n. f. Franchise, bonne foi,
fidélité à ce que l'on a librement promis, voilà les éléments dont est faite la
loyauté. C'est assez dire qu'elle tient peu de place dans notre société où le
mensonge, la fourberie, le faux-semblant règnent en maîtres. Masque trompeur
qui, sous une illusoire bienveillance cache souvent de très noirs desseins, la
politesse n'est qu'un ensemble de formules consacrées, de gestes rituels vides
de tout sens profond. A la sympathie qu'affirment les lèvres, le cœur ne
souscrit pas ; la fraternité des attitudes contredit la froideur des
sentiments. Le système pédagogique, en usage dans nos écoles, incite d'ailleurs
l'enfant à tromper les autres avec impudence ; car distancer les concurrents,
voilà l'essentiel, bien faire reste accessoire. Aussi de quelles fourberies
l'élève devient-il capable, lorsqu'il s'agit d'être premier ou dans un bon rang
: copiage discret sur des notes microscopiques, faux renseignements glissés au
voisin, insidieuses démarches pour connaître d'avance les sujets de
composition. Savants, artistes, écrivains donnent l'exemple. Certaines sommités
secrètent la jalousie comme l'abeille distille le miel ; seules leurs idées
sont bonnes et malheur au téméraire qui se permet d'en douter. On prodiguera
les insinuations malveillantes, quand il s'agira d'un égal, et l'on n'hésitera
pas à briser sa carrière si l'on est en présence d'un inférieur ; puis tous les
détenteurs de prébendes officielles se dresseront sournoisement contre le jeune
dont ils devinent le talent. Dans les salons mondains, potins, cancans,
intrigues sont monnaie courante ; devant la personne, on multiplie politesses et
mots flatteurs, à peine s'éloigne-t-elle que chacun daube férocement sur son
dos. Alors pleuvent les allusions perfides, les coups sournois ; dans ces
luttes au poignard certaines femmes excellent. « Cérémonies religieuses,
soirées de bienfaisance servent de prétexte à des rendez-vous galants ; et les
quêtes charitables concèdent aux demoiselles le droit de mettre en relief
nichons et mollets. Aux jeunes mâles liberté totale de faire la noce en
lutinant les femmes ; mais des vieux l'on exige que, en bons soutiens de
l'ordre, ils cachent leurs débordements, car le peuple trop simpliste ne
comprendrait pas. Pour jouer un rôle politique, il suffira qu'à leurs anciens
vices ils joignent l'hypocrisie ; presse, église, haute administration, dont
leur caste s'assure la complicité, se chargeront de les travestir en vertueux
citoyens » (Le Règne de l'Envie). La franchise brutale du peuple est
préférable. Chez lui disparaît ce vernis des convenances qui, sous des
apparences honnêtes, dissimule les pires dépravations. Pour cacher ses amours
aux regards indiscrets, il ne dispose ni d'hôtels confortables ni de jardins
soigneusement clos ; et ses ribotes, tapageuses comme l'auberge où elles
s'étalent, ne peuvent prétendre au silence tarifé des boites où le champagne
coule à flots. Par la crudité d'un langage étranger à l'art de feindre, il
offense la pudeur de belles dames, indignées dès qu'on veut traduire en paroles
ce qu'elles accomplissent si volontiers en action. Du moins les humbles ne
connaissent pas les calculs hypocrites de la dévote ou de l'homme politique ;
dans l'ensemble, il y a chez eux plus de loyauté vraie que chez les riches ;
les intellectuels et les gens d’église. Cependant qui ne déplore de rencontrer
parfois dans les milieux d'avant[1]garde,
une discordance fâcheuse entre les déclarations doctrinales et la façon de se
comporter pratiquement? Quelle force obtiendrait le mouvement de libération,
entrepris par ceux qui l’acceptent et être « ni maîtres, ni esclaves », s'ils
joignaient toujours l'exemple à l'enseignement! C'est à leurs procédés
charitables, autant qu'à leurs croyances, que les premiers chrétiens durent de
triompher des persécutions de la Rome impériale. N'avons-nous pas, comme eux, à
lutter contre toutes les puissances humaines coalisées? Aux buissons épineux du
chemin, aux durs cailloux de la route, ne laissons-nous pas des lambeaux de
notre chair? N'est-ce pas à des traces sanglantes, que se reconnaît le passage
des meilleurs de nos frères ? Hélas! Pourquoi faut-il que les embûches soient
tendues, parfois, par ceux-là mêmes qui se disent nos amis ; pourquoi faut-il
qu'aucune main ne s'offre pour soutenir le voyageur qui tombe épuisé? Alors
surtout que nos doctrines ont cet avantage sur beaucoup d'autres de n'exiger
aucune révolution générale, aucune transformation de la société actuelle pour
pouvoir être vécues, du moins par quelques-uns, ceux, encore rares, qui les
comprennent. « Lorsqu'elles s'accompagnent de sincérité, les plus graves
divergences d'idées s'harmonisent aisément dans une mutuelle et respectueuse
estime ». Pour une doctrine, pour un mouvement, l'absence de discussions
serait, non un signe de vitalité, mais la preuve d'un dangereux arrêt. Toute
marche en avant demande que l'on secoue le poids des conceptions qui
paralysent, que l'on brise la chaîne des traditions qui rivent au passé. Mais
pourquoi supposer que recherches et discussions sont exclusives de l'esprit de
fraternité? « L'humble savoir de la raison a définitivement vaincu
l'orgueilleuse prétention des dogmes immuables : énoncer des vérités
définitives n'est qu'une preuve de vanité ou d'ignorance ». Le jour où les
milieux d'avant-garde opposeraient l'exemple de leur loyauté à la fourberie
ambiante, où pratiquement ils réaliseraient, autant qu'il est possible à
l'époque actuelle des foyers de libre fraternité humaine, ce jour-là le
triomphe de leur idéal n'apparaîtrait plus aussi lointain. Par contre, quel mal
font à l'idée ceux qui ne la soutiennent théoriquement que pour la contredire
en fait! –
L. BARBEDETTE
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