n. f. (latin longœvitas) C'est
là un mot du langage courant qui désigne le fait de vivre vieux, mais la
relativité de cette définition saute aux yeux. Si les mots utilisés font
illusion, la plupart du temps, il s'en faut de beaucoup que les objets qu'ils
désignent soient précis. Il faudrait pour que longévité ne fût pas un terme de
convention, que l'on fût fixé, physiologiquement, sur la durée normale de la
vie, tant des animaux et de l'homme, que des végétaux. Or, de même que la vie
est un processus inconnu dans son essence et dans son évolution, de même la
date de la mort, autrement dit la longévité, est inconnue. Nous dissertons sur
un terrain de pure approximation. On est toujours le longévite de quelqu'un
comme on est le brévivite de quelque autre. Il serait vain, du reste,
d'attendre plus de précisions. Pourquoi? Parce que le processus vital relève
dans sa marche de causes multiples dont la variété est infinie et livrée à tous
les hasards. Ces causes sont intrinsèques et extrinsèques. Causes intrinsèques.
- Elles sont telles quand elles visent l'élan vital dont l'individu est
possesseur en arrivant au monde et qu'il tient de deux autres facteurs :
l'hérédité immédiate (la sienne) et l'hérédité éloignée (celle de la race).
Longévité est dans un rapport étroit avec le processus de la dégénérescence qui
a raison des races les plus vigoureuses, mais dont la fatalité s’étend sur un
nombre indéfini de générations selon le déplacement intercurrent des forces de
résistance que l'espèce sait ou peut mettre en œuvre. Faire l'histoire de la
décadence d'une race, d'une nation, d'une famille, c'est faire indirectement le
procès de la longévité puisque tout processus de régression aboutit
obligatoirement à la stérilité, c'est-à-dire à zéro, en passant par une période
de longévité progressivement diminuée. Causes extrinsèques. - Voici maintenant
les causes extrinsèques qui finissent, grâce à une accumulation prolongée par
modifier l'espèce et par se confondre avec les causes intrinsèques ci-dessus
mentionnées. Les influences extérieures subies par l'individu sont inhérentes
aux milieux. L'individu ne naît que pour mourir et sa vie se passe à lutter
contre la mort. La vie n'est qu'une lutte constante du point de vue
psychologique et social et du point de vue organique. La vie, dans sa
plénitude, comme la longévité, ne sera qu'une résultante de facteurs qui
s'entremêlent, s'entrechoquent, s'excitent mutuellement ou se contrarient au
détriment de la victime qui est l'Homme. Il n'y a guère d'exemple que l’homme
ait jamais triomphé des causes de destruction, ce qui prouve que la vie de
l'espèce ne sera qu'une perpétuelle défense ; les conquêtes ne sont que
temporaires et toujours fertiles en déceptions. Si l'individu s'insurge parfois
et attaque au lieu de subir passivement, s'il parvient à jeter de la poudre aux
yeux en modifiant les milieux grâce à son industrieuse intelligence, on ne
saurait dire, historiquement parlant, qu'il ait jamais vaincu. Le Væ Victis a
toujours pesé sur l'individu, et l'on comprend les velléités d'indépendance qui
se manifestent chez les hommes conscients qui s'efforcent de diminuer les
causes de misère auxquelles on a succombé à travers les temps. C'est une sorte
de sauve-qui-peut, qui seul produira une sélection, laquelle se traduira par
une plus grande résistance et par suite par une plus grande longévité. C'est en
vain que l'on objectera que les progrès humains s'échelonnent sur un nombre
énorme de générations et que c'est le résultat final qu'il faut envisager pour
nos descendants lointains. Là encore, les faits contredisent : car il advient
que les progrès allégués ont toujours comporté jusqu'ici de tels abus que ces
progrès sont douteux en fait et qu'ils n'ont procuré la longévité qu'à une
toute petite exception. Le reste, c'est-à-dire les hommes dans leur ensemble
ont toujours marché au gouffre. L'idée de sélection jaillit tout de même de cet
exposé, et c'est toujours à la loi de Darwin qu'il en faut revenir pour
comprendre cet important problème de biologie. Elle s'exprime par l'élimination
progressive des moins aptes au profit des forts et des habiles. La longévité,
comme la dégénérescence, s'entendra donc toujours par rapport aux générations
les plus prochaines. Si, dans une famille on constate qu'un bon nombre de
sujets ont vécu plus longtemps que les précédents, on en conclura leur
longévité et on la déduira des preuves, faciles à découvrir, des efforts qu'ils
ont su réaliser pour surnager dans la dérive, Si, dans une nation l'on constate
que l'âge moyen de la vie a augmenté, on en conclura qu'elle est mieux
organisée pour la lutte que les précédentes générations et qu'elle a une plus
grande longévité comme rançon de son habile résistance. Les facteurs peuvent du
reste s'inverser aussi bien chez l'individu que dans l'espèce. A une période de
prospérité relative peut succéder une période de déclin. Telle est la loi du
rythme. Il faudrait des volumes pour rappeler les causes extérieures de
diminution de la durée de la vie. Elles sont d'ordre économique, moral, social,
politique et pathologique, La misère engendre des souffrances, physiques et
morales, qui s'expriment par une grosse mortalité. Les époques de disette et de
famine sont célèbres. C'est par millions que nos frères en humanité, dans les
Indes et ailleurs, ont été décimés par la cupidité des conquérants. L'Inde est
tristement célèbre, l'opium y a remplacé le blé. Cette mortalité, le plus
souvent précoce abaisse la moyenne de la durée de la vie. Et ce n'est pas la
multinatalité qui est capable de relever ce niveau. Cette multiplicité des
naissances ne fait que grossir le bloc des victimes de la vie. Dans les pays
d'apparence plus libre et plus civilisée, le résultat n'est pas moins frappant.
