vendredi 7 mai 2021

LOI encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 


 

A) Loi naturelle. Prenons un exemple classique : je place sur la paume de ma main une pierre ; je retourne ma main, la pierre tombe. Autant de fois, je répéterai cette expérience, autant de fois la pierre tombera. Je conclus de mes constatations que la pierre, en tombant, obéit à une loi, à une loi de la nature. Toute cause permanente ou identique produit des effets identiques ; le mot loi exprime en ce cas la nécessité de cette genèse, et je sens bien que l'équilibre du système auquel je suis assujetti exige l'invariabilité du phénomène : l'effet doit se produire quand la cause se renouvelle ou persiste. Si la pierre livrée à elle-même ne tombait pas, le satellite ne serait plus asservi à la planète, l'attraction des masses et la gravitation des mondes seraient déréglées. Il est très important de ne point se laisser prendre à de vaines apparences, quand on prétend codifier les lois naturelles. En 1846, 56, 66 la Loire a débordé. Maintes gens ont prétendu qu'elle sortait constitutionnellement de son lit tous les dix ans. Ils s'étaient trop hâtés d'admettre la constance de l'événement. Il faut, en outre, rattacher à leur véritable cause les effets observés. La balle n'est point projetée hors du fusil, parce que le percuteur a frappé la douille, cette cause ne serait pas suffisante, mais parce que cette percussion a fait jaillir l'étincelle qui a enflammé le fulminate et la force de propulsion est produite par l'expansion des gaz. La balle qui sort du fusil obéit à la loi de la dilatation, l'inventeur de l'outil a eu recours à cette loi mystérieuse que décèle l'observation : le choc, c'est-à-dire le mouvement contrarié engendre la chaleur, symptôme d'un travail moléculaire qui peut aller jusqu'à la combustion. Dire que la nature a des lois, ce n'est pas dire qu'elle a eu un législateur en la personne d'un créateur omnipotent ni qu'elle soit à elle-même son propre législateur, ni qu'elle soit un créateur indépendant. Je m'explique. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Cette discipline contente notre idée d'ordre et satisfait notre raison. Nous en concluons qu'un être doué de raison a organisé, a sérié, a relié cette gamme naturelle. Mais il peut très bien se faire que les choses soient ainsi parce qu'elles sont ainsi, ce qui leur a permis d'être. Les icebergs qui dérivent dans le détroit de Behring n'ont pas eu d’architectes, et leur vague ressemblance avec des édifices leur donne seule à nos yeux une particularité qui nous les signale comme plus remarquables qu'un champ de glaçons disloqués. Lorsque la terre incandescente s'est refroidie et a pris de la consistance, la vie est devenue possible à sa surface et la vie y est apparue. Mais ce n'est point pour que la vie s'y montrât, pour que l'homme s'y levât, qu'une main éternelle (puérile et grossière image!) a refroidi la nébuleuse en fusion. La vérité c'est que la science, de jour en jour davantage, nous montre l'erreur où nous tombons quand nous imaginons la matière dense, compacte, continue. La matière, ainsi comprise, n'existe pas. Il n'y a que des systèmes stellaires d'atomes, soumis à la gravitation dans des cycles distincts. Les forces différentes que nous connaissons dans notre monde ou dans le monde sont les apparences diverses sous lesquelles se manifeste à nous une force unique, quand sa condition change ou quand son intensité se modifie. Les découvertes les plus récentes permettent de croire que les rayons lumineux sont des rayons X amortis, atténués, et devenus perceptibles pour notre œil ; les vibrations du son n'influencent plus notre oreille, quand elles dépassent une certaine fréquence ; les ondulations de la lumière n'influenceraient plus notre rétine, au-delà d'une certaine puissance. Nous savons que l'énergie arrêtée dans son mouvement, contrariée, refoulée produit la chaleur. Il est permis de penser qu'une force dégagée par la brusque abolition ou la transformation soudaine d'un système