mercredi 26 mai 2021

Réflexions sur la violence par Georges Sorel

 "Aujourd’hui, nous voyons que cela pourrait fort bien arriver : les amis de Jaurès, les cléricaux et les démocrates placent leur idéal de l'avenir dans le Moyen Âge : ils voudraient que la concurrence fût tempérée, que la richesse fût limitée, que la production fût subordonnée aux besoins. Ce sont des rêveries que Marx regardait comme réactionnaires [« Ceux qui, comme Sismondi, veulent revenir à la juste proportionnalité de la production, tout en conservant les bases actuelles de la société, sont réactionnaires, puisque, pour être conséquents, ils doivent aussi vouloir ramener toutes les autres conditions de l'industrie des temps passés..."


"Le socialisme parlementaire voudrait s'unir aux moralistes, à l’Eglise et à la démocratie dans le but d'enrayer le mouvement capitaliste ; et cela ne serait peut-être pas impossible, étant donnée la lâcheté bourgeoise."


"Les recherches de Tocqueville nous permettent d'étudier à ce point de vue la Révolution française. Il étonna beaucoup ses contemporains quand, il y a un demi-siècle, il leur montra que la Révolution avait été beaucoup plus conservatrice qu'on ne le disait jusque-là. Il fit voir que les institutions les plus caractéristiques de la France moderne datent de l'Ancien Régime (centralisation, réglementation à outrance, tutelle administrative des communes, interdiction pour les tribunaux de juger les fonctionnaires) ; il ne trouvait qu’une seule innovation importante : la coexistence, qui fut établie en l'an VIII, de fonctionnaires isolés et de conseils délibérants. Les principes de l’Ancien Régime reparurent en 1800 et les anciennes habitudes reprirent faveur ."


"Il est certain que Napoléon n’a pas eu un effort extraordinaire à accomplir pour remettre le pays sur un pied monarchique. Il a reçu la France toute prête et n’a eu qu’à faire quelques corrections de détail pour profiter de l’expérience acquise depuis 1789. Les lois administratives et fiscales avaient été rédigées, pendant la Révolution, par des gens qui avaient appliqué les méthodes de l’Ancien Régime ; elles subsistent encore aujourd'hui d'une manière à peu près intacte. Les hommes qu'il employa avaient fait leur apprentissage sous l’Ancien Régime et sous la Révolution ; tous se ressemblent ; tous sont des hommes du vieux temps par leurs procédés de gouvernement ; tous travaillent, avec une égale ardeur, pour la grandeur de Sa Majesté [C’est à cette conclusion qu’aboutit aussi L. Madelin dans un article des Débats du 6 juillet 1907 sur les préfets de, Napoléon 1er.]. Le véritable mérite de Napoléon fut de ne pas trop se fier à son génie, de ne pas se laisser aller aux rêves qui avaient, tant de fois, égaré les hommes du XVIIIe siècle et les avaient conduits à tout vouloir régénérer de fond en comble, – en un mot, de bien reconnaître le principe de l’hérédité historique. Il résulte de là que le régime napoléonien peut être regardé comme une expérience mettant en évidence le rôle énorme de la conservation à travers les plus grandes révolutions.

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