La pseudo-aisance que le capital est censé distribuer aux forçats du travail,
et dont ils acceptent trop souvent les chaînes n'empêche point le taux de la
vie chère de monter effroyablement et de baisser le ressort physique et moral.
Personne n'ignore que la France se dépeuple surtout parce qu'on y meurt trop.
Trop mourir, c'est abaisser la moyenne générale de la vie et par suite diminuer
la longévité. Les points de vue moral, social et politique se confondent en
somme, parce qu'ils y aboutissent fatalement, avec le point de vue économique.
Tout ce qui diminue la puissance intellectuelle et morale d'un sujet le dispose
à mourir prématurément. Les chagrins minent jusqu'aux sources de la résistance.
Mais je ne saurais passer sous silence le grand facteur de brévivité que sont
les guerres, les immondes hécatombes que l'or et l'instinct de possessivité
provoquent périodiquement, sans que les candidats à la boucherie aient été
capables jusqu'ici de les détourner. La guerre de cent ans a anéanti des
millions d'hommes. Les guerres de l'Empire dont tant de sadiques politiciens
affichent pompeusement l'admiration, a saigné le pays et l'Europe aux quatre
veines. La race ne s'en est jamais relevée et le niveau moyen de la durée de la
vie n'a fait que décliner depuis lors. Comment en serait-il autrement quand on
sème sur les champs de bataille les meilleurs étalons et que la sélection ne
peut plus être l'œuvre que des résidus échappés à l'holocauste pour raison
primordiale de faiblesse? Mais que dire du massacre de millions d'hommes qui
pourrissent encore autour de nous depuis 1914 et de l'état moral collectif qui
en fut la conséquence? Il faut être voué à la cécité pour n'y pas voir la cause
la plus puissante de notre désorganisation sociale, de notre affaiblissement
organique et de notre dépression morale. Un dernier mot sur les causes
pathologiques de la brévivité. Les maladies contagieuses, endémiques,
constitutionnelles, qui s'abattent sur les individus, comme la tuberculose, la
syphilis et l'alcoolisme, qui provoquent la mort prématurée et inutile d'un
demi-million de nos compatriotes chaque année, précipitent la décadence.
Quelles que soient les améliorations, plus apparentes que réelles, plus
incohérentes que logiques, dont les discours politiques font chaque jour
étalage pour éblouir la masse moutonnière. Rien ne montre mieux la relativité
trompeuse de la longévité que la répétition inlassable des mêmes statistiques
mortuaires, si décourageantes que puissent paraitre les courbes (la tuberculose
par exemple). Car il faut saigner la nation, c'est-à-dire le travailleur, de
ses plus chers deniers pour maintenir l'apparence de tels résultats! Et il en
sera de même jusqu'au jour où l'on consentira à classer les causes pathogènes
par ordre d'importance et à porter l'effort régénérateur là où l'égoïsme humain
s'est réfugié. On voit que le problème de la longévité est tout un monde. Seul,
le philosophe peut l'envisager sous son angle véritable. Il est clair qu'il se
résume en ces mots : On ne meurt pas, on se tue ou l'on est tué. « L'homme qui
ne meurt pasde maladie accidentelle, dit Buffon, vit partout 90 ou 100 ans ».