moléculaire, traverse et bouleverse de proche en proche d'autres systèmes moléculaires et que ce frissonnement qui se propage est l'électricité. Mais ce qui est la force unique, essentielle, nous n'en savons rien. Elle existe... Que parlons-nous de création? Toute force ou toute source de force ne peut être engendrée ou constituée que par une force, ce qui recule l'origine de la force vers l'infini. Ne nous laissons pas abuser par cette idolâtrie grandiose qui élève la nature au rang d'une bête fabuleuse et la consacre comme une divinité de fait. On enseignait, il n'y a pas cent ans, que la nature avait horreur du vide, et ainsi, commodément, on expliquait ce que devait amener à comprendre la théorie des pressions. Refusons-nous à un panthéisme religiosâtre. La nature n'est pas cette gigantesque marmotte en boule qui, digérant les Univers dans son ventre, aurait un instinct à défaut d'un esprit et créerait ses lois au rythme de son souffle. Le mot loi, quand il désigne la loi naturelle, ne doit avoir qu'un sens : ce mot exprime que la relation d'une cause a avec ses effets m, n, r, etc. reste constante lorsque la cause subsiste ou se renouvelle. Pour le mot loi dont nous nous servons, nous indiquons que dans l'enchaînement des phénomènes nous savons discerner la cause de l'effet, nous proclamons que le plan de la réalité matérielle est conforme au plan mathématique de notre intelligence et que la déduction qui s'opère : l'effet engendré par la cause, était obligée, nécessaire.

B) Loi artificielle, loi écrite. La loi de la nature, avons-nous dit, est indispensable au maintien, à l'équilibre d'un système, le système auquel l'existence nous assujettit. Sans doute, nous nous sommes adaptés aux conditions matérielles dans lesquelles nous sommes obligés de vivre, mais il n'est pas douteux que notre existence serait impossible, et la vie telle, du moins, que nous la concevons de tous les êtres également si les lois naturelles n'existaient plus. Supposons abolie la loi que nous appelons loi de l'attraction, l'air ne serait plus maintenu à la surface du globe, nous ne serions plus adhérents au sol, et nous ne serions plus même des corps constitués puisque les molécules de notre corps ne seraient plus associées, puisque le sang qui ne serait plus du sang, ne serait plus contenu dans nos artères évanouies. La loi artificielle, la loi fabriquée par l'homme, devrait être semblable à la loi naturelle. Nulle loi ne peut être excusable ou ne peut sembler légitime que si elle est nécessaire au maintien, à l'équilibre du système vital qui permet à l'individu de subsister au milieu de ses congénères. L'esprit public est imprégné de cette idée que la loi est un bien. La loi est un mal, car toute loi restreint la liberté. « La loi n'atteint la licence qu'en frappant la liberté ». Qui a dit cela? Un révolutionnaire? Pas précisément. L'auteur de cette pensée est celui qui, à la formule célèbre de Danton : « l'audace, et puis l'audace et encore l'audace » opposait cette devise : « la justice, et puis la justice et encore la justice ». Ce téméraire tribun s'appelait Royer-Collard. Sa sentence qui frappe au front, la loi n'a pas jailli d'un nuage orageux : elle a brillé comme une lueur d'aurore sur les pentes d'un génie moyen couvert de lauriers un peu fanés, mais que le vernis de l'histoire empêchera longtemps de se flétrir. Voyons comment s'est formée la loi (Voir droit, code, légalité, législation, justice, etc.). Le droit primordial de l'homme, c'est le droit à la vie. Le devoir primaire de l'homme envers lui-même, c'est de défendre et de protéger son existence. On a dit qu'il fallait vivre d'abord, philosopher ensuite : « primum vivere, deinde philosophari ». Nous dirons, en modifiant cet adage bien connu : vivre d'abord, c'est le principe essentiel de la philosophie ; c'est l'axiome du droit individuel et du droit social. Imaginons un paysage biblique. Un homme se dresse sous les cieux resplendissants mais impassibles, dans une plaine luxuriante mais sauvage et inculte. Les