samedi 29 mai 2021

Réflexions sur la violence par Georges Sorel

 "Les idées qui ont cours, dans le grand public, au sujet de la violence prolétarienne, ne sont point fondées sur l’observation des faits contemporains et sur une interprétation raisonnée du mouvement syndical actuel ; elles dérivent d’un travail de l'esprit infiniment plus simple, d’un rapprochement que l’on établit entre le présent et les temps passés ; elles sont déterminées par les souvenirs que le mot révolution évoque d’une manière presque nécessaire. On suppose que les syndicalistes, par le seul fait qu’ils s’intitulent révolutionnaires, veulent reproduire l'histoire des révolutionnaires de 93. Les blanquistes, qui se regardent comme les légitimes propriétaires de la tradition terroriste, estiment qu'ils sont, par cela même, appelés à diriger le mouvement prolétarien [Le lecteur pourra se reporter utilement à un très intéressant chapitre du livre de Bernstein : Socialisme théorique et social-démocratie pratique, pp. 47-63."


"Pendant très longtemps la Révolution apparut comme étant essentiellement une suite de guerres glorieuses qu'un peuple, affamé de liberté et emporté par les passions les plus nobles, avait soutenues contre une coalition de toutes les puissances d'oppression et d'erreur. Les émeutes et les coups d’Etat, les compétitions de partis souvent dépourvus de tout scrupule et les proscriptions des vaincus, les débats parlementaires et les aventures des hommes illustres, en un mot tous les événements de l’histoire politique, n'étaient, aux yeux de nos pères, que des accessoires très secondaires des guerres de la Liberté, Pendant vingt-cinq ans environ le changement de régime de la France avait été mis en question; après des campagnes qui avaient fait pâlir les souvenirs de César et d'Alexandre, la charte de 1814 avait incorporé définitivement à la tradition nationale le système parlementaire, la législation napoléonienne et l’Eglise concordataire ; la guerre avait rendu un jugement irréformable dont les considérants, comme dit Proudhon, avaient été datés de Valmy, de Jemmapes et de cinquante autres champs de bataille, et dont les conclusions avaient été prises à Saint-Ouen par Louis XVIII [Proudhon, La guerre et la paix, livre V, chap. III]. Protégées par le prestige des guerres de la Liberté, les institutions nouvelles étaient devenues intangibles et l'idéologie qui fut construite pour les expliquer devint comme une foi qui sembla longtemps avoir pour les Français la valeur que la révélation de Jésus a pour les catholiques."

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