"Le fascisme pénètre par deux côtés dans le monde ouvrier: par le biais de ce qu’on appelle le «sous-prolétariat» («Lumpenproletariat») – terme franchement répugnant – en recourant à la corruption la plus bassement matérielle, et par le biais de «l’aristocratie ouvrière», qu’il «travaille» aussi bien par la corruption matérielle que par la suggestion idéologique. Sans s’embarrasser du moindre scrupule politique, le fascisme allemand promettait tout à chacun: ainsi, nous lisons dans un article du Dr Jarmer intitulé «Capitalisme» (Angrif , 24-9-1931): «Nous constatons avec plaisir que Hugenberg s’est nettement tourné au Congrès des Nationaux-Allemands à Stettin, contre le capitalisme international. Mais il a souligné en même temps qu’un capitalisme national était nécessaire. Ce faisant, il a une fois de plus tracé la ligne de démarcation entre les Nationaux-Allemands et les National-Socialistes: en effet, ceux-ci sont persuadés que le système économique capitaliste, qui s’effondre dans le monde entier, doit être remplacé par un autre, puisque même le capitalisme national exclut le règne de la justice.»"
"Étant donné que les influences des modes de vie déterminés par la société et par la conscience de classe s’exercent avec une égale intensité, la tentation de l’une et de l’autre est aussi forte, ou du moins laisse au travailleur le choix. Le mouvement révolutionnaire avait en outre sous-estimé l’importance des petites habitudes de la vie de tous les jours, d’apparence insignifiante, ou en avait souvent fait un mauvais emploi. La chambre à coucher petite-bourgeoise que le prolétaire achète – en dépit de sa mentalité révolutionnaire – dès que ses moyens le lui permettent, la répression de la femme qui en est le corollaire – même s’il est communiste –, l’habit «correct» du dimanche, les danses guindées et mille autres «détails» exercent, à force de se répéter, une influence réactionnaire que mille discours et tracts révolutionnaires ne pourront compenser. La vie rétrécie du conservateur agit sans arrêt, pénètre dans chaque recoin de l’existence quotidienne; le travail d’usine et les tracts révolutionnaires n’agissent que pendant quelques heures. C’était donc une grave erreur que de s’accommoder des tendances conservatrices des travailleurs «pour être plus près des masses», d’organiser des fêtes que le fascisme réactionnaire sait organiser avec infiniment plus d’éclat."
"Ils sont les artisans de la progression ou, inversement, de la régression sociale, tandis que les beaux discours politiques n’éveillent qu’un enthousiasme passager. Des tâches importantes et fécondes nous attendent dans ce domaine."
"La puissance de la social-démocratie pendant les années de crise, puissance inexplicable par des considérations strictement politiques, était l’expression la plus patente de l’imprégnation conservatrice du monde ouvrier. Il s’agit maintenant d’en dégager les éléments fondamentaux. Deux faits apparaissent ici au premier plan: l’attachement aux dirigeants, c’est-à-dire la confiance inébranlable dans l’infaillibilité de la direction politique [7] – en dépit de l’existence d’une certaine critique qui n’a jamais pu accéder au plan de l’action – et l’alignement de la morale sexuelle ouvrière sur celle de la petite bourgeoisie conservatrice. Or, les tendances à l’embourgeoisement ont partout été favorisées par la haute bourgeoisie. Si celle-ci s’était servie au début de la matraque – au sens propre du terme – elle la tenait maintenant en réserve – là où le fascisme ne l’avait pas encore emporté – pour l’utiliser seulement à l’encontre du travailleur révolutionnaire; pour la masse des travailleurs social-démocrates elle disposait d’un moyen infiniment plus dangereux, l’idéologie conservatrice dans tous les champs d’activité. Ainsi, quand le travailleur social-démocrate atteint par la crise économique se trouvait soudain ravalé au niveau d’un coolie, sa sensibilité révolutionnaire s’était émoussée par l’effet de la structuration conservatrice qu’il avait subie pendant des décennies. Ou bien il restait, malgré ses critiques et ses révoltes, dans le camp de la social-démocratie, ou bien, indécis et hésitant entre les tendances révolutionnaires et conservatrices, déçu par ses dirigeants, il ralliait le N.S.D.A.P. avec l’espoir d’y trouver mieux – en suivant la ligne de la moindre résistance. Il dépendait alors de la tactique – judicieuse ou fausse – du parti révolutionnaire que le travailleur abandonnât ses tendances conservatrices pour prendre conscience de ses responsabilités réelles dans le processus de production et de ses visées révolutionnaires. L’affirmation communiste selon laquelle la politique social-démocrate avait ouvert la voie au fascisme est exacte, si l’on se place dans la perspective de la psychologie de masse. À défaut d’organisations révolutionnaires, le travailleur déçu par la social-démocratie et troublé par la contradiction entre l’appauvrissement et la pensée conservatrice, se jette nécessairement dans les bras du fascisme. C’est ainsi, par exemple, qu’on assista en Angleterre, après le fiasco de la politique du Parti travailliste de 1930-1931, à une fascisation des masses laborieuses, qui, lors des élections de 1931, se tournèrent non pas vers les communistes mais vers la droite. La Scandinavie démocratique était menacée d’une évolution analogue."
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