Hiéroclès:
"« Valérius Dioclétien, fils de Jupiter, empereur éternel, Auguste, huit fois consul, très clément, très divin, très sage ; Valérius Maximianus Galérius, fils d'Hercule, fils adoptif de l'empereur, César, éternel et très heureux ; Parthique, triomphateur, amateur de la science, et vérissime philosophe ; sénat très vénérable et sacré, vous permettez donc que ma voix se fasse entendre ! Troublé par cet honneur insigne, comment pourrais-je m'exprimer avec assez de force ou de grâce ? Pardonnez à la faiblesse de mon éloquence, en faveur de la vérité qui me fait parler.
« La terre, dans sa fécondité première, enfanta les hommes. Les hommes, par hasard et par nécessité, s'assemblèrent pour leurs besoins communs. La propriété commença : les violences suivirent ; l'homme ne put les réprimer : il inventa les dieux.
« La religion trouvée, les tyrans en profitèrent. L'intérêt multiplia les erreurs ; les passions y mêlèrent leurs songes.
« L'homme, oubliant l'origine des dieux, crut bientôt à leur existence. On prit pour le consentement unanime des peuples ce qui n'était que le consentement unanime des passions. Les tyrans, en écrasant les hommes, eurent soin de faire élever des temples à la piété et à la miséricorde, afin que les infortunés crussent aussi qu'il y avait des dieux.
« Le prêtre, d'abord trompeur, ensuite trompé, se passionna pour son idole ; le jeune homme, pour les grâces divinisées de sa maîtresse ; le malheureux, pour les simulacres de sa douleur : de là le fanatisme, le plus grand des maux qui aient affligé l'espèce humaine.
« Ce monstre, portant un flambeau, parcourut les trois régions de la terre. Il brûla, par la main des mages, les temples de Memphis et d'Athènes.
Il alluma la guerre sacrée qui livra la Grèce à Philippe. Bientôt, si une secte odieuse venait à s'étendre, de nos jours même, et malgré l'accroissement des lumières, on verrait l'univers plongé dans un abîme de malheurs !
« C'est ici, princes, que je tâcherai de peindre les maux que le fanatisme a faits aux hommes, en vous dévoilant l'origine et les progrès de la religion la plus ridicule et la plus horrible que la corruption des peuples ait engendrée.
« Que ne m'est-il permis d'ensevelir dans un profond oubli ces honteuses turpitudes ! Mais je suis appelé à la défense de la vérité : il faut sauver mon empereur, il faut éclairer le monde. Je sais que j'expose mes jours au ressentiment d'une faction dangereuse. Qu'importe : un ami de la sagesse doit fermer son cœur à toute crainte comme à toute pitié, quand il s'agit du bonheur de ses frères et des droits sacrés de l'humanité.
« Vous connaissez ce peuple que sa lèpre et ses déserts séparent du genre humain, ce peuple odieux qu'extermina le divin Titus.
« Un certain fourbe, appelé Moïse, par une suite de crimes et de prestiges grossiers, délivra ce peuple de la servitude. Il le conduisit au milieu des sables de l'Arabie ; il lui promettait, au nom du Dieu Jéhova, une terre où coulerait le lait et le miel.
« Après quarante années les juifs arrivèrent à cette terre promise, dont ils égorgèrent les habitants. Ce jardin délicieux était la stérile Judée, petite vallée de pierres, sans blé, sans arbres, sans eaux.
« Retirés dans leur repaire, ces brigands ne se firent remarquer que par leur haine contre le genre humain : ils vivaient au milieu des adultères, des meurtres, des cruautés.
« Que pouvait-il sortir d'une pareille race ?
(C’est ici le prodige) une race plus exécrable encore, les Chrétiens : ils ont surpassé, en folie, en crimes, les juifs leurs pères.
« Les Hébreux, que trompaient des prêtres fanatiques, attendaient dans leur impuissance et dans leur bassesse un monarque qui devait leur soumettre le monde entier.
« Le bruit se répand un jour que la femme d'un vil artisan a donné naissance à ce roi si longtemps promis. Une partie des juifs s'empresse de croire au prodige.
