samedi 2 juin 2018

Journal de la Commune


LE DRAPEAU ROUGE


Que les progrès politiques et sociaux sont lents à s’accomplir ? Allons-nous voir enfin s’évanouir le spectre rouge de feu Romieu, ce vain et ridicule épouvantail des hommes paisibles, mais inintelligents de la France entière ?
Puisque le drapeau rouge est maintenant arboré sur nos monuments publics, il n’est pas inutile de dire quelques mots de son histoire. La routine et l’ignorance sont si grandes, que c’est une bien grosse affaire que de changer un drapeau fût-il souillé du sang et de la boue de Waterloo et de Sedan, et La Bruyère l’a dit excellemment : « Vous pouvez aujourd’hui ôter à cette ville ses franchises, ses droits, ses privilèges ; mais demain, ne songez pas même à réformer ses enseignes. »
Depuis le règne de Henri Ier jusqu’à celui de Charles VII, le drapeau national fut l’étendard rouge, connu sous le nom d’oriflamme. De Charles VII à Louis XVI sous le régime des armées permanentes et de la royauté absolue, le drapeau national fut le drapeau du roi, la bannière blanche fleurdelisée. En 1789, le 13 juillet, à l’Hôtel-de-Ville, Lafayette proposa l’adoption d’un drapeau formé par l’alliance du blanc, couleur de la royauté, avec le bleu et le rouge, couleurs du tiers-état parisien.
Le bleu était la couleur des maîtres bourgeois des villes, et le rouge la couleur des travailleurs. Le bonnet phrygien du costume officiel des paysans sous Louis XVI était rouge.
En résumé, le blanc était la couleur du roi et de ses instruments politiques, la noblesse et le clergé, le bleu celle des privilégiés du régime des maîtrises et des jurandes, le rouge celle des travailleurs, c’est-à-dire de l’immense majorité du peuple français.
En 1789, on crut pouvoir concilier toutes les classes de la société, et l’on adopta le drapeau tricolore : ce fut une contradiction avec le principe de l’égalité devant la loi, et une erreur bien pardonnable dans une époque de transition. Mais on n’arriva jamais à mêler ensemble le mercure l’eau et l’huile. En 1848, comme l’a raconté Louis Blanc, le peuple comprenait qu’à de nouvelles institutions, il faut de nouveaux emblèmes. Le drapeau rouge fut demandé spontanément et avec une passion où se révélait la profondeur des instincts populaires.
Lamartine, ce poète à l’esprit faux, cet homme à la vanité féminine et monstrueuse, l’amant de Graziella, qui, né riche, gaspilla sa fortune, et, devenu pauvre, vécut sans dignité, et mourut trop tard, accablé sous les aumônes d’Emile Ollivier et de Napoléon III, osa proférer en 1848 ce mensonge historique : « Le drapeau rouge n’a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars, traîné dans le sang du peuple ! »
Aujourd’hui, le drapeau rouge flotte dans les airs ! L’application du principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi politique avec les conséquences sociales qu’il implique, finira par confondre tous les Français dans une seule classe, celle des travailleurs ! Le peuple est devenu majeur, comme aux Etats-Unis, et il entend se gouverner lui-même. Il veut que la devise : Liberté, Egalité, Fraternité ! ne soit plus un mensonge inscrit sur le fronton de nos édifices. Une nouvelle ère commence, l’ère des travailleurs, novus ordo soeculorum, comme disent les Américains.
A nouvelle ère, nouveau drapeau ! Le drapeau du travail, de la paix et de l’égalité, le drapeau rouge !

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