cratères en éruption s'empanachent au-dessus de sa tête. Eperdu d'effroi à l'idée de son isolement, tremblant d'angoisse à la vue de son péril, il se nourrit de racines et se protège contre les éléments. Le soleil neuf est ardent, l'homme veut boire... Près de la source où il va se désaltérer, un autre homme, son semblable a surgi. La source murmurante occupe un étroit entonnoir... Si le trou d'eau, comme disent les explorateurs, n'est ni assez large ni assez riche pour se prêter au désir des deux bouches qui veulent humer l'onde bienfaisante, rien n'y fera. Le plus fort des deux compétiteurs tuera le plus faible, ou le plus agile le moins leste. Le vainqueur boira, courbé sur le cadavre du vaincu. Mais que l'eau soit accessible et d'un débit suffisant, part à deux! Primus, pour parler le langage juridique, prend conscience de cette vérité élémentaire : que son droit à la vie peut marcher de pair avec le droit identique de Secundus. Primus et Secundus boiront ensemble ou l'un après l'autre. L'accord s'établit, ou le compromis se réalise. Peu à peu, notre clairière édénique se peuple de colons involontaires ; ils n'ont pas demandé à venir au monde : ils sont nés cependant. Si l'un d'eux est plus faible ou malingre, il peut être sacrifié ; l'audace et la convoitise rompront à son détriment l'équité. Mais un clan se forme. Le disgracié, le déshérité de naissance trouve des défenseurs parmi ses compagnons de la prairie. Ces protecteurs égoïstes redoutent pour eux-mêmes la contagion du mauvais exemple, la prédominance de la force brutale, sur la notion du partage ou de la jouissance collective. Ils se font les défenseurs du droit individuel pour le salut du droit commun. La présence des femmes et la survenance des enfants compliquent la question sociale primitive. Les femmes, qui doit les défendre, et qui doit les posséder? Un fait est certain : pour tous les biens, dont le principal est l'aliment, les appétits doivent être réfrénés, s'ils ne peuvent se débrider en même temps ; ils doivent se tempérer ou se restreindre quand devient plus rare ou moins facilement accessible la « masse » nécessaire aux besoins de tous. Et quand un bien est affecté au besoin d'un individu, ce bien appartient à cet individu. Ainsi se dégage le principe de la propriété dont la notion est donnée à l'homme par la possession de son corps. C'est sur ces assises primitives que s'est formée la loi ; l'équité réside dans l'exactitude avec laquelle la restriction imposée, ou acceptée, correspond à la nécessité de sauvegarder le droit identique du voisin ; la morale consiste dans la reconnaissance spontanée et dans l'observation bénévole de l'équité. Le monde ancien a vécu de cette morale dont le symbole est une équation : l'équation des droits, et qui se résume en deux formules : « il ne faut pas entamer injustement le droit d’autrui » « neminem lœdere » ; que chacun soit maître de ce qui lui appartient et reçoive ce qui lui revient « suum cuique tribuere ». Et les civilisations rudimentaires ou primitives ont sanctionné la loi de justice par un châtiment fondé sur l'équivalence de la pénalité ou de la réparation avec le dommage. La loi romaine des douze tables taillait dans le débiteur vivant une livre de chair en représentation du poids de numéraire non payé, et l'ancien droit pénal, pour employer ces mots modernes qui s'appliquent mal aux époques reculées, a connu la peine du talion, cette vindicte qui subsiste encore dans l'usage oriental et ne semble devoir s'y dissoudre qu'à la longue. Œil pour œil, dent pour dent. Le cadre de cette étude nous restreint. Nous ne saurions exposer ici, nous mentionnons seulement que le Christianisme a tenté de fonder une morale sur une idée nouvelle. Cette idée que la Cité antique ne pouvait concevoir, c'est l'amour du prochain ; un tel altruisme suppose le sacrifice joyeux spontané, tout ce que le désir de faire le bonheur ou d'apaiser la souffrance peut mettre d’abnégation et d'élan dans ce mot dont la doctrine épurée prétendait rajeunir