« Celui qu'ils appellent leur christ vit trente ans caché dans sa misère. Après ces trente années, il commence à dogmatiser ; il s'associe quelques pêcheurs, qu'il nomme ses apôtres. Il parcourt les villes, il se cache au désert, il séduit des femmes faibles, une populace crédule. Sa morale est pure, dit-on : mais surpasse-t-elle celle de Socrate ?
« Bientôt il est arrêté pour ses discours séditieux, et condamné à mourir sur la croix. Un jardinier dérobe son corps ; ses apôtres s'écrient que Jésus est ressuscité ; ils prêchent leur maître à la foule étonnée. La superstition s'étend, les Chrétiens deviennent une secte nombreuse.
« Un culte né dans les derniers rangs du peuple, propagé par des esclaves, caché d'abord en des lieux déserts, s'est chargé peu à peu des abominations que le secret et des mœurs basses et féroces doivent naturellement engendrer : aussi, la cruauté et l'infamie font-elles la partie principale de ses mystères.
« Les chrétiens s'assemblent la nuit au milieu des morts et des sépulcres. La résurrection des cadavres est le plus absurde comme le plus doux de leur entretien. Assis à un festin abominable, après avoir juré haine aux dieux et aux hommes, après avoir renoncé à tous les plaisirs légitimes, ils boivent le sang d'un homme sacrifié, et dévorent les chairs palpitantes d'un enfant : c'est ce qu'ils appellent leur pain et leur vin sacré !
« Le repas fini, des chiens dressés aux crimes de leurs maîtres entrent dans l'assemblée et renversent les flambeaux ; alors, les Chrétiens se cherchent au milieu des ténèbres, s'unissent au hasard par d'horribles embrassements : les pères avec les filles, les fils avec les mères, les frères avec les sœurs : le nombre et la variété des incestes fait le mérite et la vertu.
« Quoi ! Ce n'était pas assez d'avoir voulu amener les hommes au culte d'un séditieux justement puni du dernier supplice ! Ce n'était pas un assez grand crime d'avoir essayé d'abrutir à ce point la raison humaine ! Il fallait encore que les Chrétiens fissent de leur religion l'école des mœurs les plus dépravées, des forfaits les plus inouïs !
« Ce que je viens d'avancer aurait-il besoin d'autres preuves que la conduite des chrétiens ? Partout où ils se glissent, ils font naître des troubles ; ils débauchent les soldats de nos armées ; ils portent la désunion dans les familles, ils séduisent des vierges crédules ; ils arment le frère contre le frère, l'époux contre l'épouse. Puissants aujourd'hui, ils ont des temples, des trésors, et ils refusent de prêter serment aux empereurs dont ils tiennent ces bienfaits ; ils insultent aux sacrées images de Dioclétien, ils aiment mieux mourir que de sacrifier à ses autels. Dernièrement encore, n'ont-ils pas laissé la divine mère de Galérius offrir seule des victimes pour son fils aux génies innocents des montagnes ? Enfin, joignant le fanatisme à la dissolution, ils voudraient précipiter du Capitole la statue de la victoire, arracher de leurs sanctuaires vos dieux paternels !
«Qu'on ne croie pas cependant que je défende ici ces dieux qui, dans l'enfance des peuples, ont pu paraître nécessaires à des législateurs habiles. Nous n'avons plus besoin de ces ressources. La raison commence son règne. Désormais on n'élèvera d'autel qu'à la vertu. Le genre humain se perfectionne chaque jour. Un temps viendra que tous les hommes, soumis à la seule pensée, se conduiront par les clartés de l'esprit. Je ne soutiens donc ni Jupiter, ni Mitra, ni Sérapis. Mais si l'on conserve encore une religion dans l'empire, l'ancienne réclame une juste préférence. La nouvelle est un mal qu'il faut extirper par le fer et par le feu. Il faut guérir les Chrétiens eux-mêmes de leur propre folie. Hé bien, un peu de sang coulera ! Nous nous attendrirons sans doute sur le sort des criminels ; mais nous admirerons, nous bénirons la loi qui frappera les victimes pour la consolation des sages et le bonheur du genre humain. »
Hiéroclès achevait à peine son discours, que Galérius donna le signal des applaudissements.
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