LE
DRAPEAU ROUGE
Que
les progrès politiques et sociaux sont lents à s’accomplir ?
Allons-nous voir enfin s’évanouir le spectre rouge de feu Romieu,
ce vain et ridicule épouvantail des hommes paisibles, mais
inintelligents de la France entière ?
Puisque
le drapeau rouge est maintenant arboré sur nos monuments publics, il
n’est pas inutile de dire quelques mots de son histoire. La routine
et l’ignorance sont si grandes, que c’est une bien grosse affaire
que de changer un drapeau fût-il souillé du sang et de la boue de
Waterloo et de Sedan, et La Bruyère l’a dit excellemment : « Vous
pouvez aujourd’hui ôter à cette ville ses franchises, ses droits,
ses privilèges ; mais demain, ne songez pas même à réformer ses
enseignes. »
Depuis
le règne de Henri Ier jusqu’à celui de Charles VII, le drapeau
national fut l’étendard rouge, connu sous le nom d’oriflamme. De
Charles VII à Louis XVI sous le régime des armées permanentes et
de la royauté absolue, le drapeau national fut le drapeau du roi, la
bannière blanche fleurdelisée. En 1789, le 13 juillet, à
l’Hôtel-de-Ville, Lafayette proposa l’adoption d’un drapeau
formé par l’alliance du blanc, couleur de la royauté, avec
le bleu et le rouge, couleurs du tiers-état parisien.
Le
bleu était la couleur des maîtres bourgeois des villes, et le rouge
la couleur des travailleurs. Le bonnet phrygien du costume officiel
des paysans sous Louis XVI était rouge.
En
résumé, le blanc était la couleur du roi et de ses instruments
politiques, la noblesse et le clergé, le bleu celle des privilégiés
du régime des maîtrises et des jurandes, le rouge celle des
travailleurs, c’est-à-dire de l’immense majorité du peuple
français.
En
1789, on crut pouvoir concilier toutes les classes de la société,
et l’on adopta le drapeau tricolore : ce fut une contradiction avec
le principe de l’égalité devant la loi, et une erreur bien
pardonnable dans une époque de transition. Mais on n’arriva jamais
à mêler ensemble le mercure l’eau et l’huile. En 1848, comme
l’a raconté Louis Blanc, le peuple comprenait qu’à de nouvelles
institutions, il faut de nouveaux emblèmes. Le drapeau rouge fut
demandé spontanément et avec une passion où se révélait la
profondeur des instincts populaires.
Lamartine,
ce poète à l’esprit faux, cet homme à la vanité féminine et
monstrueuse, l’amant de Graziella, qui, né riche, gaspilla sa
fortune, et, devenu pauvre, vécut sans dignité, et mourut trop
tard, accablé sous les aumônes d’Emile Ollivier et de Napoléon
III, osa proférer en 1848 ce mensonge historique : « Le drapeau
rouge n’a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars, traîné dans
le sang du peuple ! »
Aujourd’hui,
le drapeau rouge flotte dans les airs ! L’application du principe
de l’égalité de tous les citoyens devant la loi politique avec
les conséquences sociales qu’il implique, finira par confondre
tous les Français dans une seule classe, celle des travailleurs ! Le
peuple est devenu majeur, comme aux Etats-Unis, et il entend se
gouverner lui-même. Il veut que la devise : Liberté, Egalité,
Fraternité ! ne soit plus un mensonge inscrit sur le fronton de nos
édifices. Une nouvelle ère commence, l’ère des travailleurs,
novus ordo soeculorum, comme disent les
Américains.
A
nouvelle ère, nouveau drapeau ! Le drapeau du travail, de la paix et
de l’égalité, le drapeau rouge !
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