« Vue dans la perspective
de l’évolution sociale, la famille ne peut être tenue pour la base de l’État
autoritaire, mais seulement pour une de ses institutions de soutien les plus
importantes. Il est en revanche indispensable de considérer la famille comme la
cellule réactionnaire centrale, comme le berceau des hommes réactionnaires et
conservateurs. »
« La pérennité de
l’institution familiale autoritaire n’est pas exclusivement fondée sur la
dépendance économique de la femme et des enfants du mari et père. Pour que des
êtres ainsi asservis supportent cette dépendance, il ne faut rien négliger pour
réprimer en eux la conscience d’être des êtres sexuels. Ainsi, la femme ne doit
pas apparaître comme être sexuel mais seulement comme génitrice. L’idéalisation
de la maternité, son culte exalté, qui sont aux antipodes du traitement
grossier qu’on inflige aux mères des classes laborieuses, sont essentiellement
destinés à étouffer dans la femme la conscience sexuelle, à la soumettre au
refoulement sexuel artificiel, à la maintenir sciemment dans un état d’angoisse
sexuelle et de culpabilité sexuelle. Reconnaître officiellement et publiquement
à la femme son droit à la sexualité aboutirait à l’écroulement de tout
l’édifice de l’idéologie autoritaire. »
« La perfidie et le
caractère mensonger d’une telle propagande sautent aux yeux, mais le premier
réflexe de toute femme sera incontestablement un refus effrayé; la réaction
d’une femme plus progressiste sera à peu près celle-ci: (Lettre d’une
correspondance ouvrière) « J’admets que pour nous autres travailleurs, la seule
issue de la misère présente est le socialisme. Mais il doit respecter certaines
limites et ne pas rejeter comme mauvais et inutile tout ce qui a été réalisé
jusqu’ici. Sinon, il conduira à un relâchement des mœurs qui serait beaucoup
plus atroce que la misère matérielle actuelle. Malheureusement, le socialisme
s’attaque à un idéal très noble et très important, le mariage. On exige dans ce
domaine la liberté totale, la licence absolue, en quelque sorte le bolchevisme
sexuel. Chacun aura le droit de se laisser aller, sans la moindre contrainte,
sans la moindre modération. Il n’y aura plus d’union entre l’homme et la femme,
on vivra aujourd’hui avec l’un, demain avec l’autre, au gré des caprices. Cela
a nom de liberté, amour libre, nouvelle morale sexuelle. Mais ces beaux mots ne
sauraient nous tromper sur les grands dangers qu’ils cachent. Les sentiments
les plus sublimes, les plus nobles, l’amour, la fidélité, le don de soi sont
ainsi salis. Il est impossible, il est contraire à la nature qu’un homme ou une
femme puisse aimer à la fois plusieurs personnes. La conséquence serait
l’abrutissement général, la destruction de la culture. Je ne sais pas comment
les choses se passent en Union Soviétique, mais ou bien les Russes sont des
êtres d’un genre particulier, ou ils n’ont pas autorisé toutes les libertés, et
il y a aussi certaines contraintes… Si attirantes que soient les théories
socialistes, si convaincantes que me paraissent vos vues économiques, en
matière sexuelle je ne vous suis pas et je me sens parfois prise de doute sur
toute la chose !» »
« À mesure que se
renforce la pression économique sur les masses laborieuses, s’accentue aussi,
d’une manière générale, la contrainte morale exercée contre elles. La
contrainte morale vise naturellement à prévenir leur révolte contre la pression
sociale, et le moyen mis en œuvre est l’aggravation de leur sentiment de
culpabilité sexuelle et de leur dépendance par rapport à l’ordre établi.
