dimanche 9 mai 2021

La psychologie de masse du fascisme Par Reich Wilhelm

 "Il ne saurait être question de réfuter cette conception de base par des arguments scientifiques. Elle tire ses arguments de l’hypothèse darwinienne de la sélection naturelle qui, à plus d’un égard, est aussi réactionnaire que la découverte de la descendance des espèces d’êtres vivants inférieurs est révolutionnaire. Mais elle sert aussi de prétexte à la fonction impérialiste de l’idéologie fasciste. Car si les Aryens sont le seul peuple créateur de civilisations, ils peuvent réclamer pour eux, de droit divin, la domination sur le monde. Or, une des exigences essentielles d’Hitler était l’élargissement des frontières du Reich allemand, surtout vers l’Est, c’est-à-dire au détriment de l’Union Soviétique. La glorification de la guerre impérialiste était donc tout à fait dans la ligne de cette idéologie: 

« Le but pour lequel on s’est battu pendant la guerre était le plus noble et le plus sublime que l’homme puisse imaginer: la liberté et l’indépendance de notre peuple, la garantie de ses approvisionnements futurs et – l’honneur de la nation « (Mein Kampf, p. 194). 

« L’objet de notre lutte future sera la garantie de l’existence et de la multiplication de notre race et de notre peuple, la nourriture de ses enfants, la préservation de la pureté de son sang, la liberté et l’indépendance de la patrie, pour que notre peuple puisse mûrir et se préparer à la mission qui lui a été assignée par le Créateur de l’univers » (p. 234).""


"Hitler a souvent répété qu’il ne faut pas aborder la masse avec des arguments, des preuves, de l’érudition, mais avec des sentiments et des croyances. Dans le langage national-socialiste – nous pensons à Keyserling, Driesch, Rosenberg, Stapel et d’autres – les formules fumeuses et mystiques sont si fréquentes, que leur analyse vaut la peine d’être tentée. 

Que se cache donc derrière le mysticisme des fascistes, ce mysticisme qui fascinait les masses? La réponse nous est fournie par l’analyse des «preuves» de la validité de la théorie raciale fasciste, preuves que Rosenberg nous administre dans son Mythe du XXe siècle. 

Nous y lisons tout au début: 

« Les valeurs de l’âme raciale, qui se dressent comme forces motrices derrière la nouvelle image du monde, ne sont pas encore parties intégrantes de la conscience vivante. L’âme signifie cependant la race vue de l’intérieur. Et, à l’inverse, la race est le monde extérieur de l’âme » (Mythus, p. 22)

Nous avons affaire ici à une de ces phrases typiquement national-socialistes qui, à première vue, semblent dépourvues de sens, et dont le sens semble même se dérober à celui qui les a écrites. Pour bien comprendre l’impact politico-irrationnel de ce genre de phrases empreintes de mysticisme, il faut avoir une vue juste de leur efficacité sur le plan de la psychologie de masse. 

Continuons: 

« Pour cette raison, l’histoire des races est en même temps l’histoire de la nature et la mystique de l’âme, alors qu’inversement, l’histoire de la religion du sang est le grand récit universel de l’ascension et de la décadence des peuples, de leurs héros et penseurs, de leurs inventeurs et artistes.»

La reconnaissance de ce fait aboutit à la conviction que le «combat du sang» et la «mystique pressentie des faits de la vie» ne sont pas deux choses différentes, mais qu’ils représentent la même chose de deux manières différentes. Le «combat du sang»… «l’ascension et la décadence des peuples»… «l’empoisonnement du sang»… la «peste mondiale juive»… tout cela s’inscrit dans une ligne qui commence par le «combat du sang» et se termine mondialement par la terreur sanglante contre le «matérialisme juif» de Marx et le massacre des Juifs. On rend un mauvais service à la cause de la liberté humaine si l’on se contente de rire de cette mystique au lieu de la démasquer et de la réduire au contenu irrationnel qui en forme le noyau. Ce qu’il y a d’essentiel ici, de plus important sur le plan pratique, c’est le processus énergétique biologique, conçu dans une optique irrationnelle et mystique, expression exacerbée de l’idéologie sexuelle réactionnaire. L’idéologie mondiale de l’« âme » et de la « pureté » est l’idéologie mondiale de l’asexualité, de la «pureté sexuelle», ou, pour appeler les choses par leur nom, une forme de refoulement sexuel et d’angoisse sexuelle, émanations d’une société patriarcale autoritaire. 

«Le conflit entre le sang et le milieu ambiant, entre le sang et le sang est le dernier phénomène que notre pensée puisse atteindre, il est impossible de chercher et d’explorer plus loin», dit Rosenberg.

