mercredi 19 mai 2021

Lignes N°66 collection dirigée par Michel Surya

 

Présentation

 

C’est de mots le plus souvent que partent les questionnements collectifs de Lignes, qu’en tout cas ils peuvent commencer à se formaliser. Beaucoup pourraient servir à désigner la situation qui a prévalu en 2020, et prévaudra en 2021, non pas pour la montrer toute, impossible, mais pour la saisir par le plus de biais possibles. Beaucoup, mais aucun aussi bien, c’est en tout cas celui par lequel nous avons invité à cette « désignation » : le mot « exception ».

« Exceptions » au pluriel pour toutes celles qui sont apparues, inédites pour certaines, dont la somme et la simultanéité dessinent des circonstances sanitaires-politiques sans précédent. Parce que la question est de ces circonstances en effet. Celles d’une pandémie, nul n’en doute. Nul ne doute sérieusement qu’il ait fallu lui faire face, ni qu’il faille le faire encore, et par les moyens peut-être avec lesquels il lui a été fait face, plus ou moins les plus efficaces (c’est une autre affaire). Pas de suspicion de complot ou de conspiration donc au principe de ce numéro, cela dit pour couper court.

« Exception » au singulier pur « état d’exception » bien sûr, concept hautement inflammable à manipuler avec la plus extrême précaution (à en juger par les dommages qu’Agamben s’est à lui-même infligé). Sur lequel il faut bien revenir cependant, partant de Benjamin peut-être plutôt que de Schmitt – d’autres encore.

Singulier ou pluriel, le fait n’en est pas moins que de nouvelles procédures de contrôle et de surveillance auront été expérimentées à la faveur de cette situation certes sanitaire, dont on est justifié de penser qu’elles seront réactivées au prétexte de n’importe quelle autre, dont la justification sera cette fois douteuse – et parfois pas même : ce que la crise sanitaire autorise aujourd’hui, la crise climatique ne l’autorisera-t-elle pas davantage demain ? Tant de docilité disponible, la tentation ne manquera pas de s’en resservir. D’autant qu’à ces suspensions (supposément) temporaires des libertés pour raison sanitaire, se superposent des tentatives de restrictions législatives de celles-ci, pour raisons (déclarativement) sécuritaires cette fois ( la loi dite de « sécurité globale » en France.

La question se pose de quelle sécurité il est question : celle de la population, du peuple ? C’est peu probable. De l’état ? Sans doute, mais ne penser celui-ci qu’à partir des textes juridiques et des constitutions risquerait de fétichiser l’étude de la loi, au nom d’une nouvelle mystique textuelle qui ferait l’impasse sur ce que l’état d’exception doit au dispositif (néo) colonial et au système capitaliste. Sécuriser une race, sécuriser le capital, sécuriser le progrès technologique des risques qui l’assaillent, sécuriser l’image elle-même de la sécurité : l’analyse de l’état d’exception gagnera à être envisagée dans une configuration ontologique étendue, afin d’identifier les nouvelles techniques d’immunisation politiques que les vainqueurs du temps expérimentent à nos corps défendant.

Ces vainqueurs, ces promoteurs d’une police irreprésentable, ces producteurs de sacré répressif, ne font peut-être qu’occuper l’espace d’ex-ceptio que nous n’osons prendre, ou reprendre. Si l’état d’exception contemporain tente de fondre la «  sécurité globale » et la « sécurité intérieure », notre tâche consiste peut-être à distinguer à nouveau le dehors et le dedans, l’extériorité de l’utopie et l’intériorité psychique, afin de proposer une nouvelle articulation de l’existence, une nouvelle expérience de la liberté. Liberté intérieure des « esprits libres » (Nietzsche), liberté extérieure des révoltes sensibles – il est temps de retrouver la liberté de l’exceptionnel.

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