vendredi 7 mai 2021

LOI encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 


n. f. (étymologie présumée : latin lex, legem ; qui se rattacherait à ligare, ce qui lie, lier, plutôt qu'à legere, lire) La loi est un acte par lequel une puissance quelconque impose à un milieu, quel qu'il soit, des dispositions conformes à sa volonté. Les mots : décret, règlement, ordonnance, constitution, encyclique, etc..., servent à désigner des modalités de la loi. La croyance en un Dieu tout puissant, créateur du ciel et de la terre, a fait désigner sous le nom de « lois naturelles » les conditions déterminantes des phénomènes qui, sous nos yeux. Se reproduisent invariablement chaque fois que sont réunies les circonstances favorables à leur apparition. Que l'apparition de ces phénomènes ne soit pas due au caprice d'une législateur suprême, mais simplement à des coïncidences toutes physiques, rend quelque peu impropre, en l'occurrence, l'utilisation du mot « loi », mais ne modifie point le résultat, quant à notre situation d'hommes, du jeu des forces dont notre vie est issue, et auxquelles notre existence demeure subordonnée. Les grandes lois d'évolution des sociétés humaines sont le prolongement et la conséquence, dans le domaine qui nous intéresse, de lois naturelles préexistant à notre apparition sur le globe terrestre, et dont le règne animal eut, avant nous, à supporter les effets. Les instincts de conservation personnelle et de procréation, d'une part, et, d'autre part, la disproportion considérable existant entre notre faculté naturelle d'accroissement et nos possibilités d'augmentation des moyens de subsistance, fut et demeure génératrice de combats meurtriers, d'émigrations et de rivalités de toutes sortes, pour la possession, d'abord, et la conservation ensuite, des meilleurs territoires. L'inégalité des aptitudes devait déterminer, au sein des groupes, des différences de traitement, et favoriser la reconnaissance de chefs, en raison de l'importance exceptionnelle de certains individus pour le salut commun. De l'insuffisance naturelle des biens et de la nécessité de défendre contre les pillards ceux péniblement acquis par la spoliation ou par le travail, est née la propriété, à laquelle ne sont indifférents ni l'hirondelle travailleuse, défendant son nid contre le martinet fainéant son cousin germain, ni le scarabée sacré défendant, contre les congénères sans scrupules, la pilule qu'il s'évertue à parfaire. La féroce lutte dont les grandes cités sont le théâtre, et qui ont pour objet, non seulement le bien-être et la sécurité matérielle, mais encore la satisfaction de besoins de luxe toujours plus nombreux et l'exemption des travaux exténuants, est la continuation, avec des mobiles plus complexes, de celle qui, dans la forêt primitive, faisait s'entredéchirer les mâles pour la saillie des femelles, ou le rapt des morceaux les plus savoureux, et dont la jungle nous fournit le spectacle. La loi individuelle du plus fort par les muscles, ou du plus habile en stratagèmes, a été dépassée par l’organisation collective en vue de l'application de la loi écrite due, tantôt à l'autorité d'un seul agréé par le nombre, tantôt à l'initiative de minorités dirigeantes, en vue de la conservation de l'ordre établi, et de la défense de certains privilèges, dans les associations de plus en plus nombreuses où, il faut le reconnaître, le rationnel tend à se substituer progressivement, dans tous les domaines, à l'arbitraire aveugle et tyrannique, sous la pression des agitateurs et des philosophes, sans que, pourtant, le combat pour la vie, avec ses inévitables suites, ait disparu de la scène du monde. Quelles que soient ses conceptions morales, ce n'est que dans la mesure où l'humanité acquiert, par le développement des sciences appliquées, la possibilité de se soustraire à la fatalité des lois naturelles, et de les faire servir à ses desseins, qu'il lui devient loisible de s'organiser sur d'autres bases, de se débarrasser de certaines tares, et de fournir à ses aspirations idéalistes des solutions pratiques. Sans la connaissance des lois de la reproduction humaine, et l'invention des procédés qui permettent à la femme de limiter sa progéniture ; sans la tendance naturelle des humains les plus éclairés à opérer, d'eux-mêmes, cette limitation, l'espoir d'une paix universelle ne serait qu'une utopie généreuse. Car, si le règne de la loi du plus fort entre les nations avec, pour sanction, la puissance des armes, ne peut disparaître, en fait, de manière définitive, qu'à la condition que soit abandonné le système de la production capitaliste privée, génératrice de conflits, il n'en demeure pas moins que la condition primordiale, pour la persistance d'un tel résultat, est que l'augmentation de la population, au sein des nations associées, ne dépasse jamais les ressources alimentaires acquises par elles. S'il n'est pas très difficile, en effet, de disposer à l'harmonie des consommateurs autour d'une table d'hôte copieusement servie, il serait chimérique d'espérer obtenir des mêmes gens, qu'ils se sacrifiassent volontairement au profit du voisin, sur quelque radeau de « La Méduse ». L'abandon de toute législation ou, ce qui est tout un, de toute contrainte, sous une forme quelconque, à l'égard de la production et de la consommation ; l'application de la formule communiste intégrale : « De chacun selon ses forces, à chacun suivant ses besoins », supposent, préalablement réalisées, deux conditions essentielles : d'abord une surabondance telle des produits de toute sorte qu'il puisse être fourni, sans rationnement ni réserves, à des demandes sans limitation ; ensuite, un progrès industriel suffisant pour que cette surabondance puisse être, d'une façon permanente, entretenue sans qu'il soit nécessaire d'exiger des citoyens plus que la tâche qu'ils sont disposés à remplir bénévolement. L'abandon de toute législation, comme de toute sanction, sous une forme quelconque, à l'égard des actes de violence, ou d'intolérance, envers autrui, suppose une adhésion quasi universelle à l'ordre nouveau ou, du moins, une suffisante rareté dans les attentats, pour que la sécurité publique, c'est-à-dire la persistance de l'ordre nouveau, n'en soit point gravement compromise. Que, dans ces divers domaines, l'une quelconque de ces conditions essentielles ne soit point réalisée, et c'est à nouveau, inévitablement, sous une forme quelconque, le retour à des conflits, à des luttes finalement à l'autorité du plus fort, en raison de cette loi naturelle, physiologique, qui fait que les organismes sociaux, de même que les corps vivants, réagissent toujours, par instinct de conservation, contre les éléments de désagrégation et de mort surgis en eux, et ne cessent de réagir, sous peine de mort pour eux-mêmes, que lorsque ces éléments destructeurs ont été expulsés, anéantis, ou réduits à l'impuissance, par un moyen plus ou moins brutal ou bénin. Que ces conditions soient réalisées, ce qui peut nous reporter à une échéance lointaine, mais non illusoire cependant - le progrès humain ayant, depuis l'âge des cavernes, réalisé bien d'autres merveilles! - et l'humanité se trouvera libérée des principales entraves qui nuisaient à son bonheur et retardaient sa marche. Il ne restera plus aux humains que l'obligation, dans leurs accords en vue de l'hygiène de l'espèce, et d'une production collective aux exigences de plus en plus réduites, de se conformer à un petit nombre de règles biologiques, justifiées par l'expérience et consacrées par la nécessité. –

Jean MARESTAN

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