Metchnikoff a démontré que la vieillesse est une maladie. Ce n'est pas cent
années que l'homme devrait vivre (car bien qu'il lui appartienne en bonne
partie de conduire sa vie beaucoup plus loin, il ne saurait pourtant résister
indéfiniment aux causes accumulées de décadence), mais beaucoup plus que cent
ans. L'hygiène générale devrait et pourrait enseigner à bien vivre et à mourir
noblement. C'est un art en même temps qu'une science. Chacun est l'artisan de
sa vie comme il l'est de son bonheur, de sorte que le dernier mot du problème
de la longévité s'appelle l'Hygiène, qu'il faut entendre du point de vue moral
comme du point de vue physique. Toutes les fautes d'hygiène sont une prime à la
maladie et par suite à la mort. Mais il est curieux de constater qu'il
semblerait y avoir une contradiction dans les faits envisagés de ce point de
vue : l'Hygiène est une science moderne, elle est loin à coup sûr d'avoir dit
son dernier mot. Elle est née de façon sérieuse depuis un siècle, depuis Claude
Bernard avec ses vues hautes sur la biologie générale et depuis Pasteur avec
les lumières qu'il a projetées sur l'origine des maladies parasitaires. Le
XIXème siècle aura vu la première œuvre de l'hygiène individuelle sérieuse,
mais aussi et surtout celle de l'Hygiène dite sociale. L'idée de faire
supporter au milieu ambiant l'énorme part de responsabilité qui lui revient
dans la genèse et l’entretien des maux humains devait jeter un jour frappant
sur l'avenir et faire germer de grands espoirs dans l'esprit des hommes pour
qui vivre vieux est un postulat intéressant. Or, peut-on dire que ce grand
mouvement des idées se soit traduit par des résultats palpables? Il y a comme
une malice dans les événements qui se chargent cyniquement de détruire les plus
belles chimères. Jamais l'Homme considéré dans sa masse n'a pratiqué,
semble-t-il, plus qu’aujourd’hui, les moyens de se détruire. L'homme succombe
moins qu'avant à la tuberculose, mais l'aviation, l'automobilisme, multiplient
les causes de décès. Aujourd'hui la mortalité par accident occupe une rubrique
de première grandeur parmi les autres causes de mort. Ce n'est pas
d'aujourd'hui qu'on a signalé l'illusion du progrès et la relativité encore de
ce processus. Ce qu'on dénomme ainsi un peu abusivement n'est parfois qu'une
cause intense de régression, de sorte que l'on se demande parfois s'il y a
quelque avantage à se porter en avant si l'on ne veut pas ajouter aux causes
banales de découragement celles que l'on doit à son propre effort. Comme tout
se tient dans l'histoire de l'Humanité! Et ce que j'ai dit du mal physique est
vrai aussi du mal moral. L'Hygiène dite morale qui balbutie ses premières
règles, qui réalise pour l'individu une facile découverte capable d'enrichir sa
pensée, d'élever son idéal n'a-t-elle pas aussi pour effet de multiplier ses
besoins, de lui imposer par ricochet de nouvelles épreuves s'il se heurte à un
milieu mal disposé à favoriser l'évolution de l'Individu. L'Hygiène mentale,
branche de l'Hygiène morale est aussi à ses débuts. Ouvrant des jours nouveaux
sur les causes d’amoindrissement cérébral, offrira-t[1]elle à l'Individu des moyens sérieux de
défendre sa vie et par suite d'accroître sa longévité ? Autant de problèmes qui
s'accrochent les uns aux autres et qui montrent tout un monde d'idées se
cachant derrière ce petit mot de longévité. La longévité est-elle du reste une
question bien posée sur le terrain de l'Individu? Est-il intéressant du point
de vue de l'Unité de vivre vieux? J'entends surtout que la question n'est
intéressante que par la diminution de la douleur qu'elle fait entrevoir à
quiconque a des lueurs en matière d'Hygiène. C'est beaucoup, à coup sûr, mais
ne convient-il pas d'élever le problème à des hauteurs où il devient plus
large, plus séduisant, plus poétique, sans cesser d'être réaliste et
pragmatique? N'oublions pas que la vie et la mort sont deux phénomènes
étroitement liés. L'homme qui ne voit que sa propre mort, et par suite sa
propre vie n'a que des vues étroites. Je partage la pensée du philosophe pour
qui la vie n'est autre chose que l’art de bien mourir, parce que bien mourir
c'est préparer la vie heureuse de nos survivants, c'est-à-dire de nous-mêmes
réapparaissant dans la race. L'individualiste à outrance n'a que des vues
bornées s'il n'attend de son effort que des jouissances limitées à sa personne
et s'il ne conçoit pas que les disciplines qu'il sait s'imposer, si elles
limitent sa liberté, peuvent accroitre celle des camarades qui naîtront plus
tard, et à qui seront attachées de terribles fatalités. Diminuer leurs chances
de souffrir n'est-ce pas augmenter notre propre élan vital? Tout s'harmonise,
considéré sous cet angle. On le voit donc : A l'abri du bourreau social,
l'individu peut encore faire œuvre de conservation utile et intéressante, à
condition qu'il connaisse les bonnes règles de la vie. Concourir au suicide
collectif par négligence ou désintérêt est une absurdité, car l'abandon de
soi-même n'est productif que de misères et de souffrances, sans compter qu'il
n'est point digne de l'Homme doué d'un cerveau pensant et d'un bras qui
travaille. –
Dr LEGRAIN
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