l'étymologie grecque : le mot de Charité. * * * La loi fixe la règle ; la loi opère sur les ambitions une compression, impose aux appétits une restriction, conditionne le droit individuel afin d'assurer l'exercice du droit collectif, ou afin de permettre à tous les individus l'usage suffisant de leur droit particulier. Mais qui fera la loi? Qui discernera dans quelle mesure et de quelle manière la compression doit se produire, la restriction être imposée? Car la loi ne peut sortir automatiquement de la nécessité sociale. La machine sociale ne règle pas elle-même l'introduction ou l'expulsion de la vapeur, comme ces mécaniques modernes qui assurent par leurs propres organes le libre jeu nécessaire à leur rendement. C'est à ce point que la loi artificielle, oscillant entre ces deux pôles : le bon plaisir et le bon sens, bifurque et se sépare nettement de la loi naturelle, ou loi de la nature. Quelles que soient les révolutions qu'aient subies les nations, les constitutions gouvernementales se ramènent et se ramèneront toujours à trois types : la monarchie, l’aristocratie ou oligarchie, la démocratie. Montesquieu, sur ce sujet, et pour cette classification, se rencontre avec Aristote. Dans une analyse qui a pour thème le mot : loi, on s'étonnerait que Montesquieu ne fût pas nommé, que l'Esprit des lois ne fût pas cité. L'Esprit des lois est une œuvre considérable, qui est assurée d'une gloire éternelle. Cet heureux destin se perpétue pour les ouvrages consacrés, que les bibliothèques opulentes ou simplement traditionnalistes se doivent à elles-mêmes d'accueillir, mais qu'une main fervente ou fureteuse ne vient plus troubler dans la paix définitive de leur asile. L'Esprit des Lois est une œuvre dont la trame est forte, mais brochée de soies très disparates, où les considérations anecdotiques traversent la thèse doctrinale. Vous apprendrez que les Tartares étaient obligés de mettre leur nom sur leurs flèches, afin que l'on connût la main qui les lança, et ce chapitre est intitulé : « Des lettres anonymes ». L'auteur vous entretiendra de Gelon, roi de Syracuse, et des Bactriens « qui faisaient manger leurs pères vieux à de grands chiens » avant d'écrire ces chapitres imposants et graves qui ont pour titre : « Combien il faut être attentif à ne point changer l'esprit général d'une nation » (thèse discutable), ou bien encore : « De la tolérance en fait de religion » (sujet périlleux pour l'époque et trop prudemment abordé). Dans l'Esprit des lois on peut reconnaître à la curiosité de son esprit personnel l'auteur des « Lettres persanes ». Le goût de l'érudition exotique bariole ce classique traité, la fantaisie plante des panaches inattendus sur la masse sévère du monument. Combien Aristote est plus simple, plus beau, moins varié mais plus complet dans sa Politique! Quelle surprise de constater que la politique, en tant que science sociale, ait si peu changé depuis qu'il y a des hommes, et qui oppriment! Il va de soi que, sous tous les régimes, où le pouvoir est centralisé entre les mains d'un maître ou d'une caste, le fait du prince, pour parler comme les juristes, se rapproche de l'arbitraire. La loi favorise des privilégiés ou une classe de privilégiés, et pour voiler sa tyrannie ou dissimuler son exaction, elle se réclame hypocritement de l'intérêt public. Elle sacrifie des droits individuels, non pour assurer l'équitable répartition de la liberté entre tous les citoyens, mais pour frustrer le nombre au profit de bénéficiaires qui cumulent. Elle fait une fixation frauduleuse de la réduction à opérer sur la liberté plénière sous prétexte de conférer à chaque ayant droit son prorata de liberté. Elle fait une banqueroute perpétuelle, mais muscle ses créanciers. Le seul contrepoids qui modère la tyrannie et l'arrête dans son audace, c'est la crainte de la révolution qui jetterait bas la pyramide au sommet de laquelle trône la tyrannie. Contre l'excès avéré de la loi, la résistance est un devoir ; il importe seulement de ne pas se tromper quand on prétend que dans