Paris,
le 29 mars 1871.
Tout
mouvement politique qui ne porte pas en soi une idée nouvelle,
créatrice, féconde, ou qui, portant cette idée, ne fait pas surgir
aussitôt des hommes capables de la dégager et de la défendre, est
condamné, même après un éclatant triomphe de la force, à avorter
misérablement.
Ces
hommes de réflexion profonde et d’action rapide se trouvèrent
prêts aux premières journées de 1789. Aux mouvements instinctifs,
tumultueux de la foule ils donnèrent l’âme, l’intelligence, la
vie enfin ! ils en firent des mouvements humains, philosophiques pour
ainsi dire, et en quelques mois la foule instinctive était devenue
un grand peuple, conscient de lui-même, le peuple de la Révolution.
Les Socrate accoucheurs d’idées n’ont pas manqué non plus à la
révolution du 18 mars.
Après
l’avoir faite, ils l’ont acclamée, défendue, démontrée. Hier
elle parlait ; dès aujourd’hui elle agit et ainsi elle se démontre
encore. Les combattants du 10 août ne se bornèrent pas à proclamer
la liberté, l’égalité, la fraternité ; ils définirent le sens
de ces grandes paroles qui, réunies dans cette triade immortelle,
avaient encore, pour leurs contemporains, quelque chose d’étrange,
de vague et d’indéterminé ; ils en indiquèrent les applications
à la vie civile et politique.
Si
les révoltés du 18 mars n’avaient su au lendemain de leur
victoire que bégayer le mot de Commune, sans déterminer dès
l’abord les principes élémentaires, primordiaux de l’organisation
communale, il ne resterait peut-être aujourd’hui, de leur
vaillance et de leur force, que le souvenir d’une défaite.
Pendant
vingt ans peut-être ils auraient subi les outrages et les calomnies
de l’histoire mensongère, comme les insurgés de juin 1848,
auxquels il ne manqua pour triompher que de concevoir, même
imparfaitement, la question impérieuse et redoutable qu’ils
avaient sentie et posée.
Avouons-le,
la tâche était moins dure aux hommes du 18 mars. Le déplorable
malentendu qui, aux journées de juin, arma l’une contre l’autre
deux classes, toutes deux intéressées, sinon également, aux
grandes réformes économiques, cette funeste méprise qui rendit la
répression de juin si sanglante ne pouvait se renouveler. Cette fois
l’antagonisme n’existait pas de classe à classe, il n’y avait
pas d’autre sujet de lutte que la vieille guerre, toujours
recommencée, bientôt finie sans doute, de la liberté contre
l’autorité, du droit municipal contre l’absorption et
l’arbitraire gouvernemental.
Paris,
en un mot, était prêt à se lever tout entier pour conquérir son
indépendance, son autonomie ; il voulait, en attendant que la nation
le voulût avec lui, le self-government,
c’est-à-dire la République. Oh ! non, ils ne calomniaient pas
l’exécutif, ceux qui l’accusaient de conspirer pour la
monarchie. Indigné, l’exécutif protestait de sa sincérité et de
ses bonnes intentions.
Eh
! que pouvaient faire au peuple de Paris les intentions de l’exécutif
! Il y a quelque chose qui domine les intentions des hommes, c’est
la force des choses, la logique des principes.
Centralisateur
à outrance, au point de priver Paris pendant des mois et sans fixer
de terme à sa déchéance, de cette municipalité subordonnée,
restreinte, que la tutelle gouvernementale concède aux plus modestes
villages, au point de lui maintenir le stigmate avilissant que
l’Empire lui avait imprimé, ce caractère honteux de
ville-caracansérail qui chaque jour effaçait davantage son
originalité et son génie ; centralisateur par goût et par système,
l’exécutif nous précipitait de nouveau, qu’il en eût ou non
conscience, vers la forme la plus parfaite, la plus matérielle de la
centralisation administrative et politique, vers la royauté. Que les
partisans de la République centraliste, bourgeoise, fondée sur
l’antagonisme du citoyen et de l’Etat, du travail et du capital,
de la clase moyenne et de la plèbe, que les formalistes y
réfléchissent : leur utopie a toujours servi de pont à la
monarchie ; c’est elle qui pendant longtemps a tué, en France,
l’idée même de république.
Aujourd’hui
cette idée abattue se redresse plus fière et plus triomphante,
arborant audacieusement son premier drapeau, ajoutant à son nom
nouveau son vieux titre patronymique. Fidèle à sa tradition,
consciente d’elle-même, la république est aussi la Commune.
C’est
la revanche de la science et du travail, de la liberté et de
l’ordre, dont la routine gouvernementale avait pendant près d’un
siècle retardé l’événement. S’élevant au-dessus des
brouillards qui l’enveloppaient, débarrassée des obstacles qui
lui barraient le passage, sûre de sa force, la Révolution va de
nouveau, par sont exemple et sa propagande, répandre sur le monde la
liberté, l’égalité, la justice.
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