Présentation
C’est de mots le plus souvent
que partent les questionnements collectifs de Lignes, qu’en tout cas ils peuvent commencer à se formaliser.
Beaucoup pourraient servir à désigner la situation qui a prévalu en 2020, et
prévaudra en 2021, non pas pour la montrer toute, impossible, mais pour la
saisir par le plus de biais possibles. Beaucoup, mais aucun aussi bien, c’est
en tout cas celui par lequel nous avons invité à cette « désignation » :
le mot « exception ».
« Exceptions » au
pluriel pour toutes celles qui sont apparues, inédites pour certaines, dont la
somme et la simultanéité dessinent des circonstances sanitaires-politiques sans
précédent. Parce que la question est de ces circonstances en effet. Celles d’une
pandémie, nul n’en doute. Nul ne doute sérieusement qu’il ait fallu lui faire
face, ni qu’il faille le faire encore, et par les moyens peut-être avec
lesquels il lui a été fait face, plus ou moins les plus efficaces (c’est une
autre affaire). Pas de suspicion de complot ou de conspiration donc au principe
de ce numéro, cela dit pour couper court.
« Exception » au
singulier pur « état d’exception » bien sûr, concept hautement
inflammable à manipuler avec la plus extrême précaution (à en juger par les
dommages qu’Agamben s’est à lui-même infligé). Sur lequel il faut bien revenir
cependant, partant de Benjamin peut-être plutôt que de Schmitt – d’autres
encore.
Singulier ou pluriel, le fait
n’en est pas moins que de nouvelles procédures de contrôle et de surveillance
auront été expérimentées à la faveur de cette situation certes sanitaire, dont
on est justifié de penser qu’elles seront réactivées au prétexte de n’importe quelle
autre, dont la justification sera cette fois douteuse – et parfois pas même :
ce que la crise sanitaire autorise aujourd’hui, la crise climatique ne l’autorisera-t-elle
pas davantage demain ? Tant de docilité disponible, la tentation ne
manquera pas de s’en resservir. D’autant qu’à ces suspensions (supposément)
temporaires des libertés pour raison sanitaire, se superposent des tentatives
de restrictions législatives de celles-ci, pour raisons (déclarativement)
sécuritaires cette fois ( la loi dite de « sécurité globale » en France.
La question se pose de quelle
sécurité il est question : celle de la population, du peuple ? C’est
peu probable. De l’état ? Sans doute, mais ne penser celui-ci qu’à partir
des textes juridiques et des constitutions risquerait de fétichiser l’étude de
la loi, au nom d’une nouvelle mystique textuelle qui ferait l’impasse sur ce
que l’état d’exception doit au dispositif (néo) colonial et au système
capitaliste. Sécuriser une race, sécuriser le capital, sécuriser le progrès
technologique des risques qui l’assaillent, sécuriser l’image elle-même de la
sécurité : l’analyse de l’état d’exception gagnera à être envisagée dans
une configuration ontologique étendue, afin d’identifier les nouvelles
techniques d’immunisation politiques que les vainqueurs du temps expérimentent
à nos corps défendant.
Ces vainqueurs, ces promoteurs
d’une police irreprésentable, ces producteurs de sacré répressif, ne font
peut-être qu’occuper l’espace d’ex-ceptio
que nous n’osons prendre, ou reprendre. Si l’état d’exception contemporain
tente de fondre la « sécurité globale » et la « sécurité
intérieure », notre tâche consiste peut-être à distinguer à nouveau le
dehors et le dedans, l’extériorité de l’utopie et l’intériorité psychique, afin
de proposer une nouvelle articulation de l’existence, une nouvelle expérience
de la liberté. Liberté intérieure des « esprits libres » (Nietzsche), liberté extérieure des révoltes
sensibles – il est temps de retrouver la liberté de l’exceptionnel.
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