 Il se trompe: Nous sommes assez présomptueux pour chercher plus loin, pour examiner sans le moindre sentimentalisme le processus vivant «entre le sang et le sang» et de renverser ainsi une des pierres d’angle du national-socialisme. Laissons à Rosenberg lui-même le soin de nous prouver que le noyau de la théorie raciale national-socialiste est la peur mortelle de la sexualité naturelle et de sa fonction d’orgasme. Pour étayer sa thèse selon laquelle l’ascension et la décadence des peuples seraient fonction du mélange des races et de l’«empoisonnement du sang», Rosenberg nous cite l’exemple des anciens Grecs. Les Grecs, nous explique-t-il, ont été jadis les représentants de la pureté de race nordique. 

Les dieux Zeus et Apollon, la déesse Athéna, auraient été «les symboles d’une grande et pure piété», les gardiens et protecteurs «de tout ce qui est noble et serein», «les défenseurs de l’ordre, les maîtres de l’harmonie des forces de l’âme, de la mesure artistique». Homère n’aurait pas montré le moindre intérêt pour «l’extase». 

Athéna représentait, à en croire Rosenberg, « Le symbole de la foudre, sortie de la tête de Zeus, destructrice de toute vie, la vierge sage et posée ; la gardienne du peuple des Hellènes, la fidèle protectrice de son combat. Ces pieuses créations de l’âme grecque attestent la vie encore pure, intérieure, rectiligne de l’homme nordique, elles sont au sens le plus sublime du terme des professions de foi religieuses, l’expression de sa confiance dans sa propre espèce » (Mythus, p. 41 ss.). 

Rosenberg oppose à ces dieux purs, sublimes, pieux, les dieux du Proche-Orient: «Alors que les dieux grecs étaient des héros de la lumière et du ciel, les dieux des Non-Aryens du Proche-Orient portaient tous les traits terrestres.» Déméter et Hermès seraient les produits typiques de cette «âme raciale»; Dionysos, dieu de l’extase, de la volupté, des ménades déchaînées marquerait l’« irruption, de la race étrangère des Étrusques et le début de la décadence de l’hellénisme »."


"La seule chose qui importe est de comprendre les corrélations entre la révolution et les phénomènes que le réactionnaire considère comme des marques de décadence. Ainsi, il est significatif qu’en matière d’ethnologie, la réaction politique donne la préférence à la théorie patriarcale, tandis que le monde révolutionnaire ne jure que par le matriarcat. Abstraction faite des données objectives de la science historique, la prise de position est déterminée dans les deux camps opposés par des courants sociologiques qui correspondent à des processus objectifs de l’économie sexuelle dont on n’avait pas jusqu’ici pris conscience. Le matriarcat, dont l’existence est historiquement prouvée, n’est pas seulement l’organisation de la démocratie naturelle du travail, mais aussi l’organisation naturelle de la société obéissant aux impératifs de l’économie sexuelle [3] . Le patriarcat par contre n’est pas seulement autoritaire sur le plan économique, mais son organisation sexuelleéconomique est déplorable. 

L’Église a répandu bien au-delà de l’époque où elle détenait le monopole de la recherche scientifique la thèse de «la nature métaphysiquement morale de l’homme», de son essence monogame, etc. C’est pourquoi les découvertes de Bachofen menaçaient de tout bouleverser. L’organisation sexuelle matriarcale ne déconcertait pas seulement par son organisation différente de la consanguinité, mais aussi par l’effet auto-régulateur naturel qu’elle imprimait à la vie sexuelle. Son fondement véritable, l’absence de propriété privée des moyens de production sociaux, ne fut reconnu que par Morgan et après lui par Engels. Rosenberg en tant qu’idéologue du fascisme se voit obligé de nier les stades matriarcaux précoces de l’ancienne civilisation grecque – pourtant historiquement attestés – et de recourir à l’hypothèse selon laquelle «les Grecs se seraient imprégnés par là (c’est-à-dire par le dionysiaque), physiquement et spirituellement, d’une essence étrangère». 

