Observations critiques sur le Rapport Debray
Les
lecteurs des Cahiers rationalistes ont pu lire, dans le numéro précédent, une
interview de Jean-Pierre Vernant consacrée au rapport Debray sur l’enseignement
du fait religieux dans l’école laïque.
L’Union
rationaliste souhaite non seulement prolonger le débat, mais réunir les
éléments d’information disponibles sur les pratiques actuelles, leurs
déficiences et leurs dérives, et les opinions sur les actions nécessaires.
Par
exemple, une information critique serait opportune sur la façon de présenter la
Bible comme “texte fondateur ” dans les manuels de français de classe de
sixième et les religions dans les manuels d’histoire des classes de sixième et
de seconde, sur le traitement parfois réservé à la question sur “religion et culture
en Europe au XXIème siècle” qui se trouve au programme du CAPES et de l’agrégation
d’histoire en 2002 et 2003, sur la préparation et la réalisation du treizième
festival international de géographie de Saint-Dié (octobre 2002) dont le sujet
est “religions et géographie” (et le sous-titre : “ces croyances,
représentations et valeurs qui modèlent le monde”), et sur l’organisation en
2002-2003 de stages dans les IUFM pour la formation des formateurs sur les
faits religieux et la laïcité. Votre expérience personnelle et celle de vos
proches peuvent être précieuses.
Une meilleure connaissance des
religions dans le premier et le second degré: qui pourrait aujourd’hui s’en plaindre,
dès lors que sont distingués prosélytisme et information ? Mais cette question
qui sous-tend le rapport Debray sur “L’enseignement du fait religieux dans
l’école laïque“(1) (mars 2002) est faussement naïve. Il est parfaitement possible,
sous couvert d’une présentation objective, d’accompagner la présentation de
“faits religieux” convenablement choisis d’un jugement de valeur positif et
bienveillant, non pas certes envers telle confession présentée comme la seule
vraie, ce qui serait aujourd’hui insupportable, mais envers la posture
religieuse comme telle. Qu’importe la croyance, ce qui est beau, émouvant,
normal, humain en somme, serait de croire. C’est précisément dans ce sens,
celui d’une réhabilitation du religieux sous couvert d’éclairage historique des
religions, que vont un certain nombre de manuels scolaires récents: typique est
de ce point de vue le traitement de la Bible comme texte fondateur dans
certains manuels actuels de 6ième (français), aux commentaires et aux guides de
lecture fort proches de ceux d’un livre d’histoire sainte.
Régis Debray n’ignore pas cette
tendance (qu’il signale incidemment p. 36) mais propose, sans prendre la précaution
d’une évaluation préalable des productions éditoriales et des pratiques scolaires
actuelles (p. 47), de surenchérir sur les “nouvelles et excellentes
orientations des programmes d’histoire et de français (6ième, 5ième,2de,1ère)”
(maître d’œuvre : Luc Ferry - p. 21) pour “atteindre la “masse critique”” en
matière d’enseignement du “fait religieux”. Il préconise un dispositif nouveau
de formation initiale et continue (notamment un module obligatoire de”10h
minimum ” en IUFM) visant à “désinhiber” les enseignants, c’est-à-dire à les
convaincre de l’égale dignité des croyances religieuses et du savoir profane
dans la culture à transmettre: “Traditions religieuses et avenir des humanités
sont embarqués sur le même bateau” (p. 16). Quel regard critique sur la part
d’ombre de cette tradition ? Sur ce qu’elle véhicule de soumission des pensées
à l’autorité, des hommes à leurs maîtres, des femmes au pouvoir masculin ? Tout
ce qui appelle, non à l’incroyance (ce qui n’est assurément pas le problème de
l’école laïque) mais à la réflexion critique à l’égard des discours religieux,
de leurs injonctions et de leurs interdits, des ségrégations et des violences
qu’ils ont pu et peuvent encore entraîner, est gommé dans cette approche
consensuelle. “L’enseignement du religieux n’est pas un enseignement
religieux”, plaide Régis Debray (p. 23). Il a raison, dans la mesure où le
premier ne se donne pas comme but de convaincre de la supériorité d’une confession
sur les autres. Mais il a tort, pour autant qu’il vise à convaincre que toutes
les religions sont non seulement connaissables, mais respectables. Ce jugement
de valeur, qui va au-devant des souhaits des Églises actuelles, pour qui il
représente un moindre mal, est étranger à la visée scientifique proclamée et
tue l’approche critique(2). Et pourtant, comme le confirme la liste des thèmes
d’études proposés au collège ou au lycée (p. 49), ce qui fâche, ou simplement
ce qui gêne, se trouve ici systématiquement écarté, l’élève étant tout bonnement
invité à “examiner l’apport des différentes religions à l’instauration symbolique
de l’humanité” (p. 28). Pour qu’aucune ambiguïté ne subsiste, les facultés
d’État de théologie catholique et protestante de Strasbourg sont données en
modèle (id). Le rapport de Régis Debray - et l’actuel ministre de l’Éducation
nationale, pour autant qu’il compte le mettre désormais en application -
donnent ainsi aux clergés et aux institutions religieuses sur le territoire
national un label de respectabilité inespéré, et, d’un point de vue laïque,
injustifiable. De cette encombrante laïcité, Régis Debray doit certes tenir
compte dans l’intitulé de son module de formation en IUFM (“Philosophie de la
laïcité et enseignement du fait religieux”). Mais elle disparaît significativement
de l’instance ministérielle préconisée (une “cellule de recherche
éducation/société/religion” ) comme du futur Institut européen en sciences des
religions (p. 50-58).
La
croyance, attribut de la nature humaine ou fait social construit ?
On ne saurait se satisfaire
d’un “on a échappé au pire” - c’est-à-dire à l’introduction d’un enseignement
spécifique dit d’histoire des religions, réclamé par certains depuis une
quinzaine d’années, voie ouverte à l’introduction de “témoins” de diverses
confessions devant un public scolaire. Pour deux raisons. D’une part, ce
recours aux croyants pour “venir parler” de leur foi aux élèves est dans la
logique du processus de réhabilitation en cours - et se pratique même déjà ici
ou là dans un cadre scolaire “laïque“(3) Combien de temps tiendra le garde-fou
?
D’autre part, les propositions
de Régis Debray, malgré leur prétention à la scientificité, s’appuient sur un
vieux postulat scientifiquement indémontrable, et qui paraît d’un point de vue
historique extrêmement discutable: celui selon lequel la croyance en une
transcendance - Dieu personnel ou non, un ou multiple - serait un invariant de
l’humanité. L ‘homme, en son essence “animal religieux” : Régis Debray
développe cette thèse depuis au moins vingt ans (Critique de la raison
politique, 1981) et fait d’elle le fil conducteur de son récent Dieu, un itinéraire,
2001, ouvrage à l’origine de la mission à lui confiée par Jack Lang, comme le
souligne l’ex-ministre préfaçant ce Rapport(4). Dans cette conception, la
sécularisation des sociétés - en particulier celles de l’Europe moderne, ce
puissant mouvement pluriséculaire qui a réussi non sans mal sur une portion de
la planète à faire de la religion dans l’ensemble “une affaire privée” - ne
serait qu’un épiphénomène. Régis Debray, sa lorgnette à l’oeil, aperçoit même,
au-delà des apparences contraires (la montée de l’indifférence religieuse en
Europe, que ne compensent pas, loin de là, les nouveaux mouvements religieux,
et qui en France tourne à la déroute pour l’Église catholique(5)), “le
réenchantement du monde [qui] va déjà bon train ” (Dieu, un itinéraire, p. 313).
Il serait vain, à l’en croire, de vouloir s’opposer à ce mouvement
anthropologiquement inéluctable, qui le conduit à écrire avec la virtuosité verbale
qu’il affectionne: “Tournent les idoles, mais l’axe du manège, l’incurable
croyant, reste toujours disponible pour un nouveau tour de foi” (id., p. 351).
Des “incurables croyants”, les élèves de l’enseignement public ? A jamais voués
à ces “crédulités collectives” (id., p.347) que l’humanité actuelle à ses yeux
reformule sans s’en déprendre ? Cette conception a l’avantage, pour
l’intellectuel de pouvoir que veut être ici Régis Debray, d’occulter
précisément la responsabilité des pouvoirs - religieux, sociaux, politiques -
dans la fabrication des croyances (religieuses, sociales, politiques) qui
légitiment ces pouvoirs et leur permettent de se perpétuer. La scientificité
dont Debray se réclame apparaît bien plutôt comme le masque commode de l’apprentissage
scolaire du plus banal des conformismes.
Inculture religieuse et
inculture laïque L’inculture religieuse des jeunes en France aujourd’hui est
certainement à déplorer, comme toute autre inculture. La connaissance du passé
religieux de l’humanité et de sa réalité présente n’a évidemment pas à être
exclue des programmes scolaires où elle figure déjà (qui le propose, d’ailleurs
?). L’inculture en ce domaine (qu’elle touche le Dieu de la Bible, celui du
Coran ou l’Athéna des Grecs) rend opaques bien des œuvres littéraires ou
artistiques, on l’accordera sans peine. Mais elle est loin d’être la seule
“inculture” aujourd’hui manifeste dans une vaste partie de la jeunesse
scolarisée. On ne voit pas au nom de quoi l’”inculture scientifique” ou
l’”inculture artistique” (exemples non limitatifs) mériteraient moins
l’attention des pouvoirs publics. L’ “attente des Français” a ici bon dos. Quel
sondage a suggéré - et surtout, quel débat national a conclu - que l’histoire
des sciences et l’histoire des arts (deux disciplines éminemment transversales,
et largement absentes dans le secondaire aujourd’hui) pouvaient attendre,
tandis qu’il convenait d’accorder priorité, horaires et moyens à la lutte
contre le fléau de “l’inculture religieuse” ?
Mais il est une inculture dont
Régis Debray aurait dû se préoccuper au plus haut point, du point de vue laïque
qu’il affirme être le sien: c’est ce qu’on pourrait appeler l’inculture laïque
des jeunes. Il ne s’agit pas seulement de la connaissance scolaire des lois
françaises de 1882 et 1905. L’esprit de libre examen, l’indépendance critique
de la pensée face aux dogmes (dogmes d’Églises et dogmes d’État) ne sont pas
seulement des valeurs à saluer: ce sont des conquêtes de l’humanité, des
produits de son histoire, et leur mise en pratique effective dans un cadre
scolaire est d’autant plus malaisée qu’on ignore davantage de cette histoire.
Pour comprendre le monde et être capable de s’y orienter aussi librement que
possible, il faut certes connaître Moïse, Bouddha, Jésus, Mahomet et un certain
nombre d’autres. Mais combien de jeunes, à l’issue de leur scolarité,
disposent-ils de points de repères solides concernant l’histoire des résistances
individuelles et des luttes collectives menées pour la liberté de pensée,
d’expression, d’organisation, en Europe et ailleurs, par des hommes et des
femmes qui, tout autant que les fondateurs de religion, ont leur place dans la
mémoire scolaire actuelle ? Combien, filles et garçons des collèges et lycées d’aujourd’hui,
ont-ils entendu parler des principales figures historiques féminines (et masculines)
de la rébellion contre la domination masculine, et contre la dévalorisation
religieuse de la femme qui a tant fait pour la légitimer ? Et puisque le
principe de laïcité implique un traitement égal des croyants et des incroyants,
demandons-nous quelle place est faite dans les programmes scolaires actuels à
ce “fait religieux”, bien particulier, mais fondamental pour expliquer nos
libertés conquises d’Européens face au religieux: l’histoire de l’incroyance ?
Au nom de quoi en effet, alors que plus d’un jeune Français sur trois (18-24
ans) se dit aujourd’hui “sans religion“(6), l’inventeur du mot “agnostique”
(agnostic, puisqu’il était anglais), le biologiste Thomas Huxley, ami et
courageux vulgarisateur de Darwin, n’aurait-il pas droit à figurer dans la culture
scolaire de notre temps à l’instar du patriarche Abraham et de sa descendance
Combattre
les intégrismes à l’école, c’est d’abord détruire les ghettos scolaires
Craignons, dit en substance
Régis Debray, que l’intégrisme religieux ne gagne en audience chez les jeunes
si l’école ne les en prémunit pas en les habituant à traiter “le religieux” de
manière comparatiste (p. 27). L’auteur oublie ici que les plus exposés aux
séductions du fanatisme (c’est évidemment l’intégrisme islamiste qui est ici
avant tout visé) sont précisément ceux que scolarisent ces établissements
ghettos oubliés de tous - sauf lorsque tel acte de violence les ramène
au-devant de l’actualité. Le quotidien scolaire pour la plupart de ces jeunes,
immigrés ou non, musulmans, chrétiens ou indifférents, est avant tout marqué
par une effrayante asphyxie culturelle qui leur rend très difficile
l’acquisition d’une réelle rationalité critique, qui plus est à l’encontre
d’une autorité de leur propre religion. Dans les conditions d’enseignement qui
leur sont faites, l’”illettrisme” de certains élèves et les faibles compétences
de lecteurs de beaucoup d’autres font dramatiquement obstacle à l’acquisition
des outils verbaux et cognitifs qui leur seraient indispensables pour exercer
leur jugement de façon réellement indépendante - surtout en matière de
religion, où la pression familiale et communautaire est parfois si forte. Dans
ces quartiers peu à peu laissés par l’État à l’abandon, “la mise en place de
l’école désémancipatrice” (André Tosel(8)) est en marche. Comment s’étonner
qu’elle nourrisse, ici l’intégrisme musulman, là une lepénisation de jeunes
esprits séduits par les solutions d’extrême droite ? Ce ne sont pas des cours
sur le “fait religieux” qui feront obstacle à cette mise en tutelle de la
pensée, mais une transformation complète des conditions d’enseignement permettant
enfin à ces jeunes de se libérer des sujétions intellectuelles dans lesquelles
ils sont aujourd’hui maintenus.
Cela fait longtemps que les
autorités de l’État donnent aux enseignants des établissements les plus
“défavorisés” la consigne (implicite. mais combien évidente !) : “Pacifiez
d’abord”. L’idée que la religion peut aider à la pacification de la jeunesse
populaire a été plusieurs fois mise en avant ces dernières années, surtout par
les promoteurs d’un “islam à la française” bénéficiant d’une reconnaissance de
l’État. C’est un avatar de la vieille maxime selon laquelle “Il faut une
religion pour le peuple”, qui légitima jadis en France l’instruction religieuse
à l’école publique(9). Le rapport Debray, par son refus de poser le problème
incontournable de l’inégalité sociale dans l’accès à la rationalité critique,
par son “indifférence aux différences” qui, on le sait, ne fait qu’accentuer
les différences, s’inscrit dans cette logique antidémocratique en lui donnant
la caution universitaire qui lui manquait jusqu’alors. Ses convergences sont
par ailleurs manifestes avec les efforts déployés ailleurs en Europe pour
restructurer, avec le soutien des gouvernements, un enseignement religieux partout
en crise, qu’il soit confessionnel (Allemagne, Italie, Espagne, Belgique...) ou
“interconfessionnel” (Grande-Bretagne). Publié dans les dernières semaines d’existence
du gouvernement Jospin, ce rapport n’a guère suscité alors le débat critique
qui s’impose. Mais peut-être n’est-il pas trop tard ?
Benoît Mély.
Enseignant en collège de type
ZEP (banlieue parisienne), doctorant en histoire de l’éducation.
1. Régis Debray,
L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque, préface de Jack Lang, éd.
Odile Jacob, 2002.
2. Il n’est pas inutile de
rappeler que la démarche de Renan, fondatrice en matière de science des
religions, visait à l’inverse à une désacralisation d’ensemble des faits
religieux (au pluriel) pour les analyser comme des faits purement profanes:
“Proclamons-le hardiment: les études critiques relatives aux origines du
christianisme ne diront leur dernier mot que quand elles seront cultivées dans
un esprit purement laïque et profane, selon la méthode des hellénistes, des
arabisants, des sanscritistes, gens étrangers à toute théologie, qui ne songent
ni à édifier ni à scandaliser, ni à défendre les dogmes ni à les renverser.
(Préface à la 13” édition de La vie de Jésus, 1867).
3. Témoignage d’un enseignant
de lycée lu à l’émission Alter Ego (France Inter) où Régis Debray était invité
(mai 2002) : “j’ai longtemps enseigné l’histoire au collège dans l’enseignement
public, animé de nombreux stages destinés notamment aux textes fondateurs. Je
fais venir sans complexes un surveillant musulman, un prêtre catholique, un
pasteur, ou s’ils ne sont pas disponibles, je prends conseil auprès d’eux. Je
précise que je suis athée” Commentaire de la présentatrice lisant ces lignes:
“C’est bien, non?” Réponse de Régis Debray : “Oui, je comprends cette attitude,
mais je ne la préconise pas, si vous voulez” La seule réponse admissible d’un
point de vue laïque, est-il besoin de le dire, aurait été une condamnation
complète de ce recours à des “témoins” prosélytes par profession.
4. La recherche d’une
transcendance divine serait une “constante anthropologique” (Critique de la
raison politique, Gallimard, 1981, p. 18) en raison de ce que Debray appelle
1””incomplétude” de l’être humain livré à lui-même. L’expression “animal
religieux” est employée dans "Dieu, un itinéraire" (Odile Jacob,
2001).
5. Toutes les enquêtes portant
sur les pratiques religieuses comme sur les croyances en France et en Europe
attestent de façon convergente cette “érosion des croyances (qui) durant les
dernières décennies s’est accélérée à un rythme tel qu’elle est devenue
observable par des enquêtes d’opinion à des intervalles rapprochés » (Mattei
Dogan, “le déclin des croyances religieuses en Europe occidentale”, Revue
Internationale des Sciences sociales, n°15, septembre 1995, p.461).
6. 36 % des Français de 18-24
ans se déclaraient sans religion en 1994, pour 15,5 % en 1986 (ensemble des
Français: 23 % en 1994); enquête CSA pour L’Actualité religieuse dans le monde,
mai 1994. Parmi les 18-24 ans, 2 % assistaient à une messe catholique chaque
semaine en 1990 (10 % dans la population totale) (Enquête European Values
Survey, 1990). Moins de la moitié des jeunes Français est désormais catéchisée
(44 % en 1994, ce dernier chiffre est celui fourni par l’Église catholique).
7. À la fin du XIXième siècle
des propositions furent émises, en France et en Italie, pour l’introduction
dans l’enseignement secondaire et même primaire de cours d’histoire des
religions. Il s’agissait alors de prendre appui sur les acquis de la recherche
historique pour démystifier les prétentions du catholicisme à la validité
suprahistorique de la Révélation. Au congrès de la Ligue de l’Enseignement de
1901, le logicien Goblot proposa que l’histoire des religions remplace les
“devoirs envers Dieu” maintenus depuis Jules Ferry dans le programme de morale
à l’école primaire. Malgré les apparences, les propositions Debray se placent
dans une dynamique inverse: dans la mesure où elles postulent l’universalité
planétaire d’un “fait religieux” et réduisent la non-croyance à l’état de
curiosité marginale (alors que, selon une estimation de Georges Minois dans son
Histoire de l’Athéisme (Fayard, p. 15), “plus d’un homme sur cinq est
aujourd’hui athée dans le monde” ), elles visent à convaincre les élèves, non
pas que les croyances et les institutions religieuses sont toutes des objets
d’étude relevant des méthodes d’analyse des sciences humaines, mais plutôt
qu’elles attestent toutes, dans leur diversité même, d’un prétendu besoin de
croire, naturel à l’homme. Ce qui n’est pas du tout la même chose.
8. André Tosel, .Vers l’école
désémancipatrice », La Pensée, n°318, avril- juin 1999, p. 127-132. 9. Victor
Cousin, l’inspirateur idéologique de la loi Guizot de 1833 sur l’instruction
primaire, voyait en la religion et la philosophie “deux immortelles sœurs”
destinées à coopérer dans le cadre scolaire pour inculquer aux masses la sainte
soumission à l’autorité. Est-on très loin des attendus de Régis Debray
(première partie de son rapport) si ouverts à l’idée selon laquelle
“l’universalité du sacré avec ses interdits et ses permissions [permet de
disposer] d’un fond de valeurs fédératrices, pour relayer en amont l’éducation
civique et tempérer l’éclatement des repères» (p.14) ?
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