forte hausse, et
c’est presque toujours sur le cours supérieur, que se stabilisera,
pour un temps, le prix à venir de ce produit ou de cette
marchandise, avant de préparer le prix à une opération spéculative
ou un coup de Bourse, ce qui revient au même.
Lorsque
nous avons traité l’accaparement, nous avons aussi démontré,
comment par le jeu de la resserre, de la cessation d’envoi, les
mandataires aux Halles provoquaient la hausse des denrées de
première nécessité et périssables. C’est encore une forme de la
spéculation à la hausse.
La
spéculation, en temps normal ne réussit pas toujours et souvent des
groupes rivaux provoquent des baisses qui, en quelques jours, ruinent
leurs concurrents non prévenus ou moins forts, moins soutenus par
les Banques. Une spéculation à la baisse reste presque sans
influence sur les cours du détail. Elle reste aussi inconnue au
consommateur qui ne peut en bénéficier ; souvent encore elle n’est
que le prélude d’une spéculation à la hausse lorsque la
concurrence est supprimée et, alors, le consommateur connaît la
hausse chez le détaillant, s’il n’a pu bénéficier de la
baisse.
Comme
on le voit, ce sont là des opérations assez compliquées, mais
courantes. La spéculation est sans nul doute le principal facteur
normal de la vie chère.
2°
Sous-production d’objets nécessaires et. surproduction des objets
dont la fabrication est supérieure aux besoins.
Comme
nous l’indiquons en traitant du chômage, la production est
organisée non pas en vue de la satisfaction des besoins mais, au
contraire, pour la réalisation des profits. Il en découle,
forcément, que des productions utiles mais peu rémunératrices,
sont délaissées au profit de productions moins utiles mais plus
avantageuses ; que des produits, denrées, cultures diverses,
indispensables pourtant, ne sollicitent pas l’effort, tandis que
d’autres, moins nécessaires mais d’un meilleur rapport sont
poussés au-delà des besoins.
Il
est de toute évidence que les produits dont l’utilité, la demande
est supérieure à l’offre, à la production sont vendus, même
sans spéculation, à un prix supérieur à leur valeur réelle et
provoquent ainsi une hausse partielle du coût de la vie. Si on
considère que nombreux sont les produits et denrées pour lesquels
il en est ainsi, on concevra facilement que cette organisation
capitaliste de la production soit un facteur sensible de vie chère.
La contrepartie n’existe d’ailleurs pas pour les produits dont la
production est supérieure aux besoins. Le développement de ces
besoins d’une part, la spéculation, la destruction ou le stockage
d’autre part, permettent aisément aux détenteurs, spéculateurs
et intermédiaires de fixer le cours qu’ils veulent. Ainsi
l’abondance du vin, depuis la guerre, en France, n’a pas fait
baisser le prix de cette marchandise. Elle a tout simplement suivi le
cours général des autres marchandises et, le consommateur n’a pas
bénéficié, le moins du monde de cet excédent réel de production.
Il a consommé davantage et c’est tout.
3°
Impossibilité d’achat à l’étranger en raison de la
dépréciation du change et installation d’industries de
remplacement non adéquates au pays. La dépréciation trop
considérable de la monnaie d’un pays ne permet plus à ce dernier
de s’approvisionner en denrées coloniales, en produits étrangers
dans les pays à change haut. Conséquemment, il doit chercher, dans
la mesure du possible à vivre sur lui-même. Pour cela, il est
obligé de créer de toutes pièces des industries de remplacement
pour lesquelles il n’est pas outillé, pas préparé ni
approvisionné en matière première.
En
produisant des « ersatz », des objets ou marchandises qui lui font
défaut, ou en s’approvisionnant en matières premières au lieu
des produits finis, il arrive parfois à se suffire ou à peu près.
Mais toutes ces installations, tous ces achats, faits, il est vrai,
en monnaie du pays, n’en coûtent pas moins très chers et
provoquent une augmentation du coût de la vie.
4°
Le protectionnisme.
En
protégeant, et souvent d’une façon extrêmement outrancière, les
produits ou l’industrie du pays, les dirigeants obligent la
population de ce pays à vivre sur ses ressources ; s’il arrive que
la récolte ou la production soient déficitaires et qu’il faille
acheter au dehors, le prix de la marchandise importée subit une
hausse correspondante à l’importance de l’achat extérieur.
En
outre, le cours de la marchandise du pays, dont la parité s’établit
sur le cours extérieur, subit une hausse de même importance.
Parfois
les gouvernements baissent bien les droits de douane pour la
marchandise nécessaire, mais le vendeur, par représailles, tenant
compte du droit normal, majore d’autant le prix initial. Enfin, la
spéculation, agissant extérieurement et intérieurement, pousse à
la hausse en tenant la dragée haute aux acheteurs directs, aux
détaillants
et ceux-ci, par répercussion, aux consommateurs. Le protectionnisme
est donc une cause certaine d’augmentation du coût de la vie et
les droits prohibitifs dont sont frappés marchandises et produits
retombent en fait sur le consommateur. Seuls le commerce et
l’industrie du pays protégé en bénéficient, puisque toute
concurrence extérieure devient impossible.
5°
Les impôts.
Les
impôts divers : chiffre d’affaires, taxe de soi-disant luxe et
surtout les impôts Indirects, droits d’octroi, etc., sont aussi
une cause permanente de vie chère. Rentrant dans les frais généraux
des exploitants, fabricants, industriels et commerçants pour leur
valeur réelle, ils sont majorés, plusieurs fois leur valeur et, en
définitive, payés entièrement par le consommateur. L’annonce de
nouveaux impôts donne toujours lieu à une augmentation sensible du
coût de la vie. Pour peu que les choses traînent en longueur, que
le Parlement discute quelques mois de la nouvelle taxe, on peut-être
certain que le consommateur subira trois ou quatre augmentations sur
denrées, loyers, etc., etc., ce qui ne l’empêchera pas, au vote
de la loi ou à la mise en vigueur du décret. de subir
l’augmentation majorée comme il convient et cela parait normal aux
vendeurs. Hélas ! le commerce comme la propriété, c’est bien le
vol, a dit Proudhon !
Il
y a enfin des causes locales ou régionales d’augmentation du coût
de la vie. L’affluence de la troupe, le gros mouvement des
affaires, les situations spéciales occupées par les stations
balnéaires ou climatériques, la présence dans une localité d’une
industrie neuve à gros bénéfices, payant de hauts salaires sont
autant de causes
de
vie chère.
Le
calcul du salaire réel ou pouvoir d’achat s’obtient de la façon
suivante : nombre indice du salaire réel ; nombre indice du salaire
nominal x 100 ; nombre indice du coût de la vie ce qui veut dire que
le salaire réel s’obtient en divisant le nombre indice du salaire
nominal multiplié par 100 (indice général de 1914), par le nombre
indice du coût de la vie.
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