Comment cet effet est-il obtenu? »
« Le national-socialisme
refusait d’abord, au moins sous la plume de son porte-parole Rosenberg, qui
faisait partie de l’aile droite du mouvement, l’Ancien Testament qu’il
qualifiait de «juif». L’internationalisme de l’Église romaine était également
répudié comme «juif». L’Église internationale devait céder la place à une
«Église nationale allemande». Après la prise du pouvoir par Hitler l’Église fut
mise au pas et son champ d’influence politique rétréci. Du même coup, son
influence idéologique et morale se trouvait considérablement élargie. « Il est
certain que le peuple allemand finira un jour par découvrir une connaissance,
une expérience de Dieu qui lui seront propres et qui s’accorderont avec les
exigences de l’élément nordique de son sang. Ce n’est qu’alors que la Trinité
du sang, de la foi et de l’État sera parfaite » (Gottfried Feder: Le programme
du N.S.D.A.P. et ses fondements idéologiques, p. 49). »
« Le mysticisme religieux
devait remporter un si vif succès puisqu’il s’appuyait sur le thème central du
péché originel considéré comme acte sexuel accompli pour le plaisir. Le
national-socialisme conserve ce motif tout en l’exploitant à l’aide d’un autre,
plus conforme à son idéologie: « Le crucifix est le symbole de la doctrine de
l’agneau sacrifié, une image qui nous fait ressentir l’effondrement de toutes
les forces et nous accable intérieurement… par la représentation horrible de la
douleur, qui nous humilie, conformément aux intentions des Églises avides de
domination… L’Église allemande remplacera peu à peu, dans les Églises qu’elle
prendra en charge, la crucifixion par l’esprit de feu enseignant, le héros dans
ce qu’il représente de plus sublime » (Rosenberg, Mythus, p. 577). Il s’agit
simplement de changer la nature des attaches: le mysticisme sadique-narcissique
du nationalisme devra remplacer le mysticisme masochiste, international,
religieux. Il s’agira « de reconnaître l’honneur national allemand comme
critère suprême de toute action afin de vivre pour elle » (Hitler, Mein Kampf,
p. 512). Il [l’État] permettra à toute croyance religieuse de se déployer
librement, il autorisera la prédication de toutes sortes d’éthiques à condition
qu’elles respectent la primauté de l’honneur national » (op. cit., p. 556). »
« Ni le christianisme, ni
le nationalisme ne s’attaquent à l’institution du mariage imposé; pour le
christianisme, le mariage est – abstraction faite de la fonction de
reproduction – «une communauté de vie plénière et indissoluble»; pour le
national[1]socialisme
une institution biologique pour la protection de la race. Pour l’un comme pour
l’autre, l’activité sexuelle se limite au mariage imposé. »
« Nous resterons dans la
ligne de notre sujet principal: si le fascisme s’appuie avec tant de succès sur
la pensée et la sensibilité mystiques des masses, la lutte contre le mysticisme
ne peut être gagnée que si l’on comprend la nature du mysticisme, si l’on
combat par des méthodes pédagogiques et thérapeutiques la contamination
mystique des masses. À quoi bon faire progresser l’idéologie scientifique si
ses progrès sont tellement lents qu’elle est incapable de rattraper son retard
sur la contamination mystique. La cause de cet échec ne peut être qu’une appréhension
imparfaite du mysticisme. L’information scientifique des masses se contentait
pour l’essentiel de dévoiler les méfaits des dignitaires et des fonctionnaires
de l’Église. Cette information ne touchait pas les masses. Car l’information
scientifique ne faisait appel qu’à la raison et non aux sentiments. Or, si
quelqu’un est animé de sentiments religieux, la dénonciation d’un prince de
l’Église, si habile soit-elle, la démonstration la plus rigoureuse de l’appui
que l’État accorde à l’Église en détournant les deniers des ouvriers, ne
l’impressionnent pas plus que l’analyse historique de la religion par Marx et
Engels. »
« Les notions générales
d’«asservissement» ou d’«abêtissement» ne faisaient pas l’affaire; car l’«asservissement»
et l’«abêtissement» se trouvaient au bout du processus; c’est le processus
lui-même qu’il aurait fallu éclairer pour expliquer le succès de tout ce qui
favorisait la dictature. »
« Or, il s’agissait de
«casser la gueule» au capitalisme sous toutes ses formes; la lutte du
bolchevisme contre la religion était un crime; la religion n’était pas
responsable de la misère, mais le mauvais emploi que le capitalisme faisait de
la religion. (Décidément, nous avions affaire à un pasteur franchement
progressiste). Quelles conséquences tirer de ces constatations? Comme les
hommes sont mauvais et pécheurs, il est impossible de supprimer la misère ; il
faut la supporter, s’y résigner. Le capitaliste lui-même n’est pas toujours
heureux. La vraie misère, la misère intérieure ne peut être guérie, même pas en
Union Soviétique avec le troisième plan quinquennal. »
« Constatons pour
commencer que la formule selon laquelle la religion serait la «libération du
monde extérieur» confirme l’allégation des économistes en matière de sexe,
selon laquelle la religion offre une satisfaction fantasmée se substituant à
une satisfaction réelle; ce fait est en parfait accord avec la thèse de Marx
selon laquelle la religion a sur les masses l’effet de l’opium. C’est plus
qu’une simple métaphore: la végétothérapie a pu mettre en évidence que
l’expérience mystique met en branle, dans l’appareil autonome de la vie, les
mêmes processus qu’un stupéfiant. Il s’agit donc de processus d’excitation de
l’appareil sexuel qui suscitent des états de type narcotique et font naître un
vif désir de satisfaction orgastique. »
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