(Xavier Darcos, ministre délégué de l’enseignement ; et Luc Ferry ministre de l’éducation nationale)
Georges Mucha,
maître-auxiliaire en Génie mécanique-Productique, s’est donné la mort le 4
octobre 2002, un mois après que la mesure de licenciement de l’Education
Nationale prise à son encontre est devenue effective.
Certes, Monsieur le Ministre,
puisque vous ne savez pas à 1000 ou 2000 près - c'est votre ministre délégué
qui l’a affirmé -, combien vous employez de personnels, nous imaginons bien que
l’obscur maître auxiliaire qui disparaît ne bouleversera pas vos statistiques.
Mais pour nous, Georges demeurera le symbole de tous ceux et celles qui sont
broyés par la société libérale que vous représentez au plus haut niveau.
Georges avait eu une vie
souvent difficile, et il avait réussi à surmonter tous les drames personnels et
affectifs qui ont émaillé son existence. Depuis deux ans, date de la première
demande de licenciement, il avait voulu garder l’espoir. Celui-ci s’est
amenuisé avec chaque aide que Georges n’a pas reçue, avec chaque rapport
ignorant ses efforts et niant son goût de l’enseignement.
Depuis son licenciement,
Georges n’avait plus aucun revenu: les allocations de perte d’emploi n’arrivent
que plusieurs mois plus tard. Comme il est bien difficile, avec un salaire de
maître-auxiliaire, d’avoir des économies, Georges connaissait l’humiliation
quotidienne de survivre avec l’argent de ses amis. Sans doute ne le saviez-vous
pas : cela n’entre pas dans vos hautes attributions.
Georges était fragile. Sans
doute allez-vous tirer argument de cette fragilité même pour justifier a
posteriori son licenciement, puisque dans la société que vous représentez, il
n’y a pas de place pour les hommes fragiles.
Le monde que nous défendons
est un monde où on est solidaire des hommes fragiles. Le vôtre est un monde où
on les licencie. Mais venons-en à ce licenciement, précisément.
Georges avait des “lacunes
pédagogiques”, dites-vous. C’est du moins ce qu’affirme un de vos Inspecteurs,
qui l’a visité deux fois une heure; dans le même mois, en mai 2000. Souffrez
que nous doutions de la gravité de ces lacunes, quand nous voyons que les
services rectoraux lui proposent en septembre 2001 d’effectuer un remplacement
dans des classes post-bac.
Admettons même que Georges ait
eu des lacunes. Vous avez la responsabilité, dites-vous, du bon fonctionnement
du service public. Pourquoi lui avoir refusé au cours de l’année 2000.2001
l’aide pédagogique qu’il a réclamée avec insistance ? Aucun tuteur n’a été
désigné, aucun inspecteur n’est venu lui prodiguer ses conseils.
Vous avez la responsabilité,
dites-vous encore, de la qualité des enseignements qui sont dispensés. Est-ce
la même responsabilité que vous exercez quand vous recrutez par petites
annonces ces centaines de contractuels et de vacataires qui se retrouvent du
jour au lendemain devant une classe sans aucune formation, sans parfois avoir la
moindre idée du programme qu’ils vont devoir enseigner ?
Vous n’êtes pas comptables, dites-vous,
de la politique de la nation. Vous n’êtes que ministre, et vous Monsieur le
Recteur vous n’êtes que fonctionnaire d’exécution. Certes, le bourreau n’est
pas comptable de la mort de celui qu’il exécute.
Monsieur Mucha n’était pas
fait pour l’enseignement, affirmerez-vous doctement. Si c’était exact, outre
qu’on comprendrait mal que vous l’ayez réemployé depuis onze ans, on
comprendrait mal ces rapports qui écrivent qu’il “a encadré les classes
technologiques avec efficacité” (rapport de 1995), “Il est très soucieux de
faire réussir ses élèves”. (rapport de 1995), il “s’implique beaucoup dans la
vie du lycée et est très proche de ses élèves” (1994), "Enseignant investi.
C’est très bien." (février 2000).
Vous avez employé Georges
pendant onze ans. Les “classes difficiles”, que mentionne le rapport de 1994,
il les a eues. Les changements d’établissement, l’attente du lendemain
incertain, les salaires suffisant à peine à vivre, il a connu tout cela. Et
vous estimiez alors ses compétences suffisantes pour enseigner.
Pourquoi est-il devenu soudain
inapte au point d’être radié définitivement de l’Education Nationale ?
Il est arrivé dans l’académie
de Clermont. En février de cette année-là, il était encore gratifié d’un
“enseignant investi. C’est très bien” par son chef d’établissement. Il a pris
part à des grèves. Il a déplu à son chef d’établissement. En mai, celui-ci a
écrit que Georges “ne semble pas en accord avec la politique générale de
l’établissement”. Qu’en termes délicats ces choses-là sont dites. Georges était
devenu gênant. Deux inspections ce même mois de mai, deux rapports défavorables
ont scellé son sort. Définitivement.
Il lui a fallu affronter,
outre des problèmes personnels, la menace permanente de voir mettre fin à ses
fonctions, la pression exercée par les inspections répétées, le changement
d’établissement imposé chaque année, la surveillance dont il faisait l’objet de
la part de sa hiérarchie, la rumeur qui le précédait désormais dans chaque
lycée où il arrivait. Au lieu de céder à la dépression, Georges a choisi là
aussi de faire face, et a été hospitalisé à sa demande au printemps 2002. A sa
sortie, en bonne voie de guérison, il a souhaité retrouver ses élèves,
reprendre ses fonctions. Il a alors appris qu’il allait être licencié.
Si Georges avait été
titulaire, il n’aurait pas été licencié. Mais Georges était un auxiliaire, il
représentait ce dont le pouvoir libéral a précisément besoin, et qu’il développe
sans cesse et délibérément: des individus qu’on prend, qu’on utilise quand on
en a besoin, et qu’un rapport suffit à jeter ensuite. C’est cela la politique
libérale. C’est pour cela qu’à travers Georges, c’est tous les précaires que
nous défendons, et que nous continuerons à défendre.
Oh bien sûr vous n’avez jamais
voulu la mort de Georges. Vous ne le connaissiez même pas. Vous avez simplement
“pris vos responsabilités”. Soyez assurés que nous continuerons à prendre les
nôtres en défendant tous ceux qui sont victimes de la précarité, de la
répression, des licenciements, en luttant avec eux.
Pour nous, Georges sera le
visage que nous porterons lorsque nous continuerons à nous battre aux côtés de
tous ceux que chefs d’établissements et inspecteurs jugent, que le système
trie, que le libéralisme broie.
SUD-Education, le 6 octobre
2002
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire