dimanche 7 avril 2019

Lignes N°58

"La fascisation en cours et l'écriture effrontée"   Par Plinio Prado

"La fascisation en cours, en voie de mondialisation, atteste ainsi que la barbarie au sommet de la civilisation (techno-scientifique néolibérale) est bel et bien une possibilité historique. On appellera barbarie l'état d'une humanité qui a pour objectif suprême ( assuré par une oligarchie mondiale) la réalisation illimitée des plus-values, quitte à dévaster  les subjectivités, à massacrer les populations et à mettre l'environnement et la planète en péril."

"Ce dégoût est constitutif de la subjectivité spleenétique, celle qui n'est jamais dupe ( comme Baudelaire aimait à le dire). Il est défini en une formule célèbre de Gavarni, rapportée par les frères Goncourt: "Ce qu'on appelle esprit public est la bêtise de chacun multipliée par la bêtise de tout le monde." On aurait tort de la réduire à une simple boutade. En fait, elle indique à quel désastre peut conduire le suffrage universel lorsqu'il ne s'accompagne pas d'une formation de l'opinion et de la volonté apte à nuire à la bêtise."

"On est en droit alors de poser l'analogie suivante: de même que les médias "classiques", radio et cinéma, ont rendu possible le "national-esthétisme" du XX° siècles (Ph Lacoue-Labarthe), de même la nouvelle figure du "fascisme démocratique" de ce siècle n'aurait pas été possible sans la technologie des "réseaux sociaux".

Enfin, il y a les frontières et les murs, les mécanismes de filtrage et de barrage érigés à l'intérieur même des esprits, et qui font, par exemple, qu'on ne tolère pas tel étranger ou telle étrangeté dans son environnement habituel. Ce triage intériorisé, cette intolérance viscérale, structure un type précis de subjectivité. Il prend le plus souvent les traits d'une phobie agressive, violente et de plus en plus décomplexée: xénophobie, aporophobie, homophobie, phobie de la migrance ou du mutant en général. Se dresse ainsi, "au dedans" de soi, comme un blindage affectif à l'égard de l'autre , une sorte d'imperméabilité, de pare-empathie ( comme Freud disait "pare-excitation").

"Quand la vox populi se fascise, elle est prête à plébisciter obscurèment les figures dites "anti-système", à choisir la voie du "fascisme démocratique". A voter, en somme, contre elle-même."

"Mais ne pas céder sur sa raison d'être, c'est à dire l'élaboration de soi, cela demande un travail. A la suite de Gide, Barthes définit ce travail comme étant foncièrement celui du polissage de la langue. "Vis selon les nuances que t'apprend la littérature."
Travail décisif, alors que la langue aujourd'hui celle que façonnent largement les médias, devient inerte, stéréotypée, lieu de l'oubli et de capitulation. Et partant terreau de la fascisation. ( Que l'on songe à la langue des nouveaux fascistes). C'est pourquoi, en somme, la recherche d'un fil permettant de s'orienter dans le dédale des impasses contemporaines, implique le recours à la " littérature ", c'est à dire à l'oeuvre d'art, d'écriture, de pensée. En particulier, parce qu'elle travaille aux nuances, l'écriture oeuvre à la dissolution du système d'oppositions héritées, au brouillage des limites , à la vacillation des significations établies. C'est ce que, en défiant ou affrontant l'étymologie, j'aimerais entendre par écriture effrontée, c'est à dire: travaillant au dérèglement des frontières, les affrontant."



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