sa balance la légalité a mis de faux poids, qu'elle a fait pencher le plateau vers le favoritisme au détriment du droit populaire. Tous les Gouvernements déloyaux se sont réclamés de l'ordre public, quand ce n'était pas de l'ordre moral, et toutes les scélératesses royales, impériales ou dictatoriales ont été baignées de douces larmes : « le prince » s'attendrissait en songeant au sacrifice salutaire qu'il allait offrir sur l'autel de la Loi à la cause de l'ordre et à la religion du bien public. Il ne faut pas croire que les démocraties n'aient pas aussi leur tyrannie. Leur formule : « tous pour un, un pour tous » ne garantit pas l'homme libre contre la pire des servitudes : celle qui peut l'enchaîner à l'Etat. La lecture de l'histoire romaine m'a enlevé tout regret de n’avoir pas vécu à l'époque la plus brillante des Quirites, au plus beau temps des consuls. Un frisson m'agite comme au sortir d’un songe, lorsque je vois combien était entière et intraitable cette « res publica », dans quel esclavage cette entité collective, formidable et sacrée, faisait vivre les citoyens. Elle faisait bon marché de leur vie. Eternelle, massive, écrasant sous sa roue ardente tous les obstacles, elle était un de ces chars augustes qui se préoccupent peu des êtres qu'ils portent. Le char divinisé sacrifiait tout à sa solidité, à sa splendeur et à sa route. La République, entité idéale, avait un intérêt supérieur, préférable à l'intérêt de la collectivité qui la composait. Les hommes, de nos jours, admettent encore cette fiction monstrueuse de l'Etat, Moloch impersonnel, statue creuse, statue d'airain pareille à ces idoles qu'on remplit de victimes. Louis XIV disait au moins, en despote : « l'Etat c'est moi » ; nous disons : « l'Etat c'est nous », mais nous faisons de l'Etat une carapace distincte de nous, et dont notre chair meurtrie doit épouser la rigueur. Il y a toujours quelqu'un pour exiger que cette armure soit renforcée. Nous demandons en soupirant ou en gémissant : quel Dieu le veut? Il y a toujours un oracle pour répondre : l'intérêt public. C'est bientôt dit. Et l'étui se blinde et l'étreinte se resserre. Pour ce traître travail, il se trouve toujours un ingénieur bien outillé, des auxiliaires commodément installés, des spéculateurs, des arrivistes. Ici un rivet, là une bande d'acier : c'est bientôt fait Lorsque l'autorité entreprend de fabriquer à sa manière et par ses moyens le bonheur du peuple, elle a le choix entre deux systèmes : trancher ou concilier. Elle a rarement le courage d'aiguiser sa hache et d'abattre des chênes pour ouvrir une éclaircie. Elle ménage l'arbre et la liane. Quand les intérêts s'affrontent se heurtent et menacent de s'effondrer en se ruinant les uns par les autres, la loi se multiplie, incohérente, hâtive, innovatrice, contradictoire, parfois inapplicable. On voit alors les partisans de la liberté se chercher, essayer de se joindre et de s'unir pour former un Etat dans l'Etat. Si les mœurs influent sur les lois et les lois sur les mœurs, c'est que la loi légitime devrait sortir du consentement de tous ceux qui sont appelés à s'y soumettre, connaissance prise des intérêts à satisfaire et du retranchement à subir par contribution. Cette délibération collective, cette consultation permanente sont impossibles. Le législateur légifère. Les mœurs s'adaptent à la loi, c'est-à-dire que la collectivité intéressée se plie avec souplesse à la réforme acquise. Les mœurs, au contraire, modifiées par l'expérience, par le déclin d'une croyance, par le succès d'une invention, par la nécessité de la vie courante, par la péremption des usages peuvent provoquer l'avènement de la loi : c'est qu'une atmosphère s'est créée à laquelle le législateur a été sensible. Il a été averti d'une discordance entre le désir ou la récrimination des intérêts en malaise, et le statut ancien qui s'est trouvé soudain les desservir. Le système du suffrage universel aboutit à l'élection d'un mandataire auquel ses mandants font confiance sur le vu de sa couleur et qui, pour