L’idéologie fasciste sépare (à la différence de l’idéologie chrétienne que nous examinerons plus loin) le désir d’orgasme de l’homme des structures humaines formées par le patriarcat autoritaire et l’attribue à différentes races: nordique devient ainsi synonyme de lumineux, céleste, asexuel, pur; le Proche-Orient, à l’inverse, est instinctuel, démoniaque, sexuel, extatique, orgastique. C’est ainsi que s’explique le refus de la recherche «romantique et intuitive» de Bachofen, dont la thèse sur la vie des anciens Grecs serait «hypothétique». Dans la théorie raciale fasciste, la peur de l’orgasme de l’homme soumis à une autorité impitoyable apparaît sous une forme figée, pétrifiée à jamais, et opposée comme «ligne pure» à l’élément animal, orgastique. Ainsi, l’«hellénisme», le «racial» deviennent l’émanation du «pur», de l’«asexuel»; la race étrangère, l’étrusque, représente l’élément «animal», donc «inférieur». C’est pour cette raison que le patriarcat doit être placé à l’origine de l’histoire de l’homme aryen: 

« C’est sur le sol de la Grèce qu’a été livré le premier grand combat, de portée décisive pour les destinées du monde, entre les valeurs de race, combat qui s’est soldé par la victoire du principe nordique. Désormais, l’homme allait entrer dans la vie par le côté du jour et de la vie ; les lois de la lumière et du ciel, ce sont l’esprit et l’essence du père qui ont présidé à la naissance de ce que nous entendons par culture grecque, l’héritage le plus prestigieux de l’antiquité qui soit venu jusqu’à nous » (Rosenberg)

L’ordre sexuel patriarcal et autoritaire, né des bouleversements de la fin de l’époque matriarcale (autonomisation économique de la famille du chef par rapport à la «gens» maternelle, accroissement des échanges commerciaux entre ethnies, développement des moyens de production, etc.) devient, en spoliant les femmes, les enfants et les jeunes de leur liberté sexuelle, en transformant la sexualité en marchandise, en mettant les intérêts sexuels au service de l’asservissement économique, le fondement de l’idéologie autoritaire. La sexualité ainsi pervertie prend effectivement une allure diabolique, démoniaque à laquelle il faut s’opposer. À la lumière des impératifs patriarcaux, la chaste sensualité du matriarcat apparaît comme le déchaînement obscène des puissances des ténèbres. Le dionysiaque devient le «désir coupable» que les civilisations patriarcales présentent comme quelque chose de chaotique et d’«immonde». Confronté en lui-même et hors de lui-même à des structures sexuelles humaines perverties et lubriques, l’homme patriarcal se trouve pour la première fois enchaîné à une idéologie aux termes de laquelle sexualité et impureté, sexualité et infériorité ou diabolisme sont des notions indissociables."


"Des névroses, des déviations sexuelles, des comportements sexuels asociaux font désormais leur apparition et deviennent des phénomènes sociaux endémiques. La sexualité infantile et juvénile qui, à l’époque primitive de la démocratie du travail matriarcale, était vue d’un œil favorable, est soumise à une répression systématique, diverse dans ses formes. La sexualité défigurée, troublée, brutalisée, rabaissée soutient alors l’idéologie à laquelle elle doit son existence. L’attitude anti-sexuelle peut aujourd’hui se prévaloir du fait que la sexualité est devenue quelque chose d’inhumain et de sale; mais elle oublie que cette sexualité immonde n’est pas la sexualité naturelle, mais la sexualité du patriarcat. La sexologie du patriarcat de la fin de l’ère capitaliste n’est pas moins influencée par ces évaluations que les conceptions vulgaires. De là sa stérilité totale."


"La célébration du mariage et le transfert légal de la dot qui l’accompagnait devenaient ainsi les points névralgiques du passage d’une organisation à l’autre [4] . Comme la dot offerte par la «gens» de la femme à la famille du chef renforçait la puissance des hommes et plus spécialement du chef, l’intérêt matériel des hommes des «gentes» et familles d’un rang supérieur poussait celles-ci à perpétuer les liens du mariage; car à ce stade de développement l’homme seul tirait un avantage du mariage, et non la femme. Et c’est ainsi que le simple mariage de pariade de l’époque de la démocratie naturelle du travail qui admettait à tout moment la séparation, se transformait en mariage patriarcal, monogamique et durable. Le mariage monogamique permanent devint l’institution centrale de la société patriarcale qu’il est resté jusqu’à nos jours. Pour assurer le fonctionnement de cette institution, il fallait réprimer et déprécier sans cesse les aspirations génitales naturelles. Cette évolution ne touchait pas seulement les classes «inférieures», mises en coupe réglée, mais aussi les couches sociales qui jusque-là avaient ignoré la contradiction entre morale et sexualité et qui en ressentaient de plus en plus les contrecoups conflictuels. En effet, la morale imposée n’agit pas seulement de l’extérieur; elle n’est pleinement efficace que quand elle a été internalisée, qu’elle s’est transformée en inhibition sexuelle structurelle."


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