le renouvellement de son mandat se tient en communion d'idées ou de tendances avec ses électeurs les plus puissants ou les plus nombreux. A notre époque, le peuple se flatte facilement d'être souverain alors qu'il est dominé par le capitalisme et maté par la finance. Volontiers il se satisfait des ballons rouges que ses représentants légaux gonflent à son intention et lui mettent en mains au bout d'une ficelle, comme des articles de réclame. Il se laisse séduire par la rondeur de l'objet que la ploutocratie saura dégonfler à coups d'épingles. Il admire le vermillon qui fait reluire son jouet : cette couleur lui est chère. Ces ingénieux aérostats qui tendent vers le ciel et semblent vouloir le conquérir sont fabriqués en série par la Chambre lorsque, périodiquement, elle arrive à son déclin. Jamais les mœurs électorales n'ont eu plus d'influence sur la loi! * * * La loi a eu beaucoup de peine à devenir une et indivisible, comme la République, à réunir sous son faisceau digne des licteurs tous les sujets d’un même Etat. C'est que la diversité des climats, des traditions, des habitudes et des besoins crée dans un pays qui, politiquement, constitue une patrie, des intérêts différents ou même contraires. Au mot « Droit » nous avons exposé brièvement la genèse de la Loi, nous avons montré que la loi avait été formée par l'amalgame des coutumes propres à chaque province, ou, en cas de conflit, par la prédominance accordée aux unes sur les autres. La Loi est sortie, armée et casquée, du génie de la Révolution. Son empire a été dessiné par le Tribunat et consacré par Napoléon Ier. Au fur et à mesure que le monde se civilise, que la pénétration réciproque des Etats augmente, que leurs communications se multiplient et se perfectionnent, les Etats, comme jadis les provinces, éprouvent le besoin de régler leurs rapports et ceux de leurs nationaux avec les étrangers, ou vice-versa, par une législation internationale. Nous voyons se développer deux Droits internationaux : le Droit international public qui règle les rapports des nations entre elles, le Droit international privé qui détermine les principes d'après lesquels certains actes passés dans un pays peuvent être considérés comme valables par les autorités d'un autre pays, et qui fixent la condition civile d'un étranger dans le pays où il passe, séjourne ou s'établit. Nous réduisons la question à sa plus simple expression, Le plus ancien droit international semble bien avoir été constitué par les lois de la guerre - triste origine - et par les règles admises pour la navigation. Peu à peu, sous la pression des nécessités économiques, les Etats se sont mis d'accord par des conventions au moins partielles sinon universelles pour les tarifs du télégraphe et de la poste, pour les tarifs douaniers, des traités interviennent de puissance à puissance. Des traités ou des conventions, surtout celles de la Haye, ont ouvert aux ressortissants des puissances contractantes la libre pratique des tribunaux institués par l'une ou par l'autre. L'étranger hors de son pays conserve la condition civile que sa nationalité lui confère, ce qu'on appelle son statut personnel. Exemple : un Italien épouse une Française qui devient Italienne par son mariage et il se fixe en France. Sa femme l'actionne en divorce. L'action est irrecevable, car la loi du défendeur n'admet pas le divorce. Nous ne ferons qu'effleurer ce vaste sujet. Le système métrique sera plus facilement généralisé que le Code international complet, forgé, approuvé, édicté. La diversité des races s'opposera-t-elle longtemps à l'adoption d'une langue universelle? La loi réduite au minimum, par l'exercice conscient et raisonné de la liberté, l'internationalisation des peuples, l'espacement des frontières par la pénétration réciproque des intérêts correspondants ; voilà un bref résumé pour une étude!... Voilà un magnifique programme pour des siècles de lutte, de foi, de ferveur..., de persécution et de progrès. –